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« Un texte permet de poser des questions », propose un questionnement de l’intervention du Président de la République du 12 juillet 2021.« Réindustrialiser, réconcilier la croissance et l’écologie de production »

La première conviction « de redevenir une grande nation de recherche, d’innovation, d’agriculture et d’industrie »:

Celle-ci donne à la parole présidentielle le caractère d’une instance décisionnelle qu’exprime la formule « j’ai lancé le mois dernier un plan d’investissement de 7 milliards d’euros en matière de santé : des usines, de la recherche, chez nous en France ».

Des interrogations se posent :

Quel accès le citoyen a-t-il à la connaissance de ces décisions portant sur un plan d’investissement concernant par exemple « l’écologie de production » ?

Que recouvre cette formulation ?

Un exemple nous en est proposé « l’usine géante de batteries pour véhicules électriques ». Comment est-il possible de s’informer de son mode de financement et des conditions de son implantation ? 

Quelle place occupent alors les différentes instances constitutionnelles de la République dans la prise de décision ?

De quelle indépendance s’agit-il quand cette finalité lie la France à l’Europe et se centre sur la future Présidence Française de l’Union Européenne ?

Quel débat est proposé au peuple français sur cette ambition ?

La préoccupation de l’Humain se trouve-t-elle définie uniquement par des plans d’investissement et une production industrielle ?

Quelle place occupent les hommes et les femmes dans ce modèle économique ?

La seconde conviction exposée dans ce discours répond à cette dernière question en définissant un modèle social : « Ce modèle social repose sur un fondement : le travail ».

Une compréhension de la notion de travail est ici nécessaire. Elle s’accompagne de la notion de mérite et elle a pour objectif « l’emploi » qui correspond à une insertion dans la production donc à un contrat entre un entrepreneur et un employé.

Cette approche du travail qui fut souvent confortée par des analystes en sciences politiques et en sociologie du travail n’exclut-elle pas de la richesse nationale tout autre conception du travail ?

Quelle place occupe dans cette conviction la Commission Stiglitz-Sen-Fitoussi, souhaitée par le Président Sarkozy, qui souligne l’importance de prendre en compte le travail qui ne répond pas à un emploi rémunéré et contractuel ?

Les conclusions de cette commission constatent que le travail gratuit, bénévole et propre au choix de chaque femme et de chaque homme est autant de valeur ajoutée au revenu national. Patrick Viveret, magistrat à la cour des comptes souligne le paradoxe que ce travail fait baisser le produit Intérieur Brut de manière comptable, car il n’est pas pris en compte dans les indicateurs du PIB.

Ne faut-il pas, suite à ces travaux, questionner la place du salariat lié à un contrat qui libère peu de temps et qui répond à l’expression « travailler plus » ?

Quelle place occupent les activités humaines hors du schéma commercial, productif et financier ?

Pourtant, celles-ci sont centrales pour la cohésion sociale et la poursuite de l’existence de l’humanité. Tout au long de la vie, ces activités accompagnent les femmes et les hommes de leur naissance à leur mort, le langage quotidien leur attribue la qualité d’un « travail ».

Pour résumer, une question citoyenne s’impose : pour quelle raison, le discours présidentiel dont un des axes principaux est le travail ne prend-il pas en compte les travaux scientifiques portant sur des indicateurs pertinents ?

L’auteur de ce discours associe les termes « travail » et « mérite ».

Dans son sens général, le mérite se définit comme droit d’obtenir un avantage par sa conduite mais aussi comme exposition à subir un inconvénient.

Se pose alors la question de savoir à qui appartient le pouvoir de distinguer dans la société ceux qui sont « méritants » et ceux qui ne le sont pas.

Rien n’indique quel processus permet d’élire un individu comme méritant et quelles qualités définissent le décideur qui attribue le mérite.

Cela nécessite d’envisager un spectre large qui va du ressenti de la personne, aspect psychologique et social, à la procédure qui attribue cette décision soit à une personne soit à un corps nommé.

Cette référence au mérite finit par fragmenter le monde du travail en deux parties opposées : « méritants » / anonymes, décideurs/récipiendaires.

 

Le mérite se décrète-t-il ?

Est-il un accord décisionnel concernant l’ensemble d’une population ?

