Aux compétences techniques et intellectuelles requises pour pouvoir exercer un emploi (les « hard skills »), doivent désormais s’ajouter des compétences comportementales et personnelles que l’on nomme « soft skills », variables selon la tâche à accomplir : l’aptitude au travail en équipe, la capacité d’écoute des autres, l’esprit critique, le sens de l’organisation, savoir s’exprimer oralement et de façon convaincante en public, avoir l’esprit de recherche, le sens de l’organisation …».
Pendant fort longtemps, on a considéré que les « hard skills » étaient la partie principale (et souvent même unique) du « portefeuille de compétences » qu’il convenait de prendre en considération pour tout recrutement. On a désormais pris conscience qu’elles ne sont que des conditions nécessaires, mais non suffisantes. Autrement dit, pour reprendre une citation célèbre attribuée à Michel de Montaigne : avoir une tête bien pleine c’est bien, mais il faut en outre qu’elle soit bien faite ! C’est ce que les anglophones expriment par l’équation suivante : « hard skills » + « soft skills » = « good skills »
Du monde professionnel au monde de la formation : l’introduction progressive d’une conception élargie des compétences que doivent acquérir les élèves
C’est vers la fin des années 1990 que l’on a assisté à une pénétration de cette conception élargie des compétences dans les établissements d’enseignement supérieur professionnels.
Faisant le lien entre leurs missions de formation, et les profils désormais attendus par les employeurs, un nombre croissant de responsables d’établissements de formation ont introduit cette nouvelle conception des compétences attendues des candidats à l’admission dans un établissement d’enseignement supérieur sélectif. Progressivement, on a assisté à une évolution des critères de sélection à l’entrée en prenant en compte cette nouvelle façon de concevoir ce qu’est le bon « portefeuille de compétences » des candidat(e)s.
En outre, les esprits se sont progressivement ouverts à l’idée qu’il conviendrait désormais de s’efforcer de former les étudiants en ayant la volonté de leur permettre d’acquérir ces deux types de compétences, dans le souci de bien répondre aux besoins des employeurs, et donc d’augmenter l’ « employabilité » de leurs jeunes diplômés lorsqu’il leur faudra se positionner en demandeurs d’emplois.
C’est ce qui explique que, depuis quelques années, on a vu apparaître sur le site Parcoursup (qui est en France le portail obligatoire par lequel on régule les demandes d’admission des candidats à l’admission en première année de l’enseignement supérieur), et sur les documents de présentation, des listes de prérequis (« attendus ») qui sont considérés comme étant des sortes de conditions de la réussite, et doivent être considérés comme des critères de tri des candidats lorsque la formation est sélective. Leur lecture détaillée montre à quel point cette conception élargie des compétences attendues des candidats est désormais consacrée.
1. L’exemple des « attendus » du BUT (bachelor universitaire de technologie) génie biologique :
Le BUT (« bachelor universitaire de technologie ») de génie biologique est une formation en trois ans, proposée par 39 IUT. Voici, pour l’année 2022, les « attendus » (pré requis) que les candidats étaient supposés avoir acquis, tels qu’ils étaient présentés sur Parcoursup, et sur les sites de ces 39 IUT.
Les attendus du BUT génie biologique
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Compétences générales :
- Avoir une maîtrise du français permettant de communiquer à l’écrit et à l’oral de façon adaptée, de comprendre un énoncé, de l’analyser et de rédiger une solution.
- Avoir une connaissance suffisante de l’anglais permettant de progresser pendant la formation : échanger à l’oral, lire et comprendre un texte, répondre aux questions écrites et orales.
- Etre capable de mémoriser des connaissances.
- Savoir mobiliser des connaissances et développer un sens critique.
- Etre capable d’évoluer dans un environnement numérique et détenir des connaissances de base en bureautique.
Compétences techniques et scientifiques :
- Avoir des bases scientifiques en biologie, chimie, physique et mathématiques.
- Avoir un intérêt pour les manipulations pratiques, en particulier en biologie et- biologie/biochimie
- Savoir mobiliser ses connaissances pour répondre à une résolution de problème.
- Savoir élaborer un raisonnement structuré et adapté à une situation scientifique.
Qualités humaines :
- Avoir une première réflexion sur son projet professionnel.
- Montrer son intérêt pour les sciences et sa motivation pour les domaines relevant notamment de la biologie, chimie, mathématiques et physique.
- Avoir l’esprit d’équipe et savoir s’intégrer dans les travaux de groupe via les projets et les travaux pratiques.
- Avoir le sens pratique, être attentif, curieux, rigoureux et persévérant.
- Savoir s’impliquer et s’organiser dans ses études (ou gérer sa charge de travail) pour fournir le travail nécessaire à sa réussite en autonomie.
