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Partie 3 : « Origine des questionnements : une éducation ». L’accès aux livres est d’une grande inégalité chez les élèves et dépend totalement de la parentèle : la possession de cet objet manipulable précède tout acte de lecture. La consultation d’un texte écrit réclame un motif. Il peut avoir plusieurs origines : la réponse à une consigne est le cas le plus courant dans tous les systèmes d’enseignement.  La motivation peut venir d’un environnement ayant la culture de la lecture, parfois du désir de trouver une réponse à une question personnelle.

Les contraintes de la vie sociale peuvent aussi créer la nécessité psychologique de s’isoler pour mettre à distance la réalité du monde et éprouver un temps de plaisir né des résonnances d’un texte avec soi-même.

La mobilisation de l’ensemble des acteurs qui rendent accessible le livre est nécessaire, elle était déjà soulignée dans le discours du Président du 31 août 2021.

Les livres, quel que soit leur support, sont partie prenante des enseignements qui vont se succéder : c’est donc une des responsabilités de l’institution scolaire de remédier aux difficultés de leur accès mais aussi de créer les temps et les espaces nécessaires aux lecteurs.

Une fois l’accès rendu possible, lire, c’est avoir un espace pour se poser, c’est avoir du temps libre de toute contrainte. Ce temps de retrait se prolonge par le temps collectif d’échange sur les approches compréhensives du texte par chacun.

L’échange entre deux lecteurs sur la lecture d’un même texte, littéraire ou scientifique, rend évident les divergences existantes entre le texte original et les interprétations les lecteurs.

La pratique scolaire de la comparaison des résumés d’un même texte par des élèves ou des étudiants avec le résumé institutionnel met en évidence l’enrichissement du texte lui-même et participe à la construction d’un savoir collectif.

Qu’il soit question de fiction, de traité scientifique, de description de modèles techniques, le lecteur a une intention quand il ouvre un livre.

L’enseignant accompagne la persévérance de cet intérêt par l’écoute des réactions du lecteur dont le rythme de lecture progresse suivant la personnalité de chacun.

Par exemple, un accompagnement en Histoire et en Science politique, peut s’avérer nécessaire pour que le lecteur ne décroche pas au vocable « Nation » et à son contexte. La lecture est l’expression d’un mouvement émotionnel et intellectuel dont les origines sont à la fois expérientielles et cognitives. La lecture associe approche subjective et finalité éducative et citoyenne.

Pour permettre la controverse et éviter qu’une seule interprétation s’impose comme vérité, le lecteur doit prendre progressivement conscience des influences qui induisent ses interprétations et les références plurielles qui donnent sens au texte lu. Ce travail qui demande patience et persévérance se développe à la fois par l’accompagnement des enseignants, des pairs et des parentalités.

Pour que la lecture devienne une « grande cause nationale », il ne suffit pas que son accès soit réservé à la génération montante, il est nécessaire qu’il soit à la disposition de toutes les générations pour qu’elles participent à l’accompagnement de la jeunesse et aux débats qui font partie de leur environnement proche ou lointain.

La lecture est précédée par « apprendre à lire » qui est la partie nécessaire mais insuffisante pour devenir un lecteur.

Si « apprendre à lire » est un préalable, appréhender un texte par la lecture demande d’autres processus éducatifs.

La lecture fait partie de l’enseignement et donne lieu à de nombreuses pratiques des acteurs de terrain qui partagent leur plaisir, leur étonnement renouvelé à chaque relecture avec leurs élèves dés leur plus jeune âge.

La lecture à haute voix d’un passage d’une œuvre par l’élève accompagnée par l’enseignant est une expérience collective. Elle est une leçon qui enseigne l’intérêt de la lecture en proposant une interprétation officielle. Le débat collectif ouvert qui suit cette lecture à haute voix souligne la diversité des interprétations existantes. Mais cette « lecture à haute voix » ne peut être comparée à la lecture de l’ensemble de l’œuvre, expérience cognitive personnelle du rapport entre l’œuvre et son lecteur.

La lecture d’un texte par un comédien fait aussi partie de cette sensibilisation aux œuvres, elle fait partager à un auditoire une expérience théâtrale.  Si elle fait partie de l’éducation culturelle de l’élève, elle devient promotion de la lecture si et si seulement elle provoque chez le spectateur le désir de lire lui-même l’œuvre.

De nombreux actes pédagogiques, culturels et sociaux peuvent inciter l’élève à la lecture. Il est nécessaire de s’interroger sur les connaissances qui permettent à la fois au lecteur de donner du sens au texte et de formuler les questions que son interprétation provoque.

