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Après ma lecture à chaud[1] du cadre national de référence entre l’État et Régions de France  ainsi que la publication de ma tribune sur le Monde.fr  où je m’interroge sur la conception de l’orientation qui « inspire » le ministère : « L’Etat français considère-t-il encore l’orientation scolaire comme relevant de sa responsabilité ? », je vais essayer de repérer ce qui se dessine.

Le cadre

Et en terme de cadre, le ministre de l’éducation nationale, JM Blanquer, a parfaitement délimité l’affaire : « « Ce n’est pas la région qui va décider de l’orientation d’un élève. Le conseil de classe reste le conseil de classe » a-t-il insisté[2] !  Donc le conseil de classe et les procédures d’orientation et d’affectation (au sens large, incluant Parcoursup) restent définis par l’Etat et ses ministères adéquats.

La question de l’introduction de la région dans ce champ décisionnel se posait depuis longtemps, avec les diverses lois de décentralisation depuis 1985. La construction des lycées généraux, techniques et professionnels relevait dès 1985 de la région. Un plan régional de développement de la formation professionnelle (PRDFP) outil de programmation avait été créé par la loi quinquennale de 1993. La loi du 5 mars 2014 avait transféré aux Régions l’élaboration de la carte des formations professionnelles pour la formation initiale et la formation continue des adultes tout au long de la vie. Les Rectorats participent activement à sa construction mais c’est la Région qui l’acte définitivement. L’EN peut-elle continuer à décider de l’entrée dans des établissements de formation dont la région est responsable ?

L’élaboration de la loi du 5 septembre 2018 « pour la liberté de choisir son avenir professionnel »  a été l’occasion de relancer le débat, d’autant plus que son chapitre 1er s’intitule : « Renforcer et accompagner la liberté des individus dans le choix de leur formation ».

Mais finalement la loi répartissait la question en :

  • un droit : « Toute personne dispose du droit à être informée, conseillée et accompagnée en matière d’orientation professionnelle, au titre du droit à l’éducation garanti à chacun par l’article L. 111-1 du code de l’éducation. »
  • un service à rendre : « Le service public de l’orientation tout au long de la vie garantit à toute personne l’accès à une information gratuite,…. »
  • une responsabilité de l’Etat : il « définit, au niveau national, la politique d’orientation des élèves et des étudiants dans les établissements scolaires et les établissements d’enseignement supérieur. »
  • une responsabilité de la région : elle « organise des actions d’information sur les métiers et les formations aux niveaux régional, national et européen ainsi que sur la mixité des métiers et l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes en direction des élèves et de leurs familles, des apprentis ainsi que des étudiants, notamment dans les établissements scolaires et universitaires. »

Cette loi a donc modifié l’article L6111-3 du code du travail qui reprend la formulation législative.

Du côté éducation nationale, c’est le chapitre III : L’information et l’orientation du Code de l’éducation qui est modifié. J’en ai déjà discuté dans un post précédent[3].

Le cadre est posé, les herses sont levées !

L’information

Symptôme du principe libéral, l’orientation est conçue d’abord comme une affaire d’information de l’individu supposé choisir. Mais sur ce champ il y a une rupture importante. Jusque-là, la production et la distribution d’une information revendiquée comme « objective », étaient assurées par l’Etat à l’aide de l’ONISEP.

« Avec le concours de l’établissement public national mentionné à l’article L. 313-6 dudit code, elle élabore la documentation de portée régionale sur les enseignements et les professions et, en lien avec les services de l’Etat, diffuse l’information et la met à disposition des établissements de l’enseignement scolaire et supérieur, selon des modalités fixées par décret. »

Cet établissement, anonyme pour le moment est ainsi défini :

« Un établissement public, doté de la personnalité civile et de l’autonomie financière, soumis à la tutelle conjointe du ministre chargé de l’éducation et du ministre chargé de l’enseignement supérieur et placé, en ce qui concerne la documentation professionnelle, sous le contrôle technique du ministre chargé du travail, a pour mission de mettre à la disposition des éducateurs, des parents, des étudiants et des élèves des établissements d’enseignement, la documentation nécessaire à ces derniers en vue de leur orientation scolaire et professionnelle.

