"Si l’on s’en tient strictement au Petit Robert, c'est-à-dire « le fait de rester entre personnes d’un même milieu », l’entre-soi journalistique n’est pas contestable.
Mais il convient sans doute d’aller bien au-delà de cette définition pour en mesurer les possibles conséquences au sein d’une profession qui parle quotidiennement d’une matière on ne peut plus sensible que l’on appelle l’information. C’est cette dernière en effet qui permet à chacun d’entre nous de découvrir ce qui se passe autour de nous, d’apprendre et ainsi de se faire une opinion sur des sujets aussi variés que la politique, l’économie, le social etc… ce qui n’est pas sans conséquences sur les rapports que nous pouvons avoir avec autrui, notre raisonnement et, in fine, notre façon d’agir dans notre vie quotidienne.
Mais d’abord qui sont les personnes qui nous informent, combien sont-elles, quelles sont leurs formations, à quel milieu social appartiennent-elles, sachant que les quelques données que l’on peut mettre en avant ne concernent que les journalistes professionnels? Selon la CCIJP (commission de la carte d’identité des journalistes professionnels), il y avait en 2021, 34476 journalistes encartés (36815 en 2001). Pour autant, cette dernière n’étant pas obligatoire pour exercer le métier de journaliste, le chiffre de la CCIJP est sans doute légèrement en deçà du nombre exact de journalistes en activité.
En 2019, leur répartition dans les différents médias était la suivante: 56,9% en presse écrite, 17,6% en télévision, 9,6% en radio, 9,5% en agence de presse et 6% autres (sites d’informations sur internet notamment). Toujours selon la CCIJP, la profession tend vers la parité: 47,5% des journalistes sont des femmes, elles n’étaient que 40% en 2000.
Par ailleurs, et d’une manière générale, leur niveau scolaire est élevé. Deux tiers des étudiants en école de journalisme, ont au moins une licence 3 et un tiers est passé par une classe préparatoire ou par un institut d’études politiques. Un peu plus de la moitié des journalistes ont au moins un parent cadre supérieur ou membre d’une profession intellectuelle supérieure.
Formatage?
Ces lignes parallèles ont-elles une incidence sur le travail journalistique, c'est-à-dire sur le regard que porteraient les journalistes sur la société et donc les choix rédactionnels qui en découleraient?
Cela viendrait renforcer l’idée que l’entre soi aurait des conséquences directes sur la présentation et l’interprétation des événements. Au fond, et pour grossir le trait souvent présenté, les journalistes qui font partie de l’élite auraient une proximité avec le pouvoir –politique et économique notamment, qui les rendrait plus ou moins bienveillants et surtout ne s’intéresseraient qu’aux mêmes sujets.
Cette impression est sans doute renforcée par ce que voient, entendent ou lisent, téléspectateurs, auditeurs et lecteurs. En effet, l’apparition des chaînes d’info en continu mais aussi des émissions dites de «décryptage de l’information», la présence de journalistes, pour la plupart éditorialistes s’est multiplié. Non seulement, le public les voit ou les entend tous les jours mais plusieurs fois par jour parfois sur des chaînes différentes et auxquels l’on demande un avis sur tout, de la politique aux faits divers en passant par l’économie, la médecine, l’histoire etc, etc… De là à en déduire qu’il s’agit de petits « arrangements entre amis »… Le fait qu’à leurs côtés s’expriment régulièrement les mêmes sondeurs, politologues et experts conforte l’idée d’un entre soi, pas seulement des journalistes eux-mêmes mais d’une classe dirigeante dans son ensemble de laquelle se sentent exclus beaucoup de Français.
Le tableau est-il si noir? Assurément non.
En premier lieu, avoir un cursus très ressemblant et des parents faisant partie du dernier décile, ne font pas nécessairement des jumeaux, ni des journalistes avides de relations avec les gens de pouvoir.
Par ailleurs, la pluralité de la presse, l’existence de journaux et de sites numériques exprimant des opinions différentes, évoquant des sujets variés, révèlent un traitement de l’information mais aussi une écriture dissemblable. Ce n’est pas rien. Et, après tout les téléspectateurs, auditeurs et lecteurs, peuvent encore choisir le média auprès duquel ils iront chercher l’information. Ils peuvent aussi comparer.
L’arrivée d’internet qui offre de grandes possibilités de communication car moins chères à mettre en place, permet aussi à des journalistes dont les voix empruntent pour certains un ton moins convenu, d’exister dans le paysage médiatique. Enfin, ce n’est pas parce que l’on intervient souvent que l’on est incompétent sur tel ou tel sujet. Un reporter de guerre qui a passé des années en Afghanistan par exemple sera à même de parler de la situation politique et sociale de ce pays. Son invitation à prendre la parole sera légitime.
Parmi les reproches adressés par les lecteurs à la presse figurent aussi l’idée que les médias vivraient dans une sorte de bulle, dans leur entre soi en somme.
Peut-on faire de cette critique une règle commune?
Dernière modification le vendredi, 02 septembre 2022Sans doute pas mais ils traduisent une défiance envers les journalistes que ces derniers auraient tort d’ignorer. Un ancien directeur de la rédaction d’un grand journal avait coutume de dire aux journalistes : « Chaque jour, labourez le terrain. ». Il voulait ainsi les inciter à prendre le pouls des gens, à leur parler mais surtout à les écouter. Pas les représentants du pouvoir et des institutions, pas les grands dirigeants mais tous ceux qui étaient au plus près de l’information et dont la parole n’était freinée ni par la peur ni par l’ambition.
En résumé, fréquenter un peu moins les plateaux, oublier son téléphone, et reprendre un contact plus direct. C’est peut être un des bons moyens pour éviter l’entre-soi…"
Fabien PONT, Médiateur Journal Sud-Ouest