Ainsi des « fondamentaux ».
N’en doutons pas : les « nouvelles donnes » remettent en cause l’ordonnance ordinaire des fondamentaux. C’est pourquoi cette question déterminante est à examiner, à nouveaux frais et en temps réel. Car les choses évoluent sans cesse, et il serait naïf de penser que nous pouvons nous accrocher à des bouées qui ne s’useraient pas dans les flux et les reflux.
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Plusieurs types de définitions marquent ce terme. Exemples. Ou bien il s’agit en termes curriculaires de l’organisation des cycles de l’école élémentaire : apprentissages premiers, apprentissages fondamentaux… initiaux, donc, jusqu’à une volonté d’initiation sociale, voire de préparation à la conformité au modèle en vigueur. Il peut s’agir plus largement d’apprentissages de base, relatifs au développement de l’enfant et à l’exercice de ses facultés. Les apprentissages indispensables sont ainsi « premiers », primordiaux… Ou encore, de sensibilisation aux « matières » importantes pour l’expression et la progression de tout sujet dans son milieu de vie. A compléter…
Ce qui origine l’importance que nous devons accorder à la notion, bien au-delà des fixations réglementaires. Ce qui devrait nous inciter à imaginer un chantier spécifique pour aller plus avant et plus… profond dans la définition tout en l’ajustant aux circonstances et aux évolutions. En attendant, les définitions officielles comme les discussions académiques méritent un examen relatif aux catégories et à leurs présupposés. Cette question est par ailleurs suffisamment éclairée sur ce qu’est ou peut être l’intelligence, pour que nous ne nous en tenions pas aux partis pris. Une fois donc dépouillée de ses usages polémiques, la notion de « fondamentaux » tient toutes ses promesses : quelles sont les bases pour aujourd’hui ? Les éléments essentiels ? Les fondements de notre capacité à accéder à nous-mêmes et au monde ? A rejoindre par les apprentissages le fond de ce qui nous constitue…[2]
Peut-être pourrait-on alors s’aviser que le constat de l’ampleur du changement aboutissant aux « nouvelles donnes » entraîne ipso facto la nécessité de révision des définitions encore en vigueur aujourd’hui dans la conduite des affaires scolaires.
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Qu’est-ce que lire aujourd’hui ? Lectures d’images, lectures des médias, lectures numériques ; lectures non-linéaires, liées aux logiques cybernétique, analogique, et plexologique… Il y a bien longtemps que ces questions des « nouvelles » écritures – informatique, télématique et numérique…ont été abordées, y compris dans leurs implications pédagogiques. Mais le principe de la notion et l’action de « lecture des médias », travaillé voilà vingt ans, a fait long feu. Les études actuelles tiennent-elles seulement compte des acquis des travaux antérieurs ? Et nous ne pouvons non plus nous satisfaire de constater l’écart entre les recherches qui se rapportent aux nouvelles donnes, notamment s’agissant des écritures médiatiques et numériques[3], et la pratique scolaire. Cette disjonction n’est décidément pas raisonnable.
Il y a lieu aussi de s’étonner, en termes anthropologiques, ou tout simplement comme éducateur, à observer comment agit un enfant entre un et deux ans, en constatant l’absence de latechnique en tant que telle, et au même titre que l’oralité, dans les fondamentaux, parent pauvre d’autant plus choquant que les « nouvelles donnes » véhiculent précisément une grande part de « NTIC ».
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Secondement, nous ne pouvons nous en tenir à une définition restrictive, et ne touchant pas les termes relatifs à une formation aspirant à une complétude. Toutefois, il ne s’agit pas de confondre ce qui est grandes lignes d’horizon de sens, finalités et perspectives, qui est de l’ordre de l’espoir collectif, de quelque lointaine téléologie, et l’humble pratique d’essayer de favoriser l’accès de l’enfant, du jeune, de l’adulte, aux principes de base d’un épanouissement minimum de sa personnalité.
