Tout le monde comprend cela. On n’imagine pas un médecin lâché dans un cabinet ou un hôpital, sans formation, accompagné épisodiquement par un vieux médecin expérimenté – les maîtres de stage sont majoritairement vieux par l’âge ou par les conceptions, leur expérience étant un gage de conformisme pour produire du conformisme -. Pourtant, on l’a fait sans provoquer de grands rassemblements dans les rues, il est vrai.
La mastérisation a permis de mettre en évidence ce que tout le monde savait, que l’on peut être brillant mathématicien et être complètement incapable d’enseigner les maths. On imagine bien que si l’on persévérait dans cette erreur d’accroître la quantité de savoirs disciplinaires et de faire disparaître la formation professionnelle on finirait par voir s’enfuir des profs poursuivis par des hordes d’élèves en colère. Tout le monde comprend cela.
Mais alors, quand les experts commencent à élaborer et à présenter leurs propositions, plus personne n’y comprend rien. Recrutement à M1 ou M2, en fin ou au début de M1 ou de M2, universités ou écoles professionnelles, contenus disciplinaires ou compétences professionnelles, école universitaire ou école professionnelle, pré recrutement ou non. Et chacun de raconter savamment ses certitudes de spécialistes. Pétitions et motions s’entrelacent … Pour changer quoi ?
On affirme avec force que l’Ecole et l’éducation sont l’affaire de la Nation, de tous les citoyens et citoyennes, et on fait tout pour rendre les choses incompréhensibles. La formation des enseignants est affaire de spécialistes, d’universitaires patentés qui n’ont jamais mis un pied dans une école depuis qu’ils en sont sortis, d’experts, ces experts qui dans tous les domaines étouffent la démocratie en parlant au nom de ceux qui ne savent pas. Pour certains, on le voit bien, l’objectif est de pouvoir continuer à faire ce qu’ils pensent savoir faire, même dans un contexte restructuré.
En observant le spectacle, je repense à cette soirée à Arras, au moment de la mise en place des trois IUFM expérimentaux prévus au lendemain de la loi d’orientation de 1989, en présence de Joseph Losfeld, directeur de l’IUFM de Lille, et des sommités de l’Education Nationale, où je m’étais fait huer par un public de professeurs d’Ecole Normale et de maîtres formateurs, au moment où j’ai dit que pour réussir cette nouvelle formation, il faudrait un grand plan préalable de re-formation des formateurs. Ouahhh, la bronca !!! J’étais très fier de moi. L’échec partiel de cette belle idée de refondation de la formation trouve pourtant une explication dans le fait que l’on a changé facilement les frontons des établissements ou les épitaphes, mais que l’on a trop souvent persisté à faire « de la même chose » ou presque.
Va-t-on recommencer ?
J’observe que dans le clair-obscur des débats, personne (même parmi mes grands amis concernés) ne parle de l’adéquation des pratiques pédagogiques de la formation elle-même – mais, c’est comme pour l’école, pourquoi changerait-on quelque chose qui ne marche pas ? – avec les pratiques de l’école du futur. Personne ne parle de l’articulation pratique / théorie que l’on ne sait pas exploiter sérieusement. On juxtapose toujours stage dans une classe avec un prof et cours théorique essentiellement disciplinaire alors que l’on doit former au travail d’équipe et à l’analyse des pratiques. La pédagogie de résolution de problèmes appliquée aussi bien à la formation des maîtres qu’à la pratique pédagogique en classe, qui pourrait être une solution, avec une réforme des contenus (sociologie, philosophie, histoire de l’éducation et des disciplines, anthropologie…) est très éloignée des porteurs d’une culture exclusivement disciplinaire.
Alors, on pourra passer de l’EN à l’IUFM et à l’ESPE sans changer grand-chose et en laissant soigneusement les néophytes dans l’ignorance des vrais problèmes. On aura rétabli une formation. Et alors ?