Il élabore et diffuse cette documentation en liaison avec les régions et les représentants des professions et des administrations intéressées. Il participe à l’insertion professionnelle des étudiants et diplômés à leur sortie des établissements d’enseignement. »

Le cadre de référence ne résout pas le problème de la mise en œuvre et inquiète beaucoup les personnels tant de l’ONISEP que des DRONISEP et on attend toujours la publication du rapport Charvet chargé de proposer des solutions de mises en œuvre de ce bouleversement[4].

Cela permettrait bien sûr des économies sur le budget de l’Etat, mais là n’est peut-être pas la question essentielle.

Jusque-là coexistaient :

  • une production de l’information coordonnée par l’Etat
  • une production marchande qui avait pris son essor dans les années 80
  • une production régionale très dispersée aux travers d’une multitude d’organismes.

Par cette réorganisation l’Etat lâche la conception objective et surtout unificatrice de l’information dans ce domaine. De fait la production nationale sera de plus en plus difficile et sujette à beaucoup d’occasions de tensions entre la diversités des « pompes régionales » et des filtres normatifs nationaux.

L’accompagnement

Autre zone floue : l’accès à l’élève. L’objectif de l’accompagnement reste définit par l’Etat par son ministère de l’éducation, notamment par le « Parcours avenir » dont l’horaire se surajoute aux horaires scolaires. Les actions en relevant peuvent donc avoir lieu dans, mais aussi hors de l’établissement.

Les régions sont donc invitées à intervenir dans l’accompagnement des élèves, des étudiants, des apprentis, principalement pour apporter des informations. Mais ces actions seront contraintes à trois niveaux que j’ai déjà signalés ici :

  • la convention régionale ;
  • le chef d’établissement et le projet d’établissement ;
  • la concertation avec le chef d’établissement et l’équipe éducative, dont les professeurs principaux et les psychologues de l’éducation nationale.

Concrètement, le nombre des intervenants hors éducation nationale va s’accroitre et sera à n’en pas douter l’occasion de beaucoup d’interrogations de la part des différents acteurs quand à l’autorisation de l’accès aux établissements et au bien-fondé des interventions.

L’école de la confiance va sans doute tanguer.

Mais on peut se demander si la bataille des frontières est encore pertinente au regards des exemples d’initiatives en Région pour une meilleure information sur les formations et les métiers que l’on trouve à la fin du document.

Le conseil

Le conseil en matière d’orientation n’a pas disparu à l’inverse de ce que j’affirmais dans le post précédent.

En effet, c’est le « droit à être informée, conseillée et accompagnée en matière d’orientation professionnelle » qui ouvre l’Article L6111-3 du Code de l’Education, le service public de l’orientation tout au long de la vie garantissant son exercice.

Mais on est en droit de s’interroger sur les conditions réelles de l’exercice de ce droit !  Le service public de l’orientation tout au long de la vie, niveau national, se décline en services publics régionaux d’orientation au sein desquels il y a le réseau des CIO de l’Education nationale.

Le Ministère de l’éducation possède ces services d’orientation et depuis longtemps[5].  Mais ils sont ignorés, suspectés. Ainsi pour exemple, Antoine Prost rapporte[6] la position de Georges Pompidou au milieu des années 1960   : « A mon avis il faut faire [des conseillers d’orientation] des avocats du technique » […], et s’en tenir là. Il ne faut pas les multiplier, ce sont forcément des esprits faux. L’orientation est le fait des professeurs, sauf le fait que ceux-ci peuvent ne pas avoir le courage de dire à un enfant qu’il n’est pas fait pour l’enseignement général long. »

Plusieurs fois leurs existence fut menacée ou leur maintien dans les services de l’Etat. Et aujourd’hui la question se pose à nouveau. Certaines académies ont déjà annoncé leur projet que je peux résumer ainsi d’après les témoignages :

  • Un seul CIO par département et des points d’accueil dispersés sans personnel administratif ;
  • Nomination des personnels d’orientation dans ce CIO
  • Le directeur de ce CIO a la responsabilité de l’organisation du travail
  • Les autres directeurs de CIO répartis en DSDEN et à la Région.

On nous joue le retour vers le décret-loi du 24 mai 1938[7].

Si cet horizon se confirme c’est aussi le signe d’un désengagement fort de l’Etat dans le domaine du conseil aux personnes. Les Régions vont-elles prendre le témoin ? En tout cas cette situation incertaine ajoutée à l’inquiétude parentale et le nombre très important de demandeurs potentiels est un terrain favorable au développement de services marchands ! Ce qui a déjà commencé.

