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À défaut de révolutionner la pédagogie, de proposer des démarches vraiment innovantes — on peut quand même regarder de plus près une initiative comme le TransiMOOC, par exemple —, 
les MOOC font l’objet de commentaires plus ou moins pertinents, à tous les niveaux et jusqu’au plus haut niveau de l’État, et, à ce titre, contribuent à entretenir la réflexion sur la mise en œuvre du numérique éducatif.
Et c’est très bien ainsi.
 
Benoît Hamon soi-même, tout fraîchement nommé au sommet de la grande maison, profite du lancement du MOOC « Enseigner et former avec le numérique » pour prendre la parole, en vidéo, et affirmer sa volonté de continuer ce qui a été entrepris à ce sujet, dans le cadre du chantier en cours sur « L’école numérique », par son prédécesseur Vincent Peillon.
Vous trouverez ci-dessous ce qui a été publié par le ministère sur sa plateforme vidéo.
Le ton du nouveau ministre est très différent de celui de son prédécesseur.
Vincent Peillon avait pu apparaître déterminé, dans un premier temps, passionné, enthousiaste, enflammé parfois, notamment à la Gaîté lyrique puis au lycée Diderot. Manifestement, il laissait sur place une bonne partie de ses conseillers qui ne comprenaient mot de ce qu’il disait. On l’a vu ensuite las et peu convaincu — j’avais parlé de triste ritournelle — lors d’une mise au point en vidéo, peu avant son départ qu’il avait sans doute prévu.
Benoît Hamon, lui, semble réciter là d’un ton vif un discours convenu, lisant maladroitement son prompteur. Mais son message est fort heureusement ponctué de phrases très fortes et engagées qui laissent espérer la continuation déterminée de l’entreprise. Il y a même des choses là-dedans qu’on n’avait jamais entendues et qu’on n’espérait plus — ou alors ma vigilance s’émousse... Bien entendu, Benoît Hamon n’a pas écrit seul son discours. Je crois même reconnaître dans celui-ci, dans le choix des mots en particulier, la plume d’un de ses proches collaborateurs. Un indice peut se trouver là...
Quelques exemples :
« Le développement rapide des usages du numérique nous oblige à repenser nos méthodes et nos programmes d’enseignement, à rénover nos modes d’évaluation, à revoir l’organisation des espaces et des temps scolaires et, surtout, à prévoir la formation de enseignants et des professionnels de l’éducation, préalable indispensable à la mise en œuvre réussie de ces transformations... »

Je vous l’ai dit, je reviendrai à l’occasion sur ce sujet si brûlant de la formation mais en faire, peut-être parmi les autres points si importants évoqués, un préalable à toutes choses me semble pour le moins abusif, pour ma part. Je crois même qu’il n’est pas besoin d’acquérir une maîtrise technique complète de tous les outils disponibles, que les modifications posturales sont autrement plus importantes et qu’un engagement résolu, au besoin contraint par les nouveaux programmes, suffira à faire changer beaucoup de choses.
Il est par ailleurs étonnant, quand Benoît Hamon évoque ce sujet des méthodes et des programmes d’enseignement, qu’il ne dise pas un mot du chantier pharaonique mené par Alain Boissinot à la tête du Conseil supérieur des programmes, chantier si nécessaire et préalable, lui, à la réussite de l’école numérique. Une question se pose à ce sujet : dans la nouvelle définition du socle commun de connaissances, de compétences et de culture, puisque c’est ainsi qu’il faudra dorénavant l’appeler, la compétence 4 portera-t-elle enfin le nom de « Culture numérique » au lieu de ne proposer aux élèves, comme aujourd’hui, que de maîtriser outils et technologies ?
Continuons. Benoît Hamon nous sert un plaidoyer pour la formation des enseignants au et par le numérique, en formation initiale dans les ESPE d’abord, dans les académies en formation continue ensuite. Je n’y crois pas une seconde et serai plus pessimiste que lui. Sans injonction forte de sa part ou de la direction du numérique éducatif, on continuera le plus souvent à faire comme avant en académie, sous la pression des groupes d’inspection disciplinaires qui n’ont, le plus souvent, qu’une vision strictement utilitaire du numérique, quand ils en ont une. Quant aux ESPE, c’est pire encore, vraiment pire, et autrement plus grave. Ça ne risque pas de changer tant qu’on y continuera à faire de l’acquisition ou de la délivrance automatique du C2i la panacée.
Benoît Hamon plaide ensuite, toujours à propos de la formation, pour la plateforme M@gistere et le développement des MOOC qui selon lui apportent des modalités complémentaires de formation. Au moins, n’évoque-t-il pas, comme Vincent Peillon s’était laissé aller à le faire, sans doute mal conseillé, la possibilité de réaliser de cette manière des économies importantes de moyens, notamment humains !
Il évoque ensuite les points importants de la stratégie numérique de son ministère dont la réduction des inégalités, la démocratisation de l’accès au savoir et la lutte contre l’échec scolaire sont les piliers.
« La stratégie du ministère ne peut pas par conséquent se réduire à un simple plan d’équipement comme nous en avons connu plusieurs dans le passé. Certes la fracture numérique existe encore et il est important que tous les établissements soient dotés de matériels adaptés aux besoins de l’éducation et qu’ils soient évidemment reliés à l’Internet avec un débit suffisant. Le ministère s’est fortement mobilisé du reste pour que le plan “France Très Haut Débit” du gouvernement donne la priorité au raccordement des établissements scolaires, ce qui est le cas maintenant. »

