Je l’ai déjà dit dans un billet, l’avancement des réflexions passe souvent par la politique du détour. Je voudrais commencer mes développements sur la salle de co working en me référant à un passage de la huitième édition de notre dame de Paris de Victor Hugo.
“Nos lectrices nous pardonneront de nous arrêter un moment pour chercher quelle pouvait être la pensée qui se dérobait sous ces paroles énigmatiques de l’archidiacre : Ceci tuera cela. Le livre tuera l’édifice.
À notre sens, cette pensée avait deux faces. C’était d’abord une pensée de prêtre. C’était l’effroi du sacerdoce devant un agent nouveau, l’imprimerie. C’était l’épouvante et l’éblouissement de l’homme du sanctuaire devant la presse lumineuse de Gutenberg. C’était la chaire et le manuscrit, la parole parlée et la parole écrite, s’alarmant de la parole imprimée ; quelque chose de pareil à la stupeur d’un passereau qui verrait l’ange Légion ouvrir ses six millions d’ailes. C’était le cri du prophète qui entend déjà bruire et fourmiller l’humanité émancipée, qui voit dans l’avenir l’intelligence saper la foi, l’opinion détrôner la croyance, le monde secouer Rome. Pronostic du philosophe qui voit la pensée humaine, volatilisée par la presse, s’évaporer du récipient théocratique. Terreur du soldat qui examine le bélier d’airain et qui dit : La tour croulera. Cela signifiait qu’une puissance allait succéder à une autre puissance. Cela voulait dire : La presse tuera l’église.
Mais sous cette pensée, la première et la plus simple sans doute, il y en avait à notre avis une autre, plus neuve, un corollaire de la première moins facile à apercevoir et plus facile à contester, une vue, tout aussi philosophique, non plus du prêtre seulement, mais du savant et de l’artiste. C’était pressentiment que la pensée humaine en changeant de forme allait changer de mode d’expression, que l’idée capitale de chaque génération ne s’écrirait plus avec la même matière et de la même façon, que le livre de pierre, si solide et si durable, allait faire place au livre de papier, plus solide et plus durable encore. Sous ce rapport, la vague formule de l’archidiacre avait un second sens ; elle signifiait qu’un art allait détrôner un autre art. Elle voulait dire : L’imprimerie tuera l’architecture.”Victor Hugo, Notre-Dame de Paris - Livre cinquième, huitième édition
À notre sens, cette pensée avait deux faces. C’était d’abord une pensée de prêtre. C’était l’effroi du sacerdoce devant un agent nouveau, l’imprimerie. C’était l’épouvante et l’éblouissement de l’homme du sanctuaire devant la presse lumineuse de Gutenberg. C’était la chaire et le manuscrit, la parole parlée et la parole écrite, s’alarmant de la parole imprimée ; quelque chose de pareil à la stupeur d’un passereau qui verrait l’ange Légion ouvrir ses six millions d’ailes. C’était le cri du prophète qui entend déjà bruire et fourmiller l’humanité émancipée, qui voit dans l’avenir l’intelligence saper la foi, l’opinion détrôner la croyance, le monde secouer Rome. Pronostic du philosophe qui voit la pensée humaine, volatilisée par la presse, s’évaporer du récipient théocratique. Terreur du soldat qui examine le bélier d’airain et qui dit : La tour croulera. Cela signifiait qu’une puissance allait succéder à une autre puissance. Cela voulait dire : La presse tuera l’église.
