Sources
La publication en 1999 d’un livre édité par Denis Meuret, La justice du système scolaire (Bruxelles, De Boeck, 1999), m’avait attiré l’attention. Les différents auteurs y évoquaient les différences produites par et au sein du système scolaire mais sans évoquer les procédures d’orientation. Cette absence de regard critique sur un processus institutionnel propre à notre système scolaire est très curieuse. On peut relier cette absence ce que je relevais dans le rapport Thélot qui a précédé la loi. De 2005, mais aussi semble-t-il lors des réflexions de la Refondation. J’ai déjà évoqué cette question dans La résistance des procédures d’orientation, jusqu’à quand ?
Dans ce même livre, François Dubet publiait l’article : Sentiments et jugements de justice dans l’expérience scolaire (pp. 177-193). Il y proposait une réflexion articulée autour de trois thématiques : le mérite, l’égalité, le respect. “Ces trois dimensions de la justice sont autonomes, elles le sont d’autant plus que l’école est à la fois démocratique dans ses principes, méritocratique dans ses fonctions, et éducative, centrée sur le respect de la personne et de son caractère unique.” (p. 182)
C’est cette lecture qui je crois m’a donné cette idée de cette triple exigence concernant les décisions d’orientation. L’absence de normes externes oblige les acteurs à prendre des décisions permettant un certain consensus, et pour cela il doivent coordonner trois exigences pour est acceptés. J’ai déjà abordé ces trois notions dans l’article Ecole : l’évaluation des élèves peut-elle être juste ?
La justice, référence de légitimité
En France les procédures d’orientation sont réglementées. Le cadre de la production de la décision est réglementé. La plus ancienne circulaire connue en la matière date de 1880. Les modalités des demandes, celles des prises de décision (ce sur quoi on est en droit et en obligation de décider, de formuler des propositions), la période des conseils de classe, l’organisation des prises de décision et le recours possible, tout cela est réglementé. Mais c’est la forme de la production de la décision d’orientation qui est réglementée, non le fond. L’orientation est une décision administrative. Il est donc nécessaire que les professeurs principaux qui participent très largement et en « première ligne » à la mise en œuvre de ces procédures, les connaissent et surtout les comprennent et les expliquent à leurs collègues. La réglementation est souvent perçue comme une restriction de leurs “pouvoir”. Ils doivent également l’expliquer aux parents et aux élèves. Les chefs d’établissement devraient en être le garant. Mon expérience sur le terrain et en tant que formateur me fait dire qu’il n’en est pas toujours ainsi. Au moment de l’arrivée de la réforme Haby au niveau de la cinquième, certains chefs d’établissement ont omis d’informer les familles que l’orientation vers un CAP ne pouvait se faire qu’avec l’accord de la famille. Et j’ai rencontré de nombreux proviseurs persuadés qu’ils étaient en droit d’imposer après la seconde une orientation vers un BEP.
Des recours en Tribunal administratif et parfois jusqu’en Conseil d’état sont possibles. J’en parlerai sans doute dans un prochain article.
La justesse, référence de validité
Un deuxième niveau de justice à gérer, est la justesse des décisions par rapport aux groupes de référence, la classe, l’établissement, et au-delà, le bassin (en tant qu’espace où se trouve organisée la commission d’appel). Tout le monde sait que le système de notation à la française joue symboliquement lieu d’étalon pour établir cette justesse. Mais tout le monde sait également que ses fondements (la production des notes) se trouvent peu assurés, et que c’est la conviction des acteurs qui tient lieu d’assurance.
La pertinence, référence d’acceptabilité
Mais il ne faut pas oublier le troisième niveau de « justice », celui de la pertinence d’une décision par rapport à la personne elle-même. Si la décision n’est pas pertinente pour la personne elle-même, ressenti comme telle, il y aura sans doute remise en cause de la décision. Il y aura également un investissement positif très difficile à réaliser pour la personne dans la suite de son parcours. Les difficultés observées chez les redoublants proviennent de ce sentiment d’injustice, de non-reconnaissance de leur personne.
L’accord entre ces trois modalités de justice ne va pas de soi bien entendu. C’est notamment le rôle du professeur principal de faire comprendre ces trois registres, aussi bien aux élèves et à leurs parents, qu’aux collègues enseignants. Si son rôle est ici de l’ordre de « l’art », de l’arrangement. Il s’acquière sans doute avec le temps. Mais il est néanmoins sans doute nécessaire d’attirer l’attention des jeunes professeurs, principaux ou non d’ailleurs, sur cet aspect de la complexité de leur rôle.
Bernard Desclaux
Dernière modification le mardi, 02 septembre 2014