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Il n’est pas un seul jour où l’on parle pas d’intelligence artificielle (IA) dans les médias, sur les réseaux sociaux etc. Cette technologie nouvelle, qui a déjà de nombreuses applications, serait vouée à une généralisation tous azimuts. Entre fascination et inquiétudes les avis sont partagés quant à son impact sur le marché du travail : à tort ou à raison ?

L’IA a déjà une longue histoire

Le terme « intelligence artificielle » a été inventé par John McCarthy en 1955 pour désigner « les programmes informatiques qui s’adonnent à des tâches, pour l’instant accomplies de façon plus satisfaisante par des êtres humains ». L’IA est établie comme une discipline scientifique lors de la conférence de Dartmouth en 1956.

Les première applications de l’IA sont les systèmes experts qui ont été développés dès les années 1960 : les plus connus sont DENDRAL, qui déterminait la structure et les composants chimiques d’une molécule à partir de mesures spectroscopiques et MYCIN, qui était une outil d’aide à la décision pour le diagnostic médical de maladies du sang.

Les systèmes experts sortent des laboratoires à la fin des années 70 et auront des applications telles que l’évaluation de sites miniers, la configuration d’ordinateurs, l’optimisation fiscale, le diagnostic de pannes de locomotives, le pilotage de mission spatiale…

A partir des années 80 les travaux sur les réseaux de neurones et sur l’apprentissage « profond » permettront la mise au point d’outils plus puissants capables d’effectuer des opérations plus complexes : compression de données, prévision de consommation d’eau ou d’électricité, optimisation du trafic routier ou analyse des cours boursiers.

A la fin des années 1990 la banalisation de l’informatique et le déploiement mondial d’internet ont facilité la circulation et le stockage d’une masse considérable de données. Cela a permis l’accélération du développement des réseaux neuronaux et l’évolution des algorithmes d’apprentissage parallèlement à l’augmentation de la puissance de calcul des ordinateurs. Grâce à ces avancées la reconnaissance vocale, le traitement du langage naturel et l’analyse d’image on pu progresser suffisamment pour être utilisés dans des assistants virtuels et de la reconnaissance faciale…

La démocratisation du smartphone en 2010 s’est traduite a été rapidement suivie par un déferlement planétaires de « fonctions intelligentes du quotidien » (navigation, recommandations etc.) en même temps que l’explosion du recours au moteurs de recherche, de l’internet des objets et de l’engouement pour les réseaux sociaux.

Les premiers modèles d’IA générative apparaissent à la fin des années 2010 et permettent aux machines de “créer” du contenu sous forme de texte et d’image. Ces IA génératives sont proposées au grand public à partir de 2022 comme ChaGPT, MidJourney etc. Des expérimentions ont commencé dans des services publics ) et des test sont en cours en chimie (nouveaux matériaux), en pharmacologie (nouveaux médicaments).

IA : A quoi ça sert aujourd’hui ?

Comme cela a été évoqué plus haut, l’IA (et l’IA générative) est déjà utilisée dans de nombreux domaines : Industrie, Services, Institutions publiques…

Industrie

Automatisation ou/et robotisation des procédés de fabrication, analyse prévisionnelle la performance des produits, gestion des approvisionnements et de la logistique, optimisation de la consommation des ressources (matières premières, énergie), contrôle prédictif de la qualité, planification de la maintenance, design de nouveaux produits, recherche de nouveaux matériaux …

Marketing & Publicité-Commerce-Finance

Collecte et traitement des données de consommation (cartes de fidélité, achats en ligne), publicité ciblée sur internet, assistants commerciaux virtuels, détection d’anomalies bancaires, conseil financier personnalisé…

Services publics et parapublics 

Automatisation des tâches administratives, accompagnement des élèves dans les apprentissages des savoirs (français et en mathématiques), tri du courrier, optimisation du trafic routier, assistance à la recherche d’emploi, détection des fraudes fiscales…

Santé

Aide au diagnostic (imagerie médicale, analyses biologiques), optimisation voire personnalisation des traitements, chirurgie assistée, robots compagnons, recherches de nouveaux médicaments,

Sécurité

Prévention des activités délictueuses et criminelles, analyse des données de surveillance, aide à la gestion de crise, protection des réseaux informatiques : détection de comportements suspects lutte contre les cyberattaques

Défense 

Surveillance et reconnaissance, prévention des attaques, assistance au commandement.

