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et développement professionnel des futurs enseignants. 
Les enseignants ont tendance à reproduire les cours à l’identique de ceux qu’ils ont connu étudiants. C’est peut être une des raisons majeure de la persistance du cours transmissif. Nous devons donc proposer des cours très différents à nos futurs enseignants...

Il m’a été confié un groupe de 40 étudiants en licence professionnelle « Métiers de la Formation des Jeunes et des Adultes ». Il s’agit d’un groupe de futurs enseignants pour la plupart. Le cours que je développe pour (et avec) eux propose une approche de l’enseignement à l’ère du numérique

Il tente de répondre à des questions comme :

- Pourquoi le numérique dans l’enseignement ?
- Qu’est-ce que le numérique dans l’enseignement ?
- Faut-il changer de pédagogie à l’ère du numérique ?
- Quels outils et usages ?
- Quels scénarios d’enseignement se prêtent bien à une amplification numérique ?

Ne disposant que de 10h pour dresser avec eux un panorama utile et ludique du numérique éducatif, je vais devoir constituer un « environnement d’apprentissage innovant ».

Innover, ce n’est pas révolutionner le monde, ou du moins pas toujours ! Innover ici est à comprendre à travers le changement induit dans la pratique pédagogique, dans la multiplicité des approches et taches simultanées, dans la diversité des niveaux de réflexions proposés et aussi dans le risque que je prends, d’introduire ce genre de pratique lors de mon premier cours avec ce public que je ne connais pas.

Ce dernier point est capital pour tout enseignant car nous avons appris par expérience qu’un bon cours n’est jamais (ou très rarement) un premier cours, premier dans le sens double de découverte d’un nouveau public et création d’un nouveau contenu…

Je souhaite donc montrer à ces futurs enseignants des approches différentes, dans un cadre différent, avec des méthodes inhabituelles et via un travail à trois niveaux de conscience simultanés :

- Le fond (l’apprentissage que je souhaite développer avec eux qui porte sur la pédagogie et le numérique).
- La forme (la méthode pédagogique, le scénario et les outils utilisés…)
- L’analyse critique du processus d’apprentissage (conscientisation du processus pour accélérer le développement professionnel des futurs enseignants qu’ils seront, sachant de plus qu’on a tendance à reproduire les cours qu’on a vécu !)

Détaillons un peu plus ce concept de conscientisation (Paulo Freire[1]). Il considérait qu’il fallait avant tout enseigner un regard critique dans une vision large incluant l’environnement social. Pour Paulo Freire, un des aspects les plus délicats de la pratique éducative est « la capacité à se mettre en question et à transformer le monde ».

L’environnement d’apprentissage que je souhaite constituer comporte :

- Les personnes (un enseignant, des apprenants positionnés comme étudiants ou comme enseignants suivant le niveau de conscience étudié).
- Le lieu physique : une salle de classe trop classique avec un bureau d’enseignant face à 40 bureaux d’étudiants en rangées, sans prises électriques et avec un wifi qui ne tient pas la charge (28 étudiants parviennent à se connecter sur 40) !
- Les lieux virtuels : un ensemble d’espaces numériques pour partager, collaborer, coopérer pendant et entre les cours (Googledocs et drive, Skype, Hangout, quiz Socrative et autres outils librement choisis).
- Les outils : nous utiliserons le matériel possédé par les étudiants, c’est-à-dire leur ordinateur portable et/ou leur smartphone ainsi que les comptes dont ils disposent (Google ou autre). L’approche est totalement BYOD et BYOA [2].
- Les scénarios proposés pour développer un apprentissage actif.
- Une mise en distance volontaire de certaines activités.

Voyons à présent le déroulé de ce cours dont seules 3h sur 10 ont été vécues à ce jour, deux autres séances étant à venir. 

Pour pouvoir assumer la démarche BYOD/BYOA, j’ai besoin d’un diagnostic de l’existant (matériel, logiciel, comptes et outils des apprenants). Pour éviter de perdre du temps, montrer l’usage d’un outil numérique et scénariser cela dans un contexte d’apprentissage un peu différent, je leur propose un quiz sur « Socrative » qui affiche des résultats sous forme de graphiques à chaque question. Ils répondent avec tout type de périphériques, qui sur ordinateur, qui sur tablette ou smartphone. Une seule personne n’est pas équipée et un de ses collègues lui prête son smartphone. 