Mais sous cette pensée, la première et la plus simple sans doute, il y en avait à notre avis une autre, plus neuve, un corollaire de la première moins facile à apercevoir et plus facile à contester, une vue, tout aussi philosophique, non plus du prêtre seulement, mais du savant et de l’artiste. C’était pressentiment que la pensée humaine en changeant de forme allait changer de mode d’expression, que l’idée capitale de chaque génération ne s’écrirait plus avec la même matière et de la même façon, que le livre de pierre, si solide et si durable, allait faire place au livre de papier, plus solide et plus durable encore. Sous ce rapport, la vague formule de l’archidiacre avait un second sens ; elle signifiait qu’un art allait détrôner un autre art. Elle voulait dire : L’imprimerie tuera l’architecture.”Victor Hugo, Notre-Dame de Paris - Livre cinquième, huitième édition
J’engage ce billet N° 2 sur les lieux de co-working [1] dans les Universités en me posant encore cette même question : “Ceci tuera t-il cela ?” Le numérique fera t-il disparaître les architectures universitaires classiques ? L’évaporation du récipient historique pyramidal est-il engagé ? La pensée humaine en changeant de forme changera t-elle le mode d’expression ? Nous ne pouvons que nous poser ces questions.
Je voudrais insister dans ce billet, non seulement sur le lieu mais sur les individus engagés dans le processus de conception de la salle de co-working. Une des clés de notre réflexion réside dans la capacité des acteurs à interagir dans un lieu dédié. La conception de ce lieu ne doit pas se limiter à simplement agencer des M2. Pour cela il est nécessaire de constituer une équipe pluridisciplinaire qui soit en capacité de croiser les champs d’analyse.
Il faut signifier ce lieu aux acteurs des constructions intellectuelles et le rendre signifiant au sein des dispositifs immobiliers universitaires.
Signifier le lieu : Il ne faut pas que cette salle soit noyée dans la masse immobilière de l’Université. Il est indispensable de contextualiser sa localisation dans le cadrastrage global pour mettre en exergue sa centralité, son accessibilité, son ouverture à l’Université et au-delà , sa clarté.
Rendre signifiant le lieu : La salle de co-working est un concept qui commence à s’insérer dans la paysage de la recherche, il ne bénéficie cependant pas encore d’une grande visibilité. Il faut expliquer les enjeux de ce lieu aux équipes, démontrer que la seule stratégie immobilière ne se suffit pas à elle-même mais qu’elle est articulée autour d’une politique réflexive et de recherche. La salle doit être identifiée comme intégrante des programmes universitaires.
La salle de co-working est donc un catalyseur des espoirs de la société numérique, celle qui permet à un groupe d’acteurs de collaborer au sein de communautés élargies. On peut y travailler avec ses étudiants, chercher avec ses pairs, s’autoformer, s’ouvrir à des tiers, du monde non universitaire, mais à la condition d’avoir pensé les formes réelles et symboliques de cette salle.
Il s’agira dans le cadre d’un projet construit d’avoir la capacité à travailler en interdisciplinarité (les Infocom ou les sciences de l’éducation ne peuvent être les seuls à impulser la démarche) [1]. Ce processus collaboratif ne peut aboutir qu’à la condition qu’il y ait une scénarisation en amont [2] en n’oubliant pas de s’interroger sur la part du construit et du bricolé [3]
J’avais insisté dans un billet précédent sur les effets négatifs de la pensée en silo. Ils peuvent se révéler contreproductifs dans l’élaboration d’un projet complexe comme celui de la salle de co-working si l’on procède par dissociation. Le risque, si l’on y prend garde, est de rapidement déboucher sur la conception d’un projet hors-sol qui dissocie les questions d’architecture, des questions d’interaction. Elles sont liées, intimement liées, aussi faut-il constituer des équipes pluridisciplinaires pour la phase de conception (DSI, pôle numérique, enseignants, designer, équipe présidentielle, étudiants, partenaires extérieurs …)
Il faut que les équipes sachent, citons un titre de Martin Heidegger, “bâtir, habiter, penser”
Il faut partir du postulat que la salle de co-working encapsulée dans une Université, est avant tout un lieu de formation favorisant des interactions humaines spatialisées (dans les espaces réels comme dans les espaces virtuels), qu’il s’agisse de formation, d’autoformation, de collaboration, de formation par les pairs ...dans sa phase de conception, elle doit être le résultat d’une scénarisation.
Elle doit révéler un potentiel (dunamis, virtus) qui ne demande qu’à être exprimé, mis en page. À l’inverse elle peut rester au stade d’un simple agencement, aimable anecdote de conception d’intérieur, en l’absence de vision globale scénarisée.