Au quotidien 

Moteurs de recherche, réseaux sociaux, correction orthographique, traduction automatique, calcul d’itinéraire en temps réel, jeux vidéo, agents conversationnels (chatbots), reconnaissance biométrique (bâtiment à contrôle d’accès, connexion informatique), assistants personnels, domotique intelligente, aide à la conduite des véhicules, production de texte, d’images, de musique, de code informatique…

Au total

50 % des entreprises utilisaient des technologies d’intelligence artificielle dans le monde en 2022 ce qui représente un marché de plus de 300 milliards de dollars en 2023, dont 40 milliards pour l’IA générative (source : Statista)

IA et marché du travail : Réalité méconnue et menace hypothétique

Parce ce qu’elle est capable de faire en imitant l’homme l’IA suscite bien des interrogations quant à la disparition de nombreuses professions.. Qu’en est il vraiment et à quoi peut on s‘attendre demain ?

IA dans le monde du travail aujourd’hui

Comme toutes les avancées technologiques l’IA transforme le monde du travail.

Dans les entreprises où elle a été adoptée les premières tâches qui ont évolué relèvent de l’exécution de travaux physiques complexes avec des robots intelligents :

  • pour de la manutention dans les immenses entrepôts logistiques des enseigne internationales d’e-commerce ;
  • pour des contrôles de sécurité et des opérations de maintenance dans les circuits hydrauliques des centrales nucléaires,
  • pour de l’inspection ou de la surveillance d’infrastructures (bâtiments, ponts, barrages, canalisations…) ;
  • pour faire la cuisine comme le robot « Chef », conçu entreprise anglaise Moely, qui prépare des recettes en fonction de la demande de l’utilisateur et des ingrédients disponibles.

D’autres machines intelligentes sont à l’œuvre pour effectuer des prestations « intellectuelles », pour exemples :

  • le juriste virtuel, « Peter », a été mis au point au États-Unis en 2015 pour faire de l’assistance à la création de start-up
  • l’« avocat-robot, « DoNotPay » a fait annuler 160 000 contraventions de Londoniens en 2016
  • la société Dilitrust offre une plateforme de gestion de contrats, litiges et contentieux qui est utilisée par plus de 2000 grandes entreprises en 2023 (dont plusieurs sociétés du CAC40).
  • les logiciels de comptabilité, qui ont remplacé les « écritures » dès les années 1980, sont devenus des robots-comptables qui effectuent seuls (ou presque) des taches standardisées (saisie, rapprochements bancaires) à partir de données reçues par internet.

Le secteur de la communication a aussi franchi le pas vers l’IA :

  • depuis 2010 on peut directement traduire le texte d’un menu ou d’un panneau dans la rue après l’avoir photographié avec son smartphone ;
  • en Chine un robot qui présente le Journal Télévisé a fait son apparition fin 2018. Il peut lire un prompteur, lancer des vidéos.

Si l’irruption des IA générative a été particulièrement bruyante, son adoption par les professionnels n‘a pas été immédiate contrairement à ce que quelques cas, fortement médiatisés en 2023, ont pu laisser penser (annonce du départ de la moitié des effectifs français de société de veille sur internet Onclusive, expérimentation de ChatGPT dans le groupe de presse EBRA). Or, à ce jour, il n’y a pas de bouleversement du marché du travail.

Cela dit on peut s’attendre à des changements dans l’exercice de nombreuses professions chez les « cols blancs ». Ainsi l’IA peut gérer de tâches répétitives ou fastidieuses comme la recherche d’informations pour un journaliste, l’exploitation de bases de données jurisprudentielles par un avocat ; en revanche, en l’état de ses performances actuelles, l’IA générative ne peut pas remplacer l’intervention humaine pour vérifier des sources d’information ou s’assurer de la cohérence d’un ensemble de références judiciaires. Dans le secteur culturel c’est sans doute le cinéma qui semble être le plus exposé à des mutations significatives qu’il s’agisse de l‘écriture du scenario ou de l’analyse d’audience en passant par le casting, la création d’images ou de voix de personnages.