Comment ? Qu’est-ce qui est le cas maintenant ? Que les établissements soient raccordés ou qu’il s’agisse d’une priorité ? L’ambiguïté est troublante... Bien évidemment, il s’agit là d’un très très gros problème structurel, qui ne concerne d’ailleurs pas que les écoles et établissements scolaires. On est très loin du compte et très en retard sur nombre de pays, en Europe par exemple, dont les investissements sur ce point de la connectivité ont été bien plus importants et déterminants pour l’éducation et l’économie. La France est très fortement handicapée par le quasi monopole de fait de son opérateur historique qui fait payer très très cher toutes les initiatives nationales et locales, quand il ne les freine pas préférant continuer à vendre l’ADSL. Bien des associations ont fait faire à certaines communes des économies considérables et elles ont pu raccorder les écoles à moindre coût. Voir, par exemple, ce que fait PCLight dans l’Yonne... Mais il en existe d’autres... Un modèle à chercher pour le système éducatif et les collectivités locales ?
C’est évidemment un chantier prioritaire et les déclarations d’intention ou de supposée priorités ne suffisent pas. Il est possible de multiplier à loisir les exemples de lycées où des centaines d’élèves travaillent derrière un tuyau identique à celui dont n’importe quelle famille peut disposer pour elle seule, de collèges où les ENT et les ressources en ligne sont inutilisables, d’écoles de ce pays qui ne savent toujours pas, en 2014, ce qu’est l’Internet !
C’est d’autant plus un chantier urgent que tout tend à déporter hors de l’enceinte scolaire les pratiques numériques : informatique en nuage, ENT, ressources pédagogiques en ligne, manuels numériques, plateformes de formation, services administratifs, chaînes de télévision numérique pour une diffusion à la demande, relations avec les entreprises... Par ailleurs, d’autres facteurs ont tendance à aggraver cet inconfort pédagogique : des choix discutables de l’administration pour le partage de la bande passante disponible, d’une part, un filtrage intempestif, drastique et stupide des ressources en ligne d’autre part — dans bien des établissements, la vidéo du ministre ci-dessus n’est même pas accessible.
Il est très étonnant, sur ces deux points de l’équipement matériel et de la connectivité, que le ministre n’évoque pas la nécessaire implication et responsabilité des collectivités locales et le partenariat qu’il faut impérativement mettre en place dans les académies avec les communes, les conseils généraux et régionaux.
Écoutons encore :
« Nous avons besoin aujourd’hui d’un projet global pour l’école, prenant en compte toutes les conditions de réussite, d’un déploiement effectif des usages du numérique dans les classes au service de la réussite de tous les élèves. Au-delà des équipements, il nous faut nous préoccuper de la production massive de ressources pédagogiques de qualité accessibles sur les nouveaux supports numériques, dans des environnements de travail sécurisés. Ces nouvelles ressources doivent être attractives, redonner au élèves l’envie d’apprendre, de s’engager dans les apprentissages, d’échanger, de partager et de collaborer, dans la construction de leurs connaissances. »