En partant de ce présupposé, il faut mener des analyses sur les modes de relations interactives notamment sur le champ des possibles de la coopération et de la collaboration dans les dispositifs universitaires. Que veut-on exprimer en concevant cette salle ? On peut se risquer ici à reprendre les axes de la scénarisation pédagogique :
Quel est le contexte pédagogique dans lequel on évolue, quelle est l’intention pédagogique qui prévaut à l’investissement dans la salle, quel est le public visé, quelles sont les ressources ressources que l’on souhaite produite, quels sont les outils qui seront instrumentés ?
Engager cette réflexion c’est se mettre en disposition intellectuelle de penser ce lieu comme étant évolutif, itératif, inséré dans un dispositif scientifique réflexif et surtout présent dans une politique globale de l’Université. Sans volonté politique la salle de co-working a t-elle un avenir ? Il faut définir quelles sont les personnes engagées dans cette réflexion, les temps propices à l’occupation des salles (Travaux dirigés, projets pluri-disciplinaires, autoformation ...)
Une salle de co-working est en filigrane, un lieu d’ouverture et de dialogue, peut-on l’ouvrir sur des temps larges ? La possibilité d’une ouverture H 24 en étant la forme ultime. On ne peut se résoudre ici à clore le débat en invoquant les seules questions de sécurité, la pédagogie n’est pas soluble dans une seule réglementation d’hygiène et de sécurité. Il est nécessaire d’engager la réflexion sur l’accès aux salles de co-working, l’ouverture des Universités à son environnement socio-économique est à ce prix.
La conception des lieux de co-working est assise sur l’équation sociale de la coopération et de la collaboration. Nos réflexions nous engagent à nous poser la question suivante :
Une salle de co-working doit-elle être architecturalement figée ? J’entends par là une salle dont on ne pourrait plus modifier la destination après la phase de design d’intérieur. Une salle de co-working doit, me semble t-il, bénéficier d’une forme de plasticité spatiale. N’oublions pas que l’enjeu du projet est de faire dialoguer des spécialistes qui ne pensent pas sur des mêmes temporalités :
- Le pédagogue exerce dans un temps court, très souvent bouleversé par l’instabilité technologique, politique et scientifique ;
- L’architecte conçoit pour les temps longs de la structure immobilière.
Les enseignants doivent pouvoir bricoler la salle de co-working en fonction des projets engagés. Nous soutenons l’idée que ce ne sont pas les enseignants qui doivent s’adapter à la salle mais bien la salle qui doit avoir la plasticité suffisante pour satisfaire aux projets de recherche. Il faut donner la possibilité aux acteurs engagés de pouvoir transformer certaines parties de la salle (sol, murs, plafonds …) parce que le lieu fait partie intégrante de la réflexion.
À titre d’illustration du propos, on peut donner quelques exemples :
- Pouvoir écrire sur les murs grâce à des peintures spéciales ;
- Concevoir des tables avec des hubs qui permettent de connecter les ordinateurs à des moniteurs ;
- Permettre de déplacer les tables pour aider à la circulation des robots ;
- Permettre d’utiliser le sol ou le plafond comme lieux de vidéo-projection ;
- Rendre possible le déplacement de hauts parleurs ;
- Multiplier les points d’accès aux prises (électriques, vidéos, accès internet …)
- Supprimer les poteaux dans la salle ;
- Les usages des enseignants et des apprenants évoluent, il faut pouvoir associer la logique spatiale à la logique éducative ;
- il faut imaginer les nouvelles attitudes corporelles dans les dispositifs d’apprentissage. Cela signifie probablement qu’il faille revisiter nos approches du corps.
- Les Universités investissent puis ouvrent les salles aux enseignants. Il faut une plasticité suffisante des lieux pour que les enseignants et les apprenants s’approprient les lieux. ;
- Il faut pouvoir investir l’intégralité des espaces, je pense ici aux sols, aux murs, aux plafonds, aux meubles qui deviennent de facto, des champs possibles d’expérimentation.