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Source : Fiche ONISEP de présentation du BUT génie biologique et sur le portail Parcoursup (en 2022)
Parmi les « attendus » de cette formation, on distingue aisément ce qui est de l’ordre des « hard skills » (les savoirs) et des « soft skills » (les compétences comportementales).
- Les premières sont les connaissances sans lesquelles on ne peut espérer réussir le parcours d’études considéré. Concernant cette formation, il s’agit des connaissances en sciences (notamment en biologie, mais aussi en chimie et physique) et en mathématiques. Il faut aussi avoir de bonnes capacités concernant les « manipulations pratiques » (TP), notamment dans le domaine biologique/biochimique, avoir acquis un bon niveau en français et en anglais (écrit et oral), savoir utiliser les outils numériques et bureautique.
- On ajoute une vaste liste de compétences humaines et transversales qui sont de l’ordre du « savoir être » : avoir un esprit critique, être apte au travail en équipe, un sens pratique, faire preuve d’attention, de rigueur, être persévérant, avoir l’esprit d’organisation, savoir gérer sa charge de travail… Tout cela est de l’ordre des « soft skills »
- Ainsi, pour un(e) candidat(e) à l’admission dans cette formation, il ne suffit plus d’être bon(ne) élève. C’est certes toujours une condition nécessaire, mais elle est désormais insuffisante : il faut en outre avoir acquis tout ou partie des compétences comportementales qui sont affichées.
2. Vers une réforme en profondeur des modalités d’évaluation des élèves :
Dans les lycées et collèges, on a progressivement pris conscience de cette évolution des critères de sélection qui sont désormais mis en œuvre pour trier les candidat(e)s à l’entrée d’un nombre d’établissements d’enseignement supérieur qui ne cesse d’augmenter. Bien plus, les équipes de direction des établissements scolaires secondaires, mais aussi les professeurs, les parents, les élèves eux-mêmes… prennent petit à petit conscience de cette évolution, et s’ouvrent à l’idée que les critères d’évaluation des élèves évoluent dans le même sens.
Or, traditionnellement, ce qui est évalué est d’ordre fondamentalement (voire uniquement) scolaire. Il suffit de lire quelques bulletins scolaires pour constater une évidence : ce qui est évalué (par les notes et appréciations qualitatives) c’est essentiellement ce qui est de l’ordre des résultats obtenus par chaque élève dans les divers enseignements disciplinaires et globalement. Il est rare que ces bulletins fassent mention des compétences transversales et comportementales de l’élève. Les professeurs sont tellement centrés sur leur enseignement disciplinaire, et le système scolaire si fortement focalisé sur la dimension purement scolaire du bilan des élèves, que peu nombreux sont ceux d’entre eux qui, lorsqu’ils dressent le bilan d’un(e) élève, pensent à élargir leur champ de vision en s’efforçant d’ajouter des évaluations concernant les compétences comportementales acquises.
Prenons l’exemple d’une compétence très fréquemment évoquée par les « attendus » d’un grand nombre d’établissements d’enseignement supérieur : la capacité à prendre la parole en public de façon convaincante. Cette exigence étant clairement signalée, on peut penser qu’un professeur de philosophie qui aurait eu une ou plusieurs occasions d’observer qu’un(e) élève qui demande son admission dans une telle formation supérieure a fait preuve d’une bonne compétence de ce type (pour avoir bien fait un exposé devant ses camarades de classe et son professeur de philosophie, pour avoir participé activement aux échanges oraux qui ont parfois lieu pendant les cours de philosophie …) serait dans son rôle en signalant qu‘il a observé que cet élève est bien porteur de cette compétence. Or, force est de constater que si certains le font, beaucoup plus nombreux sont ceux qui ne le font pas.
Il s’agit ni plus ni moins que de demander aux professeurs de tenir compte de ces éléments constitutifs des capacités non strictement scolaires des élèves. Nul doute qu’il y là un thème qui mérite d’être étudié et débattu, par exemple dans le cadre de journées pédagogiques organisées au sein de chaque collège et/ou lycée. L’objectif visé serait double : faire prendre conscience de cette nouvelle donne en matière d’évaluation des élèves, construire en commun des outils dont on devra se servir pour satisfaire un tel besoin.
Notre avis est qu’il ne suffira pas que des textes réglementaires nationaux viennent cadrer localement un tel dispositif d’évaluation : il nous semble plus efficace de faire confiance aux équipes administratives et pédagogiques de chaque établissement en leur confiant le soin d’y réfléchir en commun et de construire localement les outils et modalités nouvelles qui permettraient de le faire utilement.
3. Vers une conception élargie de ce que doit être l’offre de formation et d’éducation des établissements scolaires secondaires
Une telle démarche d’initiative concertée au niveau de chaque établissement secondaire pourrait ne pas se limiter à une volonté d’adaptation des pratiques concernant l’évaluation des élèves à ces nouvelles réalités. En fait, les conséquences de cette « révolution des attendus » de l’enseignement supérieur ne se limitent pas à la seule question des pratiques d’évaluation des élèves.Elleincite fortement les équipes de direction des établissements à poser la question de l’offre de formation et d‘éducation qui peut être proposée aux familles par chaque collège et/ou lycée.