Et même si elles partent d’un présupposé erroné, la fameuse et illusoire manne des ressources, si elles s’appuient sur les ENT dont il y a tant de mal à dire, à commencer par cette fameuse « sécurité » qui n’est bien souvent qu’un cadre clos qui freine les initiatives et l’innovation, les propositions finales sont de toute beauté. Je vous avais prévenu. Proposer aux élèves d’« échanger, de partager et de collaborer » est bien une modification radicale des modes de pensée du ministère et de son encadrement sommital.
Benoît Hamon récite ensuite le couplet habituel pour le soutien à la filière industrielle du numérique éducatif, dit sa résolution d’accompagner l’édition scolaire dans ses mutations numériques. Il y aurait tant à dire sur le gâchis d’argent public qui est déversé depuis fort longtemps, sans aucune contrepartie, sur cette industrie et ce secteur de l’édition qui s’est justement avéré ces dernières années, plus que d’autres pour ce dernier, totalement incapable de prendre le virage du numérique. Puisse le ministre, dans son soutien résolu, être ferme sur certains choix qui sont des enjeux de citoyenneté et de société : la nécessité de l’interopérabilité matérielle et logicielle, le choix de formats ouverts et de logiciels libres, le refus de toutes protections ou verrous numériques, l’engagement complet et exclusif sur le numérique...
Et puis, il serait temps de mettre en œuvre pour de bon l’exception pédagogique... l’ouverture des droits prévue par les textes s’avérant bien insuffisante.
Il annonce enfin un plan ambitieux avec le ministre de l’économie, du redressement productif et du numérique, sans doute dans ce même cadre du soutien à l’industrie, pour donner un coup d’accélérateur à l’entrée de l’école dans l’ère du numérique. Nous verrons bien.
Après être revenu sur la formation des enseignants dont j’ai déjà dit que, pour être importante, elle n’était pas, contrairement à ce que dit le ministre, un préalable à l’engagement numérique, Benoît Hamon enchaîne :
« Je souhaite, par ailleurs, mieux valoriser l’innovation en matière de numérique et, pour cela, créer des outils de mutualisation qui permettent aux initiatives d’essaimer à tous les niveaux du système éducatif. La direction du numérique pour l’éducation, qui vient d’être créée, doit favoriser cette dynamique qui s’appuie sur l’animation d’un important réseau d’interlocuteurs et de formateurs académiques, investi dans le développement des usages, et encourager de nouveaux projets susceptibles de nourrir la formation et l’innovation. »

Le mot fort de ce moment est, bien entendu, « mutualisation ». Mutualiser, encourager, favoriser la mutualisation n’est pas vraiment dans la culture de la maison, c’est le moins qu’on puisse dire. Derrière les bonnes intentions, il n’y a souvent que du vent et, parfois, ce qui réduit à néant les initiatives, l’œil sourcilleux et censeur des corps d’inspection et des chefs d’établissement. C’est un changement complet des modes de pensée et d’organisation qui est attendu là.
Pour en revenir aux ressources, qui ne sont pas évoquées dans ce cadre de la mutualisation, il va de soi que le ministère doit mettre en œuvre, selon des modalités qui restent à définir, des espaces collaboratifs et de partages de ressources produites par les enseignants eux-mêmes et ne pas attendre, sur ce point, la fameuse manne de l’édition privée.
Deux mots de commentaire encore sur les points forts évoqués ci-dessus. Animer ne se décrète pas. Aujourd’hui, l’animation de communautés d’enseignants ou de formateurs est un vrai métier. Le ministère doit en prendre conscience car il s’agit d’un enjeu fort, l’animation ne s’accommodant généralement que très mal des modes de fonctionnement verticaux habituels à l’administration. Par ailleurs, l’innovation non plus ne se décrète pas. Il persiste à ce sujet une terrible ambiguïté car l’innovation, la vraie, se construit toujours contre les doxas et l’institution. Comment cette dernière peut-elle contribuer à valoriser ce qui la violente, la met à mal ?
« Enfin, et c’est peut-être un des axes les plus importants de la stratégie du ministère, pour faire entrer l’école dans l’ère du numérique : l’acquisition d’une culture du numérique et la maîtrise des nouveaux instruments d’accès aux savoirs doivent être garantis pour tous les élèves. Les jeunes se retrouvent aujourd’hui plongés dans un environnement numérique complexe, fragmenté, saturé d’informations de toutes sortes qui déterminent leur façon d’apprendre, de communiquer et de créer, sans qu’ils aient toujours conscience des enjeux et des contraintes qui sont à l’œuvre avec ces nouveaux outils. Ils ont besoin d’acquérir les compétences et connaissances de base qui leur permettront de vivre et de travailler en citoyens libres et responsables dans une société profondément reconfigurée par l’Internet et l’usage des réseaux sociaux.

