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Cette année, je m’étais bien promis de ne dire mot du baccalauréat, après mes billets marronniers des années précédentes qui en dénonçaient l’incurie de l’organisation et le mépris affiché de l’institution pour sa jeunesse (1, 2, 3, 4, 5). La presse s’en est chargée et s’est déchaînée comme jamais auparavant, mettant en avant les nombreuses difficultés qui sont apparues, jour après jour.

Des petits ennuis de santé

C’est un article du journal Le Monde qui, peut-être, en rapportant ce qui se dit sur les réseaux sociaux, fait le mieux le point sur l’ensemble des difficultés qui se sont fait jour : fuites de sujets, contestations, erreurs dans les sujets et les consignes de correction, pétitions en ligne, tweets ravageurs…

« Ces multiples réactions sont éclairantes. Leur nombre, leur disproportion et l’écho qu’elles ont trouvé sur le Web, révèlent l’importance que garde le bac dans l’imaginaire collectif, malgré le discours sur un diplôme sans plus de valeur. »

Déjà, dès le premier jour, les sujets de philosophie ont fuité, les services de communication du rectorat de la Réunion ayant fait diligence pour les confier, avant les épreuves, aux journalistes locaux. Le journal Libération nous raconte comment la panique a gagné les cabinets et services rectoraux et ministériels.

Sont ensuite apparus un à un, au fur et à mesure du déroulement des épreuves, les problèmes qui ont défrayé la chronique : le tigre bleu de Laurent Gaudé, les erreurs incroyables des énoncés des sujets d’histoire-géographie qui montrent à l’évidence que les sujets sont mal relus et vérifiés.

Venons-en à la fameuse question M de l’épreuve d’anglais dont on a tant parlé, en France comme à l’étranger. Sans doute, un sommet a-t-il été atteint alors puisqu’une pétition en ligne a recueilli plus de 12 000 signatures pour en demander le retrait. Une question mentionnait l’utilisation du mot « coping » qui a laissé pantois nombre de bacheliers.

Le Monde nous narre tout cela par le menu, montrant comment la presse étrangère anglophone s’est emparée de la polémique. Ainsi, The Guardian titre « French teens unable to ‘cope with’ baccalaureate English question » et fait remarquer, de manière acide :

« Complaining about the bac, which is taken at the end of high school, has become almost a rite of passage for French youngsters, even though almost nine out of 10 pass. »

Un coût faramineux

J’avoue en être resté baba. C’est Europe 1 qui se fait le relais du principal syndicat de chefs d’établissement, le SNPDEN, et nous annonce tout de go le coût estimé du baccalauréat, hors filières professionnelles : 1,5 milliard d’euros. Philippe Tournier, le président de ce syndicat, s’inquiète du gâchis d’argent public, évoque un gaspillage de temps et de compétences et conclut, en parlant du diplôme national :

« La question qui se pose aujourd’hui, est de savoir si ça sert vraiment à quelque chose ».

En 2013, Le Monde avait déjà donné cette information et s’interrogeait :

« Faut-il continuer à dépenser autant, alors que l’argent public est rare, pour un examen que plus de huit candidats sur dix décrochent ? »

Ce journal reprenait aussi les mêmes propos de Philippe Tournier qui plaidait :

«… comme beaucoup d’acteurs du monde éducatif, pour un examen « plus simple et plus fiable », dans la lignée des préconisations faites par les inspecteurs dans leur rapport : resserrer l’examen en renforçant ses dominantes, privilégier le contrôle en cours de formation, se donner « le temps d’une réflexion partagée »… »

La triche, c’est mal

C’est encore Le Monde qui nous alerte. Malgré les campagnes successives et indignes de la Maison des examens (5,6), dont les avis ne sont que menaces et réprimandes, malgré la mise en œuvre d’arsenaux techniques de plus en plus sophistiqués — les fameux détecteurs de portables qui ne détectent que les smartphones allumés des surveillants —, malgré la mobilisation des services de Gendarmerie (est-elle prise en compte dans les coûts ?), il semblerait bien que la triche reste un exercice fort prisé des candidats.

Le Monde

J’ai déjà évoqué cette course stupide contre la technologie — nous en verrons un autre exemple plus loin — qui n’aboutit à rien d’autre que de stigmatiser tous les candidats en les désignant comme de possibles fraudeurs : « … la course technologique qui oppose depuis près de quinze ans éducation nationale et fraudeurs atteint ses limites » remarque fort justement Le Monde.

Pas besoin d’être connecté à qui ou quoi que ce soit pour accéder aux données d’un portable ou d’un objet connecté, tout est accessible en mode avion, donc de manière indétectable, fait remarquer l’auteur de cet article qui interroge par ailleurs Christophe Michaut, enseignant-chercheur à l’université de Nantes :

« On risque de sanctionner surtout les mauvais élèves, qui utilisent le plus les outils numériques, plutôt que les bons qui sont sur des antisèches plus classiques »

Le Monde pose la question à Florence Robine qui dirige le plus gros service du ministère, l’enseignement scolaire, de ce qu’elle pense de l’idée, défendue par beaucoup jusqu’au ministère, de tout remettre à plat : « Nous n’avons pas l’intention de remettre sur le métier une réforme du bac », dit-elle.