Derrière chaque compétence comportementale mise en avant par les « attendus » de Parcoursup se niche la question de savoir comment et où s’y préparer. Il est bien entendu possible d’aller chercher cela dans le cadre d’instances de formation externes, hors les murs du monde scolaire, et donc d’ajouter un temps complémentaire de formation à celui correspondant aux obligations scolaires. Mais on observe qu’un nombre croissant d’établissements scolaires secondaires proposent ou se préparent à proposer des actions éducatives venant s’ajouter aux activités pédagogiques obligatoires.
Les « attendus » affichés pour chaque formation supérieure sur le site Parcoursup indiquent toutes diverses « soft skills » qui peuvent être développées par diverses activité scolaires ou para scolaires.
Ainsi, par exemple, pour l’admission en Institut de formation aux soins infirmiers (IFSI), il est écrit que les jurys « attendent des candidats qu’ils aient le sens de l’intérêt général » et « sont ouverts aux autres ». Cette « compétence comportementale » étant une des conditions de l’admission, tout(e) candidat(e) a grand intérêt à faire transparaître qu’il (elle) en est porteur(euse), en signalant une ou plusieurs actions réalisées dans le cadre scolaire ou extra-scolaires de type « don de soi », telle par exemple qu’ avoir servi des repas à des personnes démunies, participé activement à une collecte de vêtements destinés à être redistribués vers des populations défavorisées ou toute autre action de bénévolat au service des autres.
Cela pourra être communiqué au jury de sélection dans le cadre du « projet motivé » (la mini lettre de motivation demandée dans chaque dossier de candidature Parcoursup), et/ou à la rubrique « Activités et centres d’intérêt ». Un lycée qui serait caractérisé par une forte proportion d’élèves qui demandent chaque année une telle orientation, pourrait organiser diverses actions de bénévolat, seul ou en partenariat avec des organisations externes, afin de faciliter de telles pratiques para scolaires, et donc augmenter leurs chances d’être admis dans une telle formation supérieure sélective. Autre exemple : de nombreux lycées (et même certains collèges), ont mis en place des « ateliers d’éloquence » visant à développer la très demandée compétence en « art oratoire », qui vise à permettre de s’exprimer oralement de façon convaincante en public. Etc.
De facto, cet élargissement des compétences attendues des élèves candidat(e)s suscite, depuis quelques années, dans un nombre croissant d’établissements d‘enseignement secondaire, la création d’activités de type « para scolaire » diverses, venant enrichir l’offre de formation de l’établissement. Il nous semble d’autant plus important que cela se développe au sein des collèges et/ou lycées que dans le cas contraire, les familles n’auront pas d’autre choix que d’aller chercher cela dans des organes ou associations externes, fréquemment payantes ou d’y renoncer. Il y aurait là matière à s’interroger sur l’équité sociale qui entourerait une telle évolution, venant s’ajouter au fait que la prise de conscience de l’importance de l’acquisition de diverses compétences comportementales pour l’avenir des élèves est plus largement répandue dans les milieux sociaux favorisés.
Conclusion :
Il suffit de parcourir les « attendus » de Parcoursup pour constater que la liste de ces actions parascolaires susceptibles d’être proposées aux élèves, dans ou hors les murs de l’école, est fort longue. Il est n’est donc possible d’accroître à l’infini l’offre de formation/éducation d’un établissement permettant de répondre à ces besoins en développement des compétences comportementales des élèves. Si on s’ouvre à cette conception élargie des formations dispensées dans la cadre de l’établissement, il faut nécessairement se fixer des priorités et donc des limites.
Du côté des familles, de plus en plus demandeuses d’une telle ouverture, il pourrait s’avérer contreproductif de charger les élèves d’un trop grand nombre d’activités de ce type, dans et hors les murs de l’école, venant en supplément du travail scolaire nécessaire pour l’acquisition des connaissances et compétences disciplinaires (les « hard skills »). L’essentiel des acquisitions doit évidemment se situer du côté de ces dernières.
On ne le dira jamais assez : malgré cette nécessaire prise en compte de l’importance croissante des compétences comportementales, l’acquisition d’un solide bagage de connaissances et compétences scolaires demeure fondamental. Mais il faut aussi bien réaliser que ce n’est là désormais qu’une condition nécessaire de la réussite dans l’enseignement supérieur. Pour qu’elle soit suffisante, il faut présenter un profil complet, additionnant les deux parties composantes de cet ensemble de qualités.
Bruno MAGLIULO
Inspecteur d’académie honoraire
Formateur/conférencier/auteur