De manière plus générale, il convient de rappeler qu’avant arrivée des IA (génératives ou non) de nombreux métiers ont déjà été transformés (architecte, designer, géomètre, ..) grâce à des outils numériques complexes dits « assistées par ordinateur » sans que cela ne provoque leur disparition.

Quoi qu’il en soit le fonctionnement des IA porte ses propres limites quant à sa capacité de substituer complètement l’action de l’Homme. Aussi gigantesque soit le corpus de données compilées en silos dans leurs « mémoires », leur traitement mathématique et programmé ne peut reproduire l’imprévisible plasticité cérébrale humaine. L’IA, qui procède par assemblage algorithmique de machines « apprenantes », ne peuvent pas véhiculer de l’émotion, des sous entendus, des nuances qui sont incalculables. Dénuée d’intuition, de sensibilité et d’affect l’intelligence artificielle ne sait pas faire preuve discernement, de jugement, de bon sens.

Et après ?

L’IA n’a pas provoqué de bouleversement massif du marché du travail jusqu’à maintenant, certes, mais qu’en sera t il demain ?

En mars 2023, 4 mois après le lancement de ChatGPT, une étude publiée par Golman Sachs-Economics Research annonçait que 300 millions d’emplois sont « exposés » à l’automatisation » par les IA génératives aux États-Unis et en Eutope ( N.B. la somme des populations actives de ces deux régions s’élève actuellement à 600 millions de personnes ). D’après le bulletin de recherche publié par la BCE en novembre 2023, environ 25% de tous les emplois sont concernés par l’automatisation basée sur l’IA. En janvier 2024 une étude du FMI annonce que, « d’une façon ou d’une autre », l’IA, va impacter 40% des emplois tous pays confondus. En mars 2024 la Commission (Française) de l’Intelligence Artificielle publie un rapport qui cite des travaux montrant que dans l’ensemble du monde le nombre d’emplois ayant un potentiel d’amélioration par l’IA est est plus élevé que celui des emplois ayant un potentiel de remplacement par l’IA et suggère que « les emplois directement remplaçables par l’IA ne représenteraient donc que 5 % des emplois d’un pays comme la France ».

On voit là combien il est difficile de faire une prospective quantitative des métiers anciens qui disparaîtront et des métiers nouveaux qui émergeront pour accompagner le déploiement de ces technologies nouvelles. L’estimation de l’impact de l’intelligence artificielle sur la destruction et la création d’emploi est d’autant plus spéculative que les incertitudes sur l’évolution de la technologie elle-même et ses utilisations socio-économiques ne manquent pas.

Même si comparaison n’est pas raison, rappelons nous que l’imprimerie, le chemin de fer, l’électricité, l’informatique n’ont pas massivement réduit le marché du travail et l’on peut s’attendre à ce qu’il en soit de même avec l’IA sans optimisme béat cependant. En effet l’impact de l’IA sur le monde du travail ne se limite pas aux effectifs de telle ou telle profession, car bon nombre d’entre elles seront exercées autrement grâce au progrès des connaissances dans de multiples domaines qui ne relèvement pas de l’IA.

Pour préparer le travail de demain, la future redistribution des tâches entre l’homme et la machine doit être anticipée dans les parcours de formation et, plus encore, l’ampleur de la diffusion de intelligence artificielle dans l‘économie nous impose de veiller à ce qu’elle soit au service de l’homme et non le contraire.

Xavier Drouet

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Dernière modification le vendredi, 24 mai 2024
Drouet Xavier

Xavier DROUET, 63 ans, est ancien élève de l'École Normale Supérieure où il a étudié la Physique et la Biochimie. Il est aussi Docteur en Médecine.
Après une carrière scientifique dans la recherche académique, appliquée et industrielle, il a dirigé plusieurs sociétés à fort contenu technologique pendant 15 ans et consacré 8 années à soutenir la recherche, l'innovation et le développement économique au niveau régional et national à des postes de direction au ministère de la Recherche et dans les services du Premier Ministre en France.
Depuis 2015 il exerce une activité d'expertise et de consultant pour accompagner des projets de créations ou de croissance d'entreprises de la microentreprise unipersonnelle à la start-up «techno».
Il est également auteur et conférencier (sciences, économie, stratégie) pour le compte d'entreprises, d'organisations de diffusion de la culture scientifiques et de media d'information pour les professionnels ou le « grand public ».

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