Il convient, avant de terminer sur ce lamentable sujet de la triche, de dire un mot de l’incroyable et stupide décision prise récemment de brider les calculatrices au bac, à partir de 2018 — quelle incroyable et triste vision de l’avenir ! —, offrant ainsi, en imposant un modèle labellisé, une manne financière inespérée aux marchands desdites calculatrices. Ce bridage consiste en un mode « examen » qui neutralise momentanément l’accès à la mémoire… et à ce qu’on a pu y stocker.

L’initiative est risible, ne serait-ce que parce que les moyens de contourner le bridage fleurissent déjà sur les forums idoines en ligne. Le magazine Zataz nous donne des détails : une calculatrice bridée affiche une diode rouge clignotante censée rassurer le surveillant. Des bidouilleurs, nous dit Zataz, ont déjà réussi à faire clignoter ladite diode sans activer le fameux mode bridé !

Ce serait drôle s’il ne convenait pas plutôt d’en pleurer. Que de temps, d’énergie et d’argent jetés par la fenêtre !

Des états généraux pour un baccalauréat rénové et utile

Vous l’avez vu, les problèmes s’accumulent, les coûts augmentent, la pression aussi. Par ailleurs, cette dernière contraint parfois — cela peut être un jeu, aussi — certains candidats à frauder, à tricher, à prendre de gros risques.

Nombreux sont ceux qui souhaitent qu’on réfléchisse à faire évoluer ce diplôme national et les propositions fleurissent pour éviter cette grande messe rituelle de juin, chaque année. Certains évoquent plus de contrôle continu, de contrôle en cours de formation, comme on dit, ce qui n’est pas sans poser des problèmes d’égalité républicaine.

Le Figaro étudiant nous explique que, revenant sur ses déclarations frileuses, voir ci-dessus, Florence Robine, auditée à l’Assemblée nationale, s’est montrée plus entreprenante sur le sujet :

« Il n’est pas question de remettre en cause le baccalauréat […] mais il faut travailler sur une amélioration continue de ses modalités »

Parmi ces modalités nouvelles, elle évoque notamment des « épreuves anticipées, des épreuves en cours d’année plus nombreuses et fondées sur des démarches collectives sous forme de projets ». Enfin, elle en vient au cœur du sujet :

« Le baccalauréat peut et doit évoluer pour valider des compétences qui deviennent de plus en plus variées et sont demandées par l’enseignement supérieur, comme l’esprit d’entreprendre, la capacité d’initiative, le travail collectif, etc. »

C’est bien ça le problème. En l’état, le baccalauréat ne constitue en rien un moyen de valider l’acquisition de compétences pour accéder dans de bonnes conditions à l’enseignement supérieur. Là où les bacheliers restituent seuls des connaissances, on aimerait a contrario les voir commencer à construire, parfois de manière collective, des projets, des raisonnements, des démarches en se servant des connaissances disponibles. Il est urgent, de ce point de vue, de mettre en accord le baccalauréat avec l’écosystème numérique, de le rendre adéquat à la « vraie vie » et compatible avec elle.

C’est pourquoi, pour ma part, je milite pour des états généraux du baccalauréat et des autres examens. Je ne sais pas ce qu’il pourrait en sortir mais l’urgence est à refonder ensemble, à donner du sens, à repenser l’évaluation de fin de lycée à l’aune des vrais besoins de la société, de l’Université et, plus tard, de l’entreprise.

Marie-Caroline Missir, sur son blogue dans l’Express, est beaucoup plus sévère. Sous le titre « Le bac n’existe pas », son article dresse un réquisitoire sévère :

« Cet examen n’a en effet pas d’autre actualité que d’exister: c’est même le seul “machin” de l’Éducation nationale qui ne change pas quand tout, absolument tout dans cette institution, change : les filières, les programmes, les concours, les sigles, et surtout les ministres. Le bac reste cette institution immuable, deux fois centenaire, quasi identique à ce qu’il était dans les années 60. Une absurdité si on réfléchit à l’évolution radicale du paysage scolaire depuis 50 ans ! »

Dans le contexte hypocrite de l’admission post-bac où tout se joue bien avant l’obtention du diplôme tant désiré, Marie-Caroline Missir conclut, ce que j’agrée complètement :

« La force totémique du “bac” n’en est que plus absurde. Mais les totems sont justement faits pour être renversés. »

Promis, juré, craché, cette fois c’était bien mon dernier billet sur ce sujet.

Michel Guillou @michelguillou

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Crédit photo : Universidad de Navarra sur Flickr

1. Baccalauréat : la faute morale de l’institution http://www.culture-numerique.fr/?p=529

2. Baccalauréat : la politique de l’autruche http://www.culture-numerique.fr/?p=286

3. Une exigence : modifier radicalement le baccalauréat http://www.culture-numerique.fr/?p=267

4. Baccalauréat : le schisme culturel et l’abandon des jeunes http://www.culture-numerique.fr/?p=1041

5. Quand le SIEC continue à se tromper de millénaire… http://www.culture-numerique.fr/?p=2993

6. Changeons les examens ou… imitons la Chine et l’Ouzbékistan http://www.culture-numerique.fr/?p=1295

Dernière modification le vendredi, 10 juillet 2015
Guillou Michel

Naturaliste tombé dans le numérique et l’éducation aux médias... Observateur du numérique éducatif et des médias numériques. Conférencier, consultant.