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Le numérique responsable, selon l’Institut du même nom, est un numérique écologique, éthique et inclusif. 

  • Écologique, parce que le numérique est un acteur majeur d’émission de gaz à effet de serre (et en progression exponentielle !).
  • Éthique, parce que le numérique est devenu trop souvent invisible, incompris, aussi simple à l’usage qu’il est complexe sous le capot, et qu’il doit (re)devenir transparent, responsable, social.
  • Inclusif, parce que le numérique ne doit pas être un nouveau facteur d’exclusion sociale des personnes, que ce soit en termes d’accessibilité (personnes à handicap notamment), d’accès (équipement et infrastructure numériques) ou de compréhension (méconnaissance des usages).

 

Sur ces trois aspects, la politique de l’Éducation nationale doit être exemplaire. Or cette politique est loin d’être parfaitement définie, et a besoin d’être menée de manière concertée par tous ses acteurs, nationaux ou locaux : le ministère de l’Éducation nationale et ses services décentralisés (académies, DSDEN), les collectivités (régions, départements et villes), les établissements scolaires.

En vue des États généraux du numérique pour l’éducation, prévus pour novembre 2020, il parait opportun de rappeler quelques principes impératifs pour mener une politique de numérique responsable.

Ne pas équiper massivement mais privilégier la mutualisation des équipements

Équiper massivement revient quasi systématiquement à acheter du matériel neuf. Or selon la dernière étude de Greenit, « La fabrication des appareils concentre de 36 à 87 % des impacts environnementaux (selon l’indicateur observé). »

Par ailleurs, la durée moyenne d’utilisation de ces matériels a été divisée par 4 en 10 ans. La durabilité, la maintenance, la réparation de ces équipements achetés massivement doivent aujourd’hui être prises en compte comme un critère principal.

Mais plus fondamentalement, il faut résister à la tentation habituelle d’équiper massivement, alors que c’est coûteux écologiquement et économiquement, et que l’expérience montre que ça n’est jamais suivi d’effets dans les usages (manque de formation, matériel inadéquat par rapport aux besoins réels, manque de prise en compte des préférences individuelles, etc.).

S’il est une raillerie bien connue dans l’éducation nationale, c’est l’image « des tablettes qui restent au placard ». C’est pourtant une réalité, et il faut commencer par comprendre pourquoi, puis de lister ce qu’on a déjà, avant d’acheter à nouveau.

Quelques propositions

Il faut mutualiser l’usage des équipements existants : les enseignants pourraient utiliser l’équipement de l’établissement (les classes mobiles) pendant tout le temps où ce matériel n’est pas utilisé par les élèves. En dehors des temps de classe par exemple.

Il existe également des pistes très sérieuses de mutualisation entre acteurs de l’éducation scolaire et périscolaires : ce sont les collectivités dans les deux cas qui équipent, parfois les lieux physiques sont les mêmes. Il faut réinventer la propriété et la circulation du matériel (et relancer par la même occasion la notion de continuum éducatif).

On peut imaginer de demander un état des lieux national des équipements existants, et le revaloriser, réaliser des transferts entre établissements (voire des rachats entre collectivités ?).

Il est possible d’acheter d’occasion, reconditionné. Compte tenu des volumes d’achat, il faut exiger des constructeurs une meilleure durabilité, une réparation tout le long du contrat, et un recyclage complet du matériel, idéalement en économie circulaire.

Ne pas généraliser de logiciels qui ne sont pas indispensables à tous les enseignants, rationaliser les services numériques de l’éducation nationale, supprimer les doublons, éco-concevoir

Ces chiffres, issus d’une formation de l’Institut du numérique responsable sont particulièrement évocateurs :

  • 27 milliards gâchés en achat de logiciels inutiles (rien qu’aux US et GB)
  • 70% des sociétés achètent des licences qu’elles n’utilisent pas, 20% des applications sont redondantes
  • 10 à 50% des logiciels pourraient être supprimés sans nuire à l’activité
  • Environ la moitié des fonctionnalités logicielles demandées par les utilisateurs n’est JAMAIS utilisée

Il parait évident, pour des raisons économiques (on parle bien d’argent public, disponible en quantité limitée) et écologiques, de limiter au maximum la généralisation de logiciels, outils et ressources numériques. Et de privilégier une logique décentralisatrice où les achats et installations se font par exemple au niveau des établissements.

De la même manière, il est temps de réfléchir à une véritable stratégie nationale mais décentralisée des services numériques. Car aujourd’hui, elle est inexistante. Pourtant, de très nombreux services existent : Ma classe à la maisonMyriaeViaeducInnovathèqueEduscolCanoprofBRNEEduthèque, etc.

Cette offre pléthorique est portée par des acteurs (publics et privés) divers, ce qui contribue à la rendre difficilement lisible. Beaucoup de ces services sont sous-utilisés, car méconnus des personnels enseignants (déficit de communication) ou mal conçus, certains sont en doublon, d’autres ont été abandonnés. Pendant la période exceptionnelle qu’a constitué le confinement et l’enseignement à distance, certains services ont au contraire été « submergés », car sous-dimensionnés pour faire face à la charge.

À lire : Un site Web multi-serveur multi-organisations sans trop de travail

Quelques propositions

Il faut rationaliser une stratégie, lister les services actuellement maintenus, dédoublonner, réfléchir à ceux qui sont utilisés ou non, ceux qui sont utiles ou non, ceux qui existent déjà en dehors du sein de l’éducation nationale (coucou Framasoft), ceux qui n’existent pas.

