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Photo JRBrousse An@é
"L'assouplissement de la carte sco­laire tend donc à légi­timer ins­ti­tu­tion­nel­lement des dif­fé­rences sociales et eth­niques déjà perçues comme des inéga­lités et des dis­cri­mi­na­tions par les parents eux-​​mêmes." : un rapport de la recherche réa­lisée pour la HALDE – Défenseur des Droits et la DEPP – MEN
Publié par Prisme le 28 avril 2012 
 

"La carte sco­laire est cou­ramment pré­sentée comme un outil essentiel de pro­duction de la mixité sociale à l’école, censé garantir l’égalité répu­bli­caine. Pour atteindre effec­ti­vement cet objectif d’égalité des chances entre les élèves, d’un même quartier et de quar­tiers dif­fé­rents, deux condi­tions sont néces­saires. D’une part, il fau­drait que les établis­se­ments sco­laires soient égaux, en termes de qualité des ensei­gnants, des équi­pe­ments, de variété des options pos­sibles, des res­sources mobi­lisées pour et autour de l’enseignement. De l’autre, il fau­drait que la com­po­sition sociale du groupe sco­larisé soit sem­blable d’un établis­sement à l’autre.

Pour ce qui est de la pre­mière condition, de nom­breux travaux ont montré combien les écoles, col­lèges et lycées sont inéga­lement dotés, ce qui contraste for­tement avec le mythe répu­blicain (Duru-​​Bellat, 2002 ; Felouzis, 2003 ; van Zanten, 2001 ; Oberti, 2007). Quant à la seconde condition, on peut consi­dérer, en pre­mière analyse, que la carte sco­laire, étant donné le principe d’affectation des élèves selon le lieu de rési­dence des parents, enre­gistre avant toute chose la carte de la dis­tri­bution rési­den­tielle des groupes sociaux. Pour que cette condition soit remplie et que la mixité sco­laire soit réa­lisée, il fau­drait que cette dis­tri­bution soit égale, et donc que la ségré­gation rési­den­tielle soit faible ou nulle. Comme ce n’est pas le cas, on peut consi­dérer que la carte sco­laire enre­gistre l’état de la ségré­gation urbaine. Elle peut, au mieux, empêcher son aggra­vation, ce qui n’est pas négli­geable, mais ne com­porte aucun méca­nisme pro­mouvant une mixité sco­laire plus forte que la mixité rési­den­tielle, à la dif­fé­rence par exemple des poli­tiques de « busing » mises en oeuvre aux Etats-​​Unis, qui répar­tissent les élèves entre les écoles d’une muni­ci­palité par un système de transport sco­laire afin d’aboutir à davantage de mélange. Dans cer­taines villes comme Chicago, il existe également d’autres mesures de dis­cri­mi­nation positive dans l’accès aux lycées d’élite, qui prennent en compte les carac­té­ris­tiques socio-​​économiques du quartier de rési­dence pour diver­sifier socia­lement le recru­tement de ces établis­se­ments sélectifs (Oberti, 2011).

Comme la ségré­gation rési­den­tielle, tant socioé­co­no­mique qu’ethno-raciale, est assez impor­tante dans les villes fran­çaises et dans la métropole pari­sienne, la seconde condition de l’égalité sco­laire est loin d’être remplie, et l’on peut s’attendre à une ségré­gation sco­laire consé­quente, certes modérée par rapport au cas extrême des États-​​Unis mais affai­blissant les condi­tions de réa­li­sation du modèle répu­blicain.

Appuyée sur la construction d’une typo­logie des établis­se­ments, l’analyse com­pa­rative des profils sociaux des col­lèges montre que la ségré­gation sco­laire est en fait plus forte encore que la ségré­gation rési­den­tielle. L’explication de ce sur­croît de ségré­gation tient à deux fac­teurs. Le premier est celui du décalage entre la dis­tri­bution spa­tiale des groupes sociaux et la dis­tri­bution des ménages avec enfants de ces mêmes groupes sociaux. Ces ménages – et donc leurs enfants – sont d’autant plus désa­van­tagés dans leur accès aux res­sources urbaines par rapport à leur groupe d’appartenance qu’il s’agit de groupes sociaux plus modestes voire pauvres. En effet, les ménages avec enfants, deman­deurs de loge­ments plus grands tout en dis­posant de res­sources plus faibles car ils sont plus jeunes et ont plus de charges du fait de la pré­sence des enfants, se trouvent en position relative défa­vo­rable sur le marché du logement. Le décalage est encore plus net pour les ménages d’immigrants plus récents, qui ont plus d’enfants tout en étant moins bien insérés, tant sur le marché du travail que sur celui du logement, deux domaines où les dis­cri­mi­na­tions de type ethno-​​racial sont par­ti­cu­liè­rement mar­quées.