L’accueil des enfants à l’école dés trois ans met en évidence les approches différentes de la lecture entre parentèles et enseignants, qu’est-ce-que lire pour un enfant ? une simple signalétique ? un bien à acheter ? un début de pratique dans l’espace domestique ?

Il y a un lent passage de la pratique de la graphie à ce qu’elle nomme, à la lecture des textes qu’ils soient littéraires ou scientifiques.

Si faire de la lecture « une grande cause nationale » nécessite une mobilisation de l’ensemble des partenaires de l’éducation, elle trouve un lieu privilégié pour se développer en milieu scolaire.

Que faire des multiples interprétations d’un texte que proposent des élèves qui ont chacun leur expérience singulière ?

La psychologie interroge les conséquences de ces ressentis non dits. La science politique et l’histoire montrent que le sens imposé est un révélateur d’une pensée unique qui s’oppose à la confrontation des sens proposés dont émerge une intelligence collective.

Le lecteur doit avoir les connaissances qui lui permettent d’interpréter le texte quelque soit son domaine académique et d’en identifier sa finalité.

La datation d’un texte est le premier indicateur. Elle permet de donner le sens qu’avait le vocabulaire au temps de son auteur. Si les algorithmes des plateformes donnent des définitions, ces définitions correspondent à celles de l’actualité. Deux enseignements sont alors nécessaires : celui qui concerne l’étymologie et celui qui concerne la recherche documentaire de l’emploi de ce vocable à l’époque de l’écrit. 

Dans le premier cas, l’enseignement et l’étude des langues permettent de confronter une interprétation naïve d’un vocable à une interprétation qui donne sens au texte.

Dans le second cas, la recherche documentaire et la lecture des contextes évitent les contre sens de l’interprétation et apprennent la dimension historique de tout texte qu’il soit littéraire ou scientifique.

Il existe toute une série d’expressions et de terminologie propres à chaque discipline dont l’ignorance coupe le lecteur d’une grande partie des connaissances et de leur compréhension.

Rendre accessible au cours de la scolarité l’élève-lecteur à un grand ensemble de textes est la finalité d’un enseignement qui souhaite donner à la génération montante la « capabilité » à être un citoyen à part entière.

Cette lente découverte du sens et des idées portées par les textes se fait tout au long de la scolarité, elle n’est pas vulgarisation, elle est le passage par des émotions d’une lecture porteuse de la rationalité scientifique de la connaissance exposée.

Jean Claude Ameisen nous en propose un exemple à propos de l’éthologie en publiant Sur les épaules de Darwin, les battements du temps. 

Il donne au lecteur un accès à une science où l’émotion vient d’un voyage qui fait découvrir les études et les analyses scientifiques.

Au niveau de la mathématique moderne les auteurs peinent à exprimer l’abstraction formalisée de leur discipline. Il en résulte une difficulté pour une majorité d’élèves de s’intéresser à la mathématique et un risque d’enfermement des initiés dans un cercle de signes-symboles.

Cet enfermement n’est pas propre à la mathématique et peut concerner d’autres disciplines.

Pour rester un citoyen actif dans la cité, la pratique de la lecture est fondamentale mais elle nécessite que, quelque soit le thème abordé et le genre, les auteurs ne créent pas des cercles fermés pour conserver des connaissances pour eux-mêmes et leurs initiés.

La diversité des œuvres lues et les débats qu’elles suscitent font partie du temps de la construction du savoir collectif, base du débat démocratique.

Considérer la lecture comme un travail citoyen au même titre que tout travail n’est pas suffisant. Si le modèle social français repose sur le travail, faire de la lecture une grande cause nationale, c’est lui reconnaître la valeur d’une force productive nécessaire à l’acquisition de connaissances tout au long de sa vie. L’enjeu porte bien sur le développement de son rôle social, de la participation des citoyens au débat démocratique, à la construction d’un savoir commun, base du débat sur les orientations politiques.

Alain Jeannel    

Cette réflexion se compose de trois parties :

La première commente l’expression « seul le prononcé fait foi » qui accompagne la transcription des discours du Président de la République du 12 juillet 2021 et du 31 août 2021 sur le site de l’Elysée.

La seconde intitulée, « Un texte permet de poser des questions », propose un questionnement de l’intervention du Président de la République du 12 juillet 2021.

La troisième, « Origine des questionnements : une éducation », tente de définir la place de la lecture, « grande cause nationale » annoncée dans le discours du 31 août et les propositions de politique générale sur le travail du 12 juillet.

       

Dernière modification le mercredi, 06 octobre 2021
Jeannel Alain

Professeur honoraire de l'Université de Bordeaux. Producteur-réalisateur. Chercheur associé au Centre Régional Associé au Céreq intégré au Centre Emile Durkheim. Membre du Conseil d’Administration de l’An@é.