Correspond- t- Il à un choix personnel quand la volonté d’acquérir ce droit est un avantage qui distingue le récipiendaire de ses pairs et qui le détourne d’autres investissements qui peuvent servir l’ensemble de la collectivité ?

Des systèmes politiques ont imposé au travail des normes qui définissaient le mérite, ils furent mis en cause par les historiens comme rapprochant le travail de son sens latin, tripalium.

Dans les propos du Président, le travail est le fondement du modèle social français et ce modèle social aurait protégé « nos entreprises, nos emplois, notre culture, de nombreux secteurs exposés, le pouvoir d’achat ».

Qu’en est-il de la protection de la personne humaine ?

Ne dépend-elle que d’un secteur économique ?

Accepte-t-on la doctrine de « l’homo economicus ?

C’est peut-être là qu’il faut voir une différence avec d’autres modèles sociaux et sans doute le plus grand écart entre « le modèle social français » élaboré par le Comité national de la Résistance, par le Ministre Ambroise Croizat et Pierre Laroque, premier directeur général de la Sécurité sociale. Ce « modèle social français » donnait la priorité aux hommes et aux femmes. Des travaux vinrent au cours des années qui suivirent compléter l’œuvre entreprise. Cependant, ce « modèle social français » du CNR fut attaqué par les idéologies représentées par le capitalisme et le néocapitalisme.

Cette référence n’est pas nostalgique, elle est simplement la prise de conscience qu’il ne suffit pas de nommer mais qu’il faut aussi savoir débattre avant d’affirmer ses propres convictions.

La troisième conviction définit les priorités de ce modèle social : « La Nation doit répondre à ceux qui ont été le plus touchés par la crise ».

Si la décision appartient à la Nation, qu’en est-il de la République ?

Le Président de la République élu dans un cadre législatif et constitutionnel s’efface–t-il devant un groupe humain caractérisé par son unité et une langue commune ou par une communauté politique qui représente une autorité souveraine sur un territoire déterminé ?

L’histoire ne nous a-t-elle pas appris que la République définie par sa constitution et par son organisation législative approuvée par les citoyens garantit que l’Etat ne laisse pas sa place à une communauté au nom de la Nation ?

Si nous ne trouvons pas de réponses directes à ces questions, les expressions qui indiquent des continuités dans les prises de décision montrent que le maître du jeu demeure le Président de la République qui souhaite poursuivre et renforcer ses décisions pour les publics qui ont le plus souffert : notre jeunesse, nos ainés et les concitoyens en situation de handicap.

Le projet proposé pour la jeunesse « qui a tant sacrifié » présente plusieurs domaines.

Les investissements pour la petite enfance et l’éducation ne sont pas précisés, de quel ordre sont-ils ?

Le lecteur en saisit les différents aspects en se référant au Ministère de l’Education Nationale. Aucune référence n’est faite aux acteurs de terrain qui surent trouver les voies d’une continuité éducative en temps de crise et à leurs propositions.

« Pour nos jeunes adultes, étudiants comme nos jeunes actifs, ou nos jeunes qui sont peu formés, nous avons créé une plateforme « un jeune, une solution ».

On peut noter la forme possessive « nos jeunes » qui ne participe pas à la reconnaissance de leur personnalité et de leur indépendance comme adulte et électeur.

Une plate forme est-elle une aide ? De nombreuses études ont montré l’échec de ces plateformes et les inégalités qu’elles créent. La psychosociologie insiste sur l’importance des liens sociaux présentiels pendant cette période de la vie comme le soulignent de nombreux enseignants au cours de la crise sanitaire.

Une « formation » est proposée avec comme objectif de trouver un emploi ou de signer un contrat d’apprentissage. Plutôt que de « formation », n’est-il pas question ici d’adaptation à un emploi réglementé par un contrat avec un employeur ?

Deux remarques parmi d’autres s’imposent.

Cette formation, adaptation à un poste de travail, n’est en rien une préparation à la formation tout au long de sa vie qui demande une éducation comprenant un large spectre de disciplines académiques.

Elle nécessiterait sous sa forme contractuelle une importante formation juridique au droit du travail qui devrait précéder toute insertion dans un emploi quel qu’il soit.

