fil-educavox-color1

A propos de Stéphane Hessel et Edgar Morin - Laurent Carle réagit au billet de Pierre Frackowiak : http://www.educavox.fr/Stephane-Hessel-et-Edgar-Morin.

Ce billet a suscité de nombreux commentaires sur notre site et sur d’autres médias. La réaction nous incite à relancer le débat sur le commentaire lui-même.

Par ailleurs, nous avons communiqué billets et commentaires à Stéphane Hessel et à Edgar Morin. Nous vous informerons des réactions éventuelles.

  

"Je n’ai pas encore lu leur opuscule

C’est étonnant de la part de deux illustres compagnons de la Résistance, militants de toutes les résistances.

Ce qui donne à penser que nul libre penseur, si hétérodoxe, si grand et renommé soit-il, n’est à l’abri des virus de l’idéologie. 95 % des Français ne savent distinguer entre un prof enseignant et un prof pédagogue. En sont-ils ?

Le mot « pédagogie » ne fait pas partie du lexique courant. Et quand il est employé, c’est en tant que synonyme de « enseignement ».

Certains journalistes télé répètent en perroquets ignorants la formule de communication politique : « faire de la pédagogie » pour « informer l’électorat », à propos d’un choix politique dont on prévoir qu’il recevra un accueil hostile chez la majorité des Français.

L’école et l’enseignement magistral se confondent dans l’opinion. Rares sont ceux qui font la différence entre apprendre et enseigner, du moins concernant les activités autorisées, dites légales, dans les murs de l’école.

L’école est magistro-centrée.

C’est la Maison des enseignants, pas celle des enfants.

Le temps scolaire est au bon vouloir du maitre qui planifie l’emploi du temps et l’utilise à sa guise pour enseigner ou pour autoriser à jouer, quand il n’enseigne pas : par exemple, au mois de juin. On ne peut se livrer à d’autre activité que celle de suivre l’enseignement, d’abord, et de se prêter, ensuite, de gré ou de force à des travaux écrits ritualisés, donnés par le prof et toujours individuels, sous la contrainte « morale » du « chacun pour soi ».

L’élève n’a pas le choix du chemin pour parvenir à la maitrise des savoirs. Il lui est surtout demandé de « travailler » pour être bien noté, sans savoir où cet obscur tunnel le mène. Si bien que la note prend toujours le dessus sur la connaissance reléguée à l’arrière-plan des motivations scolaires.

Cet individualisme de compétition institutionnalisé interdit tout échange et donc tout apprentissage. Le temps de l’école est réservé exclusivement au prof et à son enseignement, non aux élèves et à leurs apprentissages. C’est pourquoi, dans l’école française, contrairement à l’école finlandaise, on n’utilise que des méthodes d’enseignement jamais des « méthodes d’apprentissage ».

C’est une erreur de croire que cette école, que nous connaissons pour l’avoir fréquentée, enfant puis enseignant, est un lieu sociologiquement et idéologiquement neutre, qu’elle donne sa chance à tous, individuellement et indépendamment de toute appartenance sociale, en fonction du mérite de chacun.

On n’y entre pas à égalité et on n’y suit pas le même parcours selon qu’on est bien né ou fils de pauvre.

Cette école bicentenaire, qu’on la nomme paroissiale ou communale, privée ou publique, confessionnelle ou laïque, favorise ou défavorise depuis toujours en fonction de l’origine sociale. Elle s’adresse en apparence à des individus, en réalité à des classes sociales. Elle façonne des personnalités soumises ou contestataires, selon qu’on se soumet ou qu’on s’y refuse. Elle ne forme pas de véritables citoyens autonomes, responsables et civiquement majeurs.

Comment cela se pourrait-il dans une structure fermée sur elle-même, avec un responsable unique, un adulte à qui sont attribués les rôles cumulés de législateur, gouverneur, policier, juge, distributeur, arbitre, entraineur, sélectionneur, correcteur-notateur et directeur de conscience ?

Ce métier absolu, mais imaginaire, à compétences multiples, rend l’élève objet d’enseignement et non sujet d’apprentissages. Pour l’exercer avec bonheur, la perfection est requise. Faute de quoi, on risque la dépression.

Aux enfants formés à la passivité docile, gavés de savoirs absurdes qui n’ont aucun sens, il faudra beaucoup de volonté et de lucidité pour devenir à la fois adultes et électeurs, à l’âge requis. Au terme d’une scolarité consacrée à assimiler des « notions » scolaires sans autre motivation que de décrocher des diplômes, exposés à des enseignants trop occupés à remplir la mémoire des robots, devenus incapables de voir l’enfant derrière l’écolier, la personne derrière l’élève, peu y parviendront.

Faute de projet éducatif adossé à un projet social : quel enfant vers quel citoyen, pour quelle société, l’école à la française est en train de s’enfoncer dans les marécages du tri et de la compétition, de la barbarie.

La pédagogie, cette forme d’éducation scolaire où les temps de parole, les actions et les décisions sont partagés entre maitres et élèves, où toutes les activités ont du sens, si mal connue et si peu pratiquée, est pourtant la forme scolaire de la démocratie.

Une école démocratique n’est pas une loterie où chacun a sa chance, ni un stade de compétition où « tout le monde peut gagner », mais le lieu de la vie commune, de la socialisation et du partage des savoirs.

LE LIEU DE LA PÉDAGOGIE, la seule véritable éducation à la citoyenneté".

 Laurent CARLE

 Crédit photo : l’équipe à la Haute Ecole de la Province de Liège. Réunion Educavox

An@é

L’association An@é, fondée en 1996, à l’initiative de la création d’Educavox en 2010, en assure de manière bénévole la veille et la ligne éditoriale, publie articles et reportages, crée des événements, valorise les innovations, alimente des débats avec les différents acteurs de l’éducation sur l’évolution des pratiques éducatives, sociales et culturelles à l’ère du numérique. Educavox est un média contributif. Nous contacter.