Le texte proposé divise les acteurs et les partenaires de l’Ecole qui le jugent « insuffisant » ou au contraire « trop contraignant ». Il est proposé de fixer le temps hebdomadaire de travail des élèves à « 24 heures d’enseignement, réparties sur 9 demi-journées » au lieu des 8, instaurées par la réforme Darcos en 2008. Les journées ne doivent plus compter que 5 heures 30 maximum par jour (au lieu de 6 heures) et 3h30 le mercredi matin. La « pause méridienne » doit durer « au minimum 1h30 ».
Cette proposition de réforme part d’un bon sentiment : les évaluations montrent que les élèves n’apprennent pas suffisamment, les décrochages sont nombreux dès l’école primaire. La réponse est simple : « augmentons le nombre de périodes scolaires ». En fait, répartissons mieux le temps scolaire par une demi-journée supplémentaire et réduisons la durée de la journée scolaire jugée trop chargée, en supprimant une demi-heure de cours chaque jour.
La réponse paraît évidente… mais les apparences sont parfois trompeuses ! Aucune corrélation n’est établie entre temps scolaire et apprentissage, la question est beaucoup plus complexe et dépend de beaucoup d’autres facteurs[1]… Ce qui paraît évident quand on bâtit un programme électoral devient plus difficile à réaliser quand les acteurs concernés s’en mêlent. Il est vrai qu’un tel changement n’implique pas les seuls élèves, eux d’ailleurs ont rarement leur mot à dire ! Sont concernés les enseignants bien sûr, mais également les municipalités de par les activités péri-scolaires et les transports scolaires, les diverses associations culturelles et sportives qui oeuvrent le mercredi ou le samedi matin, ainsi que les parents, sans compter les professionnels du tourisme et des loisirs[2]. Tous ont des intérêts bien précis en la matière, le plus souvent contradictoires. Les municipalités par exemple n’ont pas toujours les personnels ou simplement les moyens financiers à disposition ; elles ne souhaitent pas augmenter fortement leur budget juste avant les prochaines municipales. Les enseignants qui perdent les mercredis matins se posent la question de leur temps de travail, ils en profitent pour réclamer des revalorisations.
Mettre en œuvre un changement
Tout paraît alors bien difficile... Pourtant un peu de recul sur un passé récent montrerait que le changement de l’école ne se décrète pas de façon globale... et qu’un changement « réussi » vient rarement d’en haut ! Cette difficulté de mutation n’est d’ailleurs pas l’apanage de l’école : toute organisation réagit de la sorte. Dans tout système humain (individu, entreprise, institution, etc..), le fait de décréter –ou de légiférer- un changement est ressenti par ses éléments ou ses membres comme un « diktat ». Tous le vivent comme une agression et réagissent immédiatement en opposant toute l’énergie de leurs résistances. « On n’est pas favorable à un modèle tiré au cordeau par la rue de Grenelle », déclare Sébastien Sihr, secrétaire général du principal syndicat enseignant du primaire.
Les mesures seraient-elles favorables ou porteuses d’innovations heureuses qu’il en serait tout de même ainsi ! Les institutions qui ont le plus fait l’objet et les frais de tentatives de réformes maladroitement engagées, s’avèrent précisément celles qui ont le plus de mal à évoluer. Il en résulte à chaque fois un peu plus d’immobilisme. ; ce qui est dramatique en période de mutation. L’institution se bloque ainsi par une conception archaïque de l’organisation de ses ministres successifs et de son administration centrale. Dès lors, il n’est pas étonnant que la majorité des enseignants… attendent toujours la prochaine réforme ! L’exemple des TPE –les travaux personnels encadrés- est des plus démonstratifs ; à tous les échelons, des élèves aux inspecteurs, des résistances ont fusé lors de leur implantation non préparée, avant qu’ils ne soient encensés quand un ministre a voulu les… supprimer !