Et il faut ensuite redéfinir une stratégie. Qui doit faire quoi, à chaque échelle ? Pour qui ? Avec quel(s) financements ? En mobilisant quels acteurs ? Avec quelle gouvernance ? Quelle stratégie de maintenance ? Quelle stratégie de communication ?

Sur cet aspect, on peut faire beaucoup plus tout en le faisant beaucoup mieux.

Se poser la question des technologies gourmandes vs les “low tech”

Certaines technologies sont particulièrement gourmandes en énergie émettrice de GES (gaz à effet de serre). C’est notamment le cas de l’intelligence artificielle. L’Éducation nationale doit vraiment se poser la question de l’utilité de certaines technologies, par rapport à leur impact écologique et/ou social.

Il faut également faire preuve de réalisme : les technologies gourmandes nécessitent des équipements puissants, des infrastructures réseau puissantes, etc. Non seulement on en est très loin, mais ce n’est sans doute pas souhaitable. Pensons donc low tech, car les enseignants ne demandent autre chose.

Quelques propositions

Il faut commencer par écouter les besoins des enseignants, et penser globalement une stratégie par rapport aux équipements choisis, aux infrastructures réseau. Trop souvent, on équipe en matériel alors que le réseau de l’établissement ne tient pas la charge. Forcément le wifi ne suit pas. Il faut inverser la tendance : infrastructures réseaux > matériel > ressources et services, mais en intégrant les acteurs à chaque étape.

Il faut également penser éco-conception dès le départ, sobriété, en même temps qu’accessibilité et inclusivité.

À lire : Training a single AI model can emit as much carbon as five cars in their lifetimes / Pourquoi l’intelligence artificielle est un désastre écologique

Se poser la question de l’éthique des algorithmes utilisés dans le système éducatif

Les algorithmes posent de plus en plus question, parce qu’ils sont le plus souvent propriétaires, opaques, à objectif marchand. Or ces algorithmes influencent nos pensées, nos achats, nos modes de vies.

Dans le cadre de l’Éducation nationale publique, il faut impérativement que les algorithmes développés répondent à un cahier des charges très exigeant en terme d’éthique, d’inclusivité, de transparence. Cela vaut à la fois pour les algorithmes développés directement par les services de l’Éducation nationale (Parcoursup) mais aussi pour les algorithmes développés par des fournisseurs de l’Éducation nationale (les Edtech par exemple).

Quelques propositions

Il y a sans doute là un cahier des charges éthique à formaliser avec les différents acteurs de l’éducation et de l’école : les enseignants et les élèves, les parents, les autres professionnels de l’éducation. Ce cahier des charges pourrait servir d’aide à la conception de service, ou au choix de services existants (libres ou non, gratuit ou non, publics ou privés). La question du caractère open source systématique de ces algorithmes utilisés dans le cadre éducatif peut également se poser.

À lire : Comment évaluer l’éthique d’un algorithme ? / Serment d’Hippocrate pour Data Scientist

Toujours garder en tête que le numérique doit être inclusif

Dans cette stratégie numérique, il ne faut jamais oublier ceux que le numérique, consciemment ou pas, exclue. Les femmes, les porteurs de handicap(s), les populations qui ont des difficultés avec la forme scolaire ou l’exercice de la lecture et de l’écriture. Il est indispensable de (re)penser les services numériques avec cette réalité en tête, pour concevoir et développer de manière beaucoup plus inclusive.

Quelques propositions

Il est facile de mettre en place des comités de pilotage ou de surveillance incluant ces citoyen·ne·s trop souvent exclus. Cela permet du même coup d’intégrer des utilisateurs aux réflexions, de rester « ancré » et pas « hors sol » comme c’est bien souvent le cas.

Il faut également penser la stratégie de numérique éducatif avec les grandes structures dont c’est déjà la mission d’œuvrer pour plus d’inclusion. Ils sont experts de leurs sujets, et ils développent déjà des services numériques. Je pense par exemple à Emmaüs connect, la mednum, etc.

Conclusion

Il faut bien comprendre que dans le numérique, c’est la conception et la production qui représentent bien souvent la majorité des impacts environnementaux. On dit alors qu’avant d’optimiser, d’éco-concevoir, il faut commencer par ne pas consommer, ne pas produire. Le meilleur déchet est celui qui n’existe pas. La meilleure énergie est celle qu’on ne consomme pas.

C’est pareil pour le numérique responsable : le dispositif le plus écologique est celui qu’on ne déploie pas. Le service le mieux éco-conçu est celui qui ne voit pas le jour. Il faut donc lister et rationaliser les besoins, se donner les moyens d’une stratégie intelligente et exigeante, s’accompagner des bons experts.

De nombreuses personnes en France sont sensibilisées sur ces questions et peuvent contribuer. Il faut aussi enfin intégrer les enseignants, les élèves et les parents aux réflexions, car ils sont les utilisateurs finaux !

Profitons des États généraux pour poser ces enjeux, les discuter, et les intégrer dans notre future stratégie numérique.

Des ressources pour réfléchir

Louis Derrac

https://louisderrac.com/2020/08/28/leducation-nationale-doit-adopter-une-politique-de-numerique-responsable/

 

Dernière modification le mardi, 08 septembre 2020
Louis Derrac

Consultant et formateur spécialisé dans les domaines de l'éducation et de la culture numérique
 
Ex @Tralalere et ex @Madmagz