Le second facteur de décalage est celui de la dis­torsion entre la dis­tri­bution rési­den­tielle des enfants et leur dis­tri­bution sco­laire, qui résulte des pra­tiques paren­tales de recherche d’un meilleur établis­sement sco­laire ou d’évitement de l’établissement de secteur ; nous dis­cu­terons plus loin de ce point à la lumière de l’étude des flux de déro­gation. La typo­logie des col­lèges montre l’intensité des contrastes de dis­tri­bution des dif­fé­rents groupes d’élèves en fonction de leur origine sociale ou nationale, et les com­po­si­tions sociales locales des popu­la­tions sco­laires qui résultent de cette ségré­gation. Notons cependant que l’idéal répu­blicain n’est pas une pure vue de l’esprit puisque près de 40 % des élèves de 6e étaient sco­la­risés en 2007 dans un collège de type moyen-​​mélangé, où toutes les caté­gories sociales étaient repré­sentées avec des écarts modérés à la moyenne. Mais la majorité des élèves, plus de 60 %, étaient sco­la­risés dans des établis­se­ments s’écartant for­tement de cet idéal ; soit parce qu’ils accueillaient prin­ci­pa­lement des enfants des caté­gories supé­rieures et très peu d’enfants des caté­gories popu­laires et moins encore d’enfants étrangers  – les col­lèges classés comme supé­rieurs dans notre typo­logie –  ; soit parce qu’au contraire ils n’accueillaient que très peu d’enfants des caté­gories supé­rieures et comp­taient une forte pré­do­mi­nance des enfants des caté­gories popu­laires et des enfants étrangers.

C’est cette dis­tance entre les enfants des caté­gories supé­rieures et les enfants des caté­gories popu­laires et étrangers qui est la com­po­sante majeure de la ségré­gation sco­laire ; et c’est entre les enfants dont les parents sont chefs d’entreprise, cadres d’entreprise ou exercent une pro­fession libérale et les enfants des caté­gories popu­laires et étrangers que le sur­croît de ségré­gation entre les dis­tri­bu­tions rési­den­tielle et sco­laire est le plus marqué. Ce point est d’autant plus important à sou­ligner qu’une bonne partie de la lit­té­rature impute aux classes moyennes la res­pon­sa­bilité de la ségré­gation sco­laire, alors que ces classes moyennes sont pourtant net­tement plus proches rési­den­tiel­lement des classes popu­laires, et qu’il n’y a pas de sur­croît de ségré­gation sco­laire entre classes moyennes et classes popu­laires. On relève cependant une exception, qui, si elle n’est qu’une com­po­sante mineure de la ségré­gation sco­laire d’ensemble, mérite d’être sou­lignée à nouveau ici. C’est la ségré­gation sco­laire extrê­mement forte entre les enfants des poli­ciers et des mili­taires et les enfants de classes popu­laires, par­ti­cu­liè­rement des ouvriers qua­lifiés et des immigrés (enfants étrangers). Il nous semble que cette ségré­gation consi­dé­rable pose pro­blème quant au caractère répu­blicain des forces chargées du maintien de l’ordre public, le maintien d’une telle dis­tance sociale ne pouvant qu’encourager la méfiance réci­proque et, pour les agents d’autorité, une ten­dance à la stig­ma­ti­sation et à la dis­cri­mi­nation des classes popu­laires et des immigrés.

Les col­lèges de type supé­rieur offrent aux enfants des caté­gories supé­rieures des condi­tions de sco­la­ri­sation pri­vi­lé­giées du fait de la pré­do­mi­nance d’enfants appar­tenant à des familles dotées de res­sources cultu­relles impor­tantes, leur trans­mettant un patri­moine de dis­po­si­tions et de connais­sances rendant les appren­tis­sages sco­laires plus rapides et plus effi­caces, ou pour le moins de res­sources écono­miques per­mettant d’acheter les ser­vices d’accompagnement sco­laire y aidant direc­tement. De plus, des ana­lyses loca­lisées ont permis de montrer que, bien souvent, les col­lèges et lycées des beaux quar­tiers étaient aussi ceux qui offraient les options et acti­vités diverses les plus variées. Dans ces beaux quar­tiers, l’effet des prix immo­bi­liers et des loyers élevés garantit la quasi-​​exclusivité de l’entre-soi pour ces enfants des caté­gories supé­rieures, ainsi « pro­tégés » de la confron­tation avec les enfants des autres classes sociales (pour l’analyse de pra­tiques loca­lisées d’organisation explicite de cet entre-​​soi, voir Pinçon et Pinçon-​​Charlot, 1989). Il est frappant que cet entre-​​soi sco­laire des caté­gories supé­rieures soit assuré dans ces beaux quar­tiers et com­munes rési­den­tielles par les col­lèges publics, tout en étant consolidé par l’offre com­plé­men­taire des col­lèges privés, qui y est fort riche et encore plus sélective socia­lement. 

An@é

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