Voici quelques chiffres obtenus :

- 94% ont un ordinateur ou tablette (dont 74% portable PC).
- 67% ont un smartphone
- 65% ont un compte Google et me fournissent via le quizz l’adresse mail.
- 35% ont un compte Dropbox
- 50% ont un compte Facebook public (davantage si on dénombre aussi les comptes privés)
- 12% ont un compte twitter public
- 15% savent ce qu’est « la curation »
- 70% ont déjà organisé une webconférence, essentiellement via skype
- 29% pensent savoir expliquer le concept de « formation hybridée »
- 17% pensent savoir expliquer le concept de « classe inversée »
- 23% pensent savoir expliquer ce qu’est un « MOOC »
- 3% ont déjà suivi ou suivent un MOOC
- 76% trouvent pratique d’utiliser des quiz en ligne en pédagogie
- 76% souhaitent enseigner plus tard

Le quiz récolte également les attentes particulières vis-à-vis de ce cours via une question ouverte. Il calcule aussi un « score d’adaptation au numérique ». 

Le cours se poursuit via un débat sur le fond (les résultats du quiz sur l’outillage numérique de la classe), la forme (usage d’un quiz en classe), et l’analyse critique du processus d’apprentissage (durant lequel je leur demande de jouer au « prof  » et non pas à l’ « étudiant »).

De cette situation découlera une prise de conscience que :

- Pour enseigner Il faut connaitre son public, ses attentes et ses moyens.
- Un quiz est un moyen rapide de sonder un large public avec beaucoup de questions et d’obtenir aussi des informations utilisables rapidement, comme la liste des adresses mails. Il m’a suffi d’un copier/coller (à partir du fichier tableur résultant du quiz) dans le partage de mon dossier cours sur GoogleDrive pour que l’ensemble de la classe y accède en mode connecté, efficace non ?
- L’analyse critique montre que 77% d’entre eux pensent utiliser cet outil dans leur pratique enseignante, 19% ne se prononcent pas et une personne se positionne contre car cela consomme trop de temps sur le cours. Nous débattons donc sur cet avis divergeant très intéressant. Il en ressort que la gêne est imputable au manque de connexions wifi, à la lenteur d’accès, au manque de matériel et aussi au rythme trop lent (questions déclenchées par mes soins). 

En conclusion, le groupe retient qu’un quiz est un outil très intéressant en pédagogie (76% à minima), pas uniquement pour de l’évaluation sommative comme on a l’habitude de le voir, mais que des conditions préalables doivent être remplies : conditions matérielles (terminaux de connexion, wifi adapté, prises électriques et rythme impulsé par l’apprenant et non déclenché par l’enseignant à chaque question).

Mon avis d’enseignant sur la situation est la suivante : en une heure j’ai obtenu une masse d’informations très importante sur les apprenants, leurs objectifs, leurs connaissances du sujet, leurs équipements. Je leur ai permis d’apprendre par l’expérience ce que peut apporter un quiz dans un cours, ses avantages et ses défauts. J’ai partagé avec eux un dossier et des outils collaboratifs en mode sécurisé.

Nous avons enfin instauré un protocole de travail à trois niveaux fond/forme/analyse qui a été perçu comme un facteur de progression pour la future pratique professionnelle des enseignants en devenir…

Nous n’avons donc pas perdu notre temps et ils en ont convenu lorsque j’ai tenu ce discours. Au-delà de donner du sens à nos cours, nous nous devons de faire comprendre la finalité de nos activités en impliquant personnellement nos apprenants, ce que les nord-américains appellent de manière très imagée le « to bring knowledge to life  »

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Figure 1- La classe en mode "groupes de travail" connectés à un document collaboratif projeté

La suite du cours, propose de concevoir un quiz pour la prochaine fois en autoformation et de le faire vivre à distance à son groupe (découverte de la distance).
Puis, groupés par 6 et répartis dans la salle, chaque groupe doit désigner un rapporteur et un rédacteur, et l’objectif est de répondre aux questions suivantes :

- Qu’est-ce que le numérique dans l’enseignement ?
- Faut-il changer de pédagogie à l’ère du numérique ?
 