La définition a priori, issue de la tradition et du préjugé, sur ce que doivent être les fondements et leur hiérarchie indépendamment de ce qu’est le sujet de l’éducation est un obstacle à toute « refondation » sur les contenus, surtout s’il s’agit d’adapter l’enfant à des fins externes, au lieu d‘ajuster les fins à ce que l’enfant peut et doit faire : tel qu’il est comme petit d’homme, tel qu’il vit en son milieu, à cette époque, dans tel type de société, avec ses environnements culturels…
L’éducation a pour mission de faire en sorte que les apports culturels rencontrent le substrat anthropologique de ce que profondément et fondamentalement nous sommes. Et d’autre part, l’éducation rencontre inévitablement ce que nous devenons de manière conjoncturelle et historique. La moindre des choses serait de distinguer ce qui relève de l’épanouissement de nos facultés et aptitudes relatives au corps, à l’imagination, au langage[4], à la technique, à l’éthique, à la vie sociale,à notre appétence esthétique, à notre capacité créative ; de ce qui vise, de façon pragmatique, l’acquisition d’habiletés de compréhension et d‘utilisation –lire, écrire, compter, fabriquer etc.
La dimension mésologique, enfin, ne peut passer à l’arrière-plan ou faire partie du surcroît : elle conditionne le reste. La pédagogie est bien l’accompagnement de l’enfant dans le milieu et l’art de le faire accéder intelligemment à ce qui lui est proche et éloigné, immédiat ou imaginable. Ainsi, le rapport aux médias ou à la cyberculture, n’est pas accessoire et ne saurait occasionner « un savoir de plus ». Il nous conditionne d’autant plus à notre insu que nous n’y sommes pas formés.
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Davantage : les fondamentaux, et non les élémentaires (quoique les tenants de Condorcet enrichissent la notion d’éléments..), ne se réduisent pas à des savoirs initiaux[5], encore moinsrudimentaires, ni à quelque « socle » minimum, dénominateur commun chimérique[6] ; ils ne touchent pas seulement les habiletés et l’exercice des facultés ; ils concernent la personnalité entière, et partant la conception que l’on a de l’enfant et de l’être humain.
Un trivium/ quadrivium pour aujourd’hui ne peut se confondre avec des savoirs, ni se limiter à la production d’un individu minimum. Cela renvoie aux conceptions de l’école, selon que l’on se contente de requérir a minima, l’essentiel d’ « alphabétisation »… nécessaire pour entrer dans la vie active, participer à la vie économique, sinon à la vie publique… et dans ce cas, la copie actuelle est à simplifier… ; ou a maxima, dans la perspective d’un « nouvel humanisme »[7]…et dans ce cas, la copie est entièrement à revoir…
[1]Premier Principe du rapport Bourdieu-Gros (1989) : Les programmes doivent être soumis à une remise en question périodique visant à y introduire les savoirs exigés par les progrès de la science et les changements de la société (au premier rang desquels 1’unification européenne).
[2]Si nous revenons à notre latin d’origine, les fundamenta nous ramènent aux fonds et aux fondations… Et, pour faire pédant, un petit tour étymologique nous renseignerait quelque peu : par exemple, le grec archéos renvoie à archétypes, tout ce qui « fait modèle » Le terme kuros fait penser à curiosité… Etc. et à compléter.
[3]Par exemple, les débats autour de la « translittératie », ou encore le séminaire PRECIP - Enseigner l’écriture numérique ? v. Le dossier en ligne : http://skhole.fr/dossier-seminaire-...
[4] Moins de querelles stupides sur la « grammaire » nous procurerait enfin un peu calme : la grammaire, au sens intelligent, est ce qui sous-tend notre activité linguistique. Elle est un objet de science. Et la réflexivité qui consiste pour le sujet à « conscientiser » son propre fonctionnement anthropologique - par exemple grammatical, technique – n’est pas du luxe savant réservé aux clercs ; un enfant de collège est tout à fait capable de se rendre compte de ce qui « fait grammaire » en lui lorsqu’il parle.
[5]Il ne s’agit pas de s’arrêter-là : nous avons à remettre à jour, à chaque stade de la vie, notre maîtrise des bases…
[6]« Tous les enseignements contribuent à l’acquisition du socle commun de connaissances et de compétences »… » « L’école primaire doit transmettre et faire acquérir à chaque élève les connaissances et compétences fondamentales qui seront nécessaires à la poursuite de sa scolarité au collège et, au-delà, dans les voies de formation choisies par l’élève. »…
[7] A l’opposé de la note précédente : par le passé, des philosophes et des éducateurs ont été capables de le vouloir, pourquoi pas nous ?