C’est une nouvelle responsabilité pour l’école et il nous faut tout mettre en œuvre pour éviter que les enfants ne deviennent des consommateurs béats, livrés aux logiques industrielles et commerciales, pour qu’ils soient au contraire des individus autonomes, créatifs, c’est-à-dire maîtres des langages et des nouveaux modes d’expression et d’échanges qu’impliquent ces nouveaux outils, producteurs de leurs propres connaissances, qu’ils pourront d’ailleurs construire de façon collaborative avec leurs camarades, guidés et instruits par leurs enseignants. »

Si ce n’était la répétition bien maladroite du terme « nouveaux outils », les outils n’étant pas nouveaux et n’étant fort peu durablement que ce qu’ils sont, j’applaudis des deux mains à ces déclarations d’intention, pleines de mots forts et très signifiants et qu’il est aujourd’hui important de répéter, au moment ou l’école et le numérique se rencontrent : la culture numérique, la réalité de l’écosystème numérique, la formation du citoyen libre, autonome et responsable, la culture des réseaux, la valorisation des créations et productions, de la collaboration, les nouvelles missions assignées aux enseignants, quoique sur ce dernier point, le ministre prend à l’évidence des précautions...
Benoît Hamon continue et conclut :
« L’éducation aux médias et à l’information est désormais inscrite dans la loi de refondation de l’école. Elle est une nécessité absolue pour combattre les inégalités. La véritable fracture numérique est une fracture sociale et culturelle, qui sépare ceux qui sauront tirer parti des avantages offerts par le numérique, parce qu’ils en possèdent les codes, de ceux qui en feront un usage indigent et limité. L’éducation est probablement un domaine où les attentes liées au numérique sont les plus importantes. Pour répondre à ces attentes, il faut passer du stade de l’expérimentation et des initiatives personnelles au stade de la généralisation. Si l’école ne réussit pas sa mutation numérique, elle risque de ne plus pouvoir remplir sa mission fondamentale d’instruction, d’éducation et d’émancipation et de se laisser ainsi déborder par une offre commerciale de formation éloignée de nos valeurs et des fondamentaux de l’école républicaine. »

La réaffirmation, après Vincent Peillon, de la nécessité d’une éducation aux médias et à l’information, complètement imprégnée du numérique et de ses enjeux, est un bonheur pour tous ceux qui, comme moi, en sont de vieux militants. Mais l’éducation aux médias et à l’information a connu tellement de vicissitudes, faute d’un pilotage fort, convaincu et adéquat à son temps, qu’il convient de se méfier et d’attendre...
Comme il est important de réaffirmer où se trouve précisément la fracture numérique... Le ministre aurait pu ajouter qu’elle se trouvait aussi, en corollaire de ses propres remarques, dans la capacité ou non pour le jeune citoyen d’exercer enfin sa pleine et entière liberté d’expression. Il ne serait pas inutile, justement, que l’école se préoccupe de garantir et restaurer les libertés fondamentales dont elle s’était tenue éloignée... Je pense en particulier, et c’est évidemment fortement lié au numérique, à l’élargissement des droits donnés aux lycéens et aux premiers éléments de droits qui pourraient être donnés aux collégiens.
Il est important aussi que le ministre de l’éducation nationale réaffirme les valeurs de l’école de la République, dont les offres commerciales de formation, en ligne notamment, sont évidemment fort éloignées.
De même, cette volonté de changer de modèle et de cesser — enfin ! — d’expérimenter est enfin affirmée avec force. Puisse-elle se réaliser !
Il est étonnant enfin de n’avoir aucune nouvelle du Conseil du numérique éducatif dont Vincent Peillon avait annoncé la création et qui devait être installé en 2013. Cet organe de concertation et de proposition pourrait s’avérer être un outil puissant, à condition de manifester d’emblée son indépendance des lobbys, idéologiques ou commerciaux, si actifs en ce moment sur ce créneau de l’éducation au numérique.
Michel Guillou @michelguillou http://www.culture-numerique.fr/

La photographie de Benoît Hamon est issue de la vidéo en référence. 
Dernière modification le mercredi, 19 novembre 2014
Guillou Michel

Naturaliste tombé dans le numérique et l’éducation aux médias... Observateur du numérique éducatif et des médias numériques. Conférencier, consultant.