Le présent de ce jeune se trouve limité à un seul domaine celui de l’emploi et de son contrat, alors que les aspirations peuvent être multiples à cet âge.

N’est-ce pas le pari de toute éducation de laisser du temps au jeune adulte pour déterminer son orientation et pour connaître les capacités qui lui sont propres ?

Ce pari est toujours gagnant car il permet d’enrichir la société de créations inattendues.

« Le Revenu d’engagement » annoncé par le Président de la République pourrait être une opportunité pour réaliser ce pari si la logique de devoirs et de droits était clairement définie et s’accompagnait d’une confiance en une jeunesse majeure et électrice.

L’ensemble de ces convictions donne lieu à des réformes qui « ne seront pas davantage financées en laissant filer la dette ». Pour cela un nouveau pacte est « de travailler davantage, d’investir ».

Cette proposition part de deux présupposés.

Le premier est une injonction : « Le citoyen doit travailler davantage ».

Cette injonction n’est-elle pas un jugement qui laisse entendre que le citoyen ne travaille pas assez ?

Ne limite-t-elle pas le travail à la production reconnue par la définition du Produit Intérieur Brut traité précédemment ?

La solution est l’investissement qui consisterait à améliorer la croissance. 

Qu’est ce que la croissance ? Est- ce un indicateur qui lie la commercialisation et la production industrielle comme le laisse supposer l’expression « une écologie de production » ?

Pour aller dans le sens des réformes qui « ne seront pas davantage financées en laissant filer la dette » s’ajoute à « travailler plus » la seule solution qui est « de continuer à bousculer le système et les positions établies, les rentes, les statuts ».

Ces propositions donnent un exemple factuel, la réforme de l’ENA, et elles abordent aussi le thème des retraites : ces orientations précédaient déjà la pandémie.

Elles nous rappellent les ruptures de confiance entre la République et les citoyens provoquées en particulier par la proposition de « travailler plus longtemps et partir à la retraite plus tard ».

L’abstention aux votes en est bien un signe majeur.

L’évocation de « Bousculer le système » a aussi un but « le contrôle de notre destin comme Nation ».

Cela signifie que la République Française avec sa Constitution n’est plus le garant du destin de ses citoyens et qu’il est nécessaire de le confier à une communauté, la Nation.

Un exemple nous est proposé celui de la communauté internationale qui n’est pas élue démocratiquement et qui décide d’« une imposition mondiale des multi nationales  à 15% minimum, mettant fin aux évasions fiscales et aux paradis fiscaux ».

Dans un processus démocratique, cette information nécessiterait que le texte réponde au minimum aux questions suivantes pour éviter l’effet d’annonce.

Quels éléments composent ce texte pour que nous puissions juger des règlements juridiques qui président à cette décision ?

Quels renseignements avons-nous sur la composition de cette communauté ?

En fonction de l’inquiétude que crée le manque de réponses aux interrogations d’un lecteur, la répétition du terme « Nation » dans le discours d’un Président de la République nécessiterait une étude sémiologique et morphologique de ce texte avec d’autres discours politiques qui font appel à la « Nation ».

L’annonce présidentielle de « Faire de la lecture une grande cause nationale » devrait ouvrir à toutes les générations l’accès aux connaissances qui permettent de formuler des réponses aux questions posées et de saisir les débats qu’elles suscitent.

 Alain Jeannel

Cette réflexion se compose de trois parties :

La première commente l’expression « seul le prononcé fait foi » qui accompagne la transcription des discours du Président de la République du 12 juillet 2021 et du 31 août 2021 sur le site de l’Elysée.

La seconde intitulée, « Un texte permet de poser des questions », propose un questionnement de l’intervention du Président de la République du 12 juillet 2021.

La troisième, « Origine des questionnements : une éducation », tente de définir la place de la lecture, « grande cause nationale » annoncée dans le discours du 31 août et les propositions de politique générale sur le travail du 12 juillet.

 

 

Dernière modification le mercredi, 06 octobre 2021
Jeannel Alain

Professeur honoraire de l'Université de Bordeaux. Producteur-réalisateur. Chercheur associé au Centre Régional Associé au Céreq intégré au Centre Emile Durkheim. Membre du Conseil d’Administration de l’An@é.