Le discours sur l’instrumentation est par conséquent élargi à l’ensemble des artefacts disponibles. Quelle est la fonction d’une table, d’une chaise, d’un mur, d’un ordinateur, d’une imprimante 3D, seront les questions à insérer dans la logique de conception.
Il ne peut, de mon point de vue, y avoir d’éléments installés qui ne puissent être justifiés. C’est à cette condition que cet espace sera réellement signifiant, parce que l’on est capable d’identifier le triangle du savoir constitué par l’homme, son espace et les interactions induites.
Je voudrais clore cet article en élargissant la réflexion en abordant le lien entre collaboration et architecture. La plupart des réflexions qu’il m’ a été donné de lire s’appuient sur un principe d’encapsulation dans un bâtiment. Est ce une donnée intangible ? j’ose émettre l’idée que la salle de co-working peut se concevoir dans un principe de mobilité. Je voudrais m’appuyer sur les principes de Jeremy Rifkin sur la troisième révolution industrielle et les principes des makers
On peut alors imaginer une salle de co-working mobile qui serait installée dans un camion. L’enjeu ne serait plus de faire déplacer les individus vers la salle dédiée mais d’inverser la proposition.
Dans une évolution de l’enseignement supérieur vers des attitudes plus transdisciplinaires, le co-working mobile pourrait être une façon de permettre aux équipes de confronter leurs travaux dans une espace neutre d’un point de vue facultaire.
Les “fablab” utilisent ce principe et ils sont une façon de comprendre les orientations vers lesquelles on pourrait s’acheminer :
“Certains sont mobiles, dans des camions, ils vont où on ne les attend pas, en bas de cités, à la campagne. A Amsterdam, des artistes se déplacent dans les quartiers, attirent les gens et travaillent avec eux sur des petits projets pour résoudre des problèmes locaux. Tous les plans de ces dispositifs sont en licence libre, donc téléchargeables et reproductibles. Le Fab Lab s’inscrit dans un réseau ; la connaissance et les pratiques s’échangent en ligne,et peuvent être retranscrites au niveau du territoire” - Hémicycle du conseil régional d’Île-de-France (Paris)
Colloque des 50 ans de l’association Planète Sciences - Page 10 https://planete-sciences.org/national/docs/synthese_colloque.pdf.
Voir aussi “Voyage dans l’innovation sociale espagnole (2/3) : stimuler et accompagner l’esprit d’initiative”, voyage d’études de la 27 région, article d’internet actu, Hubert Guillau, 8/11/11 http://www.internetactu.net/2011/11/08/voyage-dans-linnovation-sociale-espagnole-23-stimuler-et-accompagner-lesprit-dinitiative/
Voici les quelques pistes que je souhaitais lancer pour la réflexion sur la conception des salles de co-working. Ce ne sont que des pistes jalons de constructions intellectuelles que je souhaitent approfondir cette année.
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[1] Le terme de co-working est utilisé par simplification, je ne suis pas sûr de décrire ce lieu tel que les chercheurs le définissent.
[2] Marcello Vitali-Rosati in « S’orienter dans le virtuel », Hermann, 2012
[3] Le Campus numérique FORSE : analyses et témoignages, PURH, 2007, article Hélène Godinet
[4] Le bricolage - http://moiraudjp.wordpress.com/2011/06/06/bricolage-quelques-reflexions/
[5] Le bricolage - http://moiraudjp.wordpress.com/2011/06/06/bricolage-quelques-reflexions/
Travaux cités
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"Quel Bureau Demain ?’ - L’expérimentation." ’Quel Bureau Demain ?’ - L’expérimentation. Web. 29 July 2014. .
"Bricolage - Quelques Réflexions." Bricolage – Quelques Réflexions |. Web. 29 July 2014. .
"Coworking VS Co-working VS Co Working." Zevillage : Télétravail, Coworking Et Travail à Distance. Web. 29 July 2014. .
Rosati, Marcello Vitali. S’orienter dans le virtuel. Paris : Hermann, 2012. Print.
Dernière modification le jeudi, 07 décembre 2017