Tout changement venant d’en haut est perçu par les personnes concernées comme un déni ; immédiatement elles mobilisent tous leurs freins pour se maintenir en l’état. Et pour les quelques téméraires ou les plus légalistes ou encore, pour ceux qui se laissent tenter par quelques sirènes rénovatrices, le retour « sur terre » est ensuite encore plus fatal. Par exemple, les enseignants qui se sont investis dans « l’Ecole du XXIe siècle » de Claude Allègre sont aujourd’hui les plus conservateurs... Ils ont été lâchés en rase campagne six mois après, sans un mot de remerciement. Et ceux qui ont cru au développement de l’éducation artistique lancée par Jack Lang ? Comment les remotiver ensuite pour une autre épopée ?
Si l’on chiffrait les pertes dues à cette non-prise en compte de "l’écologie" des organisations, on prendrait alors réellement conscience du coût de ces attitudes dommageables dans la conduite du changement. Et ce serait sans compter celles encore plus pernicieuses liées au non respect déjà évoqué… L’énergie, le temps, la motivation mises pour compenser cette frustration au lieu d’utiliser ces ressources et ces compétences pour poursuivre un développement volontaire et enrichissant sont incalculables. Un seul ministre avait bien perçu cette dynamique négative : il se nommait Edgar Faure. « En décrétant le changement, disait il, l’immobilisme s’est mis en marche et je ne sais plus comment l’arrêter. » C’était lors de la mise en place de sa réforme de l’Education nationale… en 1968 ! Depuis tout n’a jamais fait que se répéter…
Le changement, un processus complexe
Les changements réussis s’élaborent progressivement à la base, et d’autant plus efficacement que l’on évite le recours aux ordres intempestifs qui sont généralement subis comme des ruptures et quea contrario l’on prend appui sur les potentialités que tout système humain possède pour évoluer. Ce sont des conditions de base pour obtenir la coopération des membres et des parties d’une organisation dans sa dynamique d’évolution.
Ensuite, tout changement a besoin d’être pensé de façon globale et sur la durée. Trop de réformes sont mortes de n’avoir attaqué qu’un petit bout du problème. Hier le socle, aujourd’hui les rythmes, etc,… seul un projet global, cohérent a des chances de succès. Sans une refondation des programmes scolaires, sans une autre formation des enseignants, la seule modification du rythme des enfants n’a pas de sens !.. Quant à l’heure ou à la demi-heure prise en charge par les mairies pour… attendre 16h30, on peut légitimement s’interroger sur la qualité des activités et de l’encadrement quand on les met en place à la hussarde.
Les évolutions efficaces n’ont été possibles que dans les quelques cas de projet éducatif territorial, dans lequel l’ensemble de la communauté éducative a contribué à sa définition, à l’organisation et la mise en œuvre, sur des valeurs et des finalités partagées. Pourquoi ne pas tenir compte de ces expériences ? Encore faut-il prendre en compte les différents temps de vie du jeune -y compris ceux passées sur les médias et le numérique- et veiller à coordonner les actions pédagogiques organisées dans le cadre du projet d’école avec les initiatives des collectivités territoriales et les propositions des associations, y compris celles de l’éducation populaire...
Le promoteur du changement n’est pertinent qu’indirectement… en soutien[3]ou en valorisation. Il n’est efficace que dans le respect et la valorisation des systèmes humains et des personnes pour dynamiser leurs possibilités d’évolution. Toute organisation humaine, et cela est encore plus vrai pour l’école et ses personnels, y compris de direction, a fondamentalement besoin de cette reconnaissance et de cette valorisation avant de pouvoir entrer dans une dynamique d’évolution. C’est alors que les ressources et les compétences du système deviennent mobilisables pour parvenir aux fins souhaitées. Or, contrairement à ce que l’on pense généralement, les innovations ne manquent pas à l’école. Le problème est qu’elles sont peu connues, pas évaluées, rarement mutualisées, jamais valorisées. La plupart du temps, les enseignants les font même en cachette de peur de se faire « taper sur les doigts » !
C’est cette culture du changement qu’il s’agit d’injecter dans nos organisations, et pour commencer à… l’école.
André Giordan et Jérôme Saltet
[2]Cette fois les autorités religieuses n’ont pas évoqué la demi-journée « catéchisme », comme les fois précédentes.
[3]De nombreuses petites communes risquent aussi de na pas avoir les moyens humains pour entreprendre une telle politique éducative. Elles ont besoin d’être accompagnées.
Dernière modification le lundi, 30 mai 2016