Le résultat est consigné dans un GoogleDoc créé et partagé par mes soins durant le temps de réflexion. Les rédacteurs se connectent et ajoutent le travail du groupe. Le document collaboratif étant projeté, chaque personne peut voir le travail des 6 groupes et aussi la complétion et correction en direct. Cette co-rédaction numérique synchrone en a étonné plus d’un ! Quand un scénario marche et qu’on entend des « mais c’est génial ! », on sait qu’un apprentissage est en train de se produire
 
Ensuite nous utilisons cette matière comme outil de présentation pour un oral effectué par le rapporteur, chargé de commenter la réflexion du groupe. Au-delà de placer le rapporteur en situation d’enseigner, cela valorise la réflexion et l’engagement du groupe. La matière produite n’a pas été exploitée en totalité encore, un seul exposé/débat a pu avoir lieu. Nous finirons cela lors du prochain cours. Je consacre le temps restant à lancer le travail pour la prochaine fois.

Chaque groupe traitera un des sujets suivants sur 10 mn d’oral avec usage d’un support électronique. La matière (exposé) sera constituée en se réunissant en webconférence (Hangout suggéré) et en m’invitant via doodle (sondage en ligne).

 

Une fois la réflexion lancée, je laisserai les étudiants continuer la visioconférence sans moi.

· G1 - La formation hybride
· G2 - La classe inversée
· G3 - Les MOOC
· G4 - Le tutorat de cours en ligne
· G5 - La pédagogie active
· G6 - Les jeux sérieux (serious games)
 

On ne peut comprendre l’isolement numérique, les avantages et inconvénients de la formation à distance qu’en vivant ces situations. Ce scénario (la forme) permettra, je l’espère, de faire un travail de co-création à distance et de placer mes apprenants en situation de comprendre par l’expérience les notions qui suivront dans les deux prochains cours. La matière créée (le fond) me servira d’appui pour le message à passer. Et bien sûr, nous analyserons tout cela à la fin, le feedback [3] étant capital pour tout enseignant, et je compte bien leur faire comprendre.

Est-ce que cela va fonctionner ? L’avenir nous le dira en tout cas…

Et si vous êtes intéressés, qui sait, je vous raconterai peut être la suite de l’histoire !
{slideshare}[slideshare id=33973050&doc=environnementdapprentissageinnovantetdveloppementprodesfutursenseignants-140426102947-phpapp02&type=d]{/slideshare}

Environnement d'apprentissage innovant et développement professionnel des futurs enseignants from Jean-François CECI


[1] Paulo Freire, “Paulo Freire  : Alphabétisation et Luttes Sociales,” accessed April 25, 2014,http://www.cnt-f.org/nautreecole/?P....

[2] BYOD : Bring Your Own Device (utilisation du matériel informatique des usagers) / BYOA : Bring Your Own Applications (utilisation des comptes et applications des usagers)

[3] Voir article précédent : « état d’esprit et Feedback » http://fr.slideshare.net/jf.ceci/es...

Dernière modification le vendredi, 22 avril 2016
Céci Jean-François

Jean-François CECI est enseignant en Humanités et culture numérique à l'UPPA (Université de Pau et des Pays de l'Adour) et responsable pédagogique du DUTM (Diplôme d’Université Techniques Multimedia). Il encadre également une option « Ingénierie de l’éducation et de la formation » en licence 3 professionnelle « Métiers de la Formation des Jeunes et des Adultes ». Au sein de cette licence, il dispense un cours intitulé « enseigner à l’ère du numérique » à de futurs enseignants. Praticien-réflexif, il expérimente les pédagogies actives, l’évaluation par les pairs et l’usage efficient du numérique éducatif.

Il mène des recherches en sociologie du numérique et de l’éducation au sein du laboratoire PASSAGES. Il s’intéresse plus particulièrement à l’hyperconnexion et l’apprentissage, du collège à l’université.

Dans le milieu associatif pour la refondation de l’école, il est administrateur à l'An@e (Association nationale des acteurs de l'école), éditrice du site http://www.educavox.fr

Comme directeur du service numérique, chargé de mission TICE puis conseiller numérique, il a participé à la vision stratégique et au pilotage politique et technique de son université, en matière de numérique éducatif.

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