Les appels à projets

Au troisième volet du programme d’investissements d’avenir (PIA III) ouvert en juin 2016 sous la présidence Hollande, le présent gouvernement  ajoute dans le cadre nationale de référence deux appels à projet concernant l’orientation en août 2018[8] :

  • améliorer l’information de tous les étudiants sur les filières, leurs débouchés et les attendus, pour les accompagner dans l’élaboration de leurs projets d’orientation ;
  • la conception d’outils numériques pour les lycéens et étudiants, afin de les accompagner dans leurs études et leur orientation (connaissance des filières, etc…).

Là encore la question de l’information semble centrale dans la conception de l’aide à l’orientation.

Une première série de sélection des projets vient d’être publiée[9]. Et il est « amusant » de constater que l’ONISEP participe à deux de ces projets !

  • Graines d’avenir, Modules interactifs de mise en situation, proposé par Didask (entreprise), l’Etudiant et l’Onisep
  • MOSS, Moteur de recherche de l’orientation, proposé par l’ONISEP

L’Office, L’ONISEP, ne serait donc pas encore mort, « Non encore, non encore ! ».

Les NAIA, le numérique, les algorithmes et l’intelligence artificielle investissent ce champ. Mais que restera-t-il que restera-t-il d’humain dans la relation de conseil ? Cette question se pose de plus en plus dans toutes les relations professionnelles de service aux humains.

Bernard Desclaux

[1] Le régalien, le cadre et la conception

http://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2019/05/28/le-regalien-le-cadre-et-la-conception/

[2] Orientation scolaire : une mission partagée entre l’Etat et les régions

https://www.banquedesterritoires.fr/orientation-scolaire-une-mission-partagee-entre-letat-et-les-regions

[3] Un décret attendu et bouleversant

http://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2019/04/15/un-decret-attendu-et-bouleversant/

[4] Voir « Vers un grand chamboule-tout du service public d’orientation » par Erwin Canard

https://www.letudiant.fr/educpros/actualite/vers-un-grand-chamboule-tout-du-service-public-de-l-orientation.html

et mon article  « Vers une nouvelle configuration de l’orientation I : le complot »

http://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2018/04/15/vers-une-nouvelle-configuration-de-lorientation-i-le-complot/

[5] Sur l’histoire des services d’orientation il faut lire André CAROFF : L’organisation de l’orientation des jeunes en France. Evolution des origines à nos jours. André Caroff Préface de Maurice Reuchlin. L’Ouvrage en Téléchargement . Et sur ce blog j’ai écrit de nombreux articles, 9 posts sur « Le CIO, un dispositif ou un service à la personne » et 17 avec le titre « Psychologie, orientation, éducation ».

[6] Antoine Prost, Du changement dans l’école. Les réformes de l’éducation de 1936 à nos jours, Paris, Seuil, 2013, 386 p.

[7] Psychologie, orientation, éducation 14 L’actualité et le décret-loi du 24 mai 1938

http://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2018/05/17/psychologie-orientation-education-14-lactualite-et-le-decret-loi-du-24-mai-1938/

[8] PIA 3 : des millions pour l’orientation par Marie-Caroline Missir

Dernière modification le dimanche, 09 juin 2019
Desclaux Bernard

Conseiller d’orientation depuis 1978 (académie de Créteil puis de Versailles), directeur de CIO à partir de 90, je me suis très vite intéressé à la formation des personnels de l’Education nationale. A partir de la page de mon site ( http://bdesclaux.jimdo.com/qui-suis-je/ ) vous trouverez une bio détaillée ainsi que la liste de mes publications.
J’ai réalisé et organisé de nombreuses formations dans le cadre de la formation continue pour les COP, , les professeurs principaux, les professeurs documentalistes, les chefs d’établissement, ainsi que des formations de formateurs et des formations sur site. Dans le cadre de la formation initiale, depuis la création des IUFM j’ai organisé la formation à l’orientation pour les enseignants dans l’académie de Versailles. Mes supports de formation sont installés sur mon site.
Au début des années 2000 j’ai participé à l’organisation de deux colloques :
  • le colloque de l’AIOSP (association internationale de l’orientation scolaire et professionnelle) en septembre 2001. Edition des actes sous la forme d’un cd-rom.
  • les 75 ans de l’INETOP (Institut national d’étude du travail et d’orientation professionnelle). Edition des actes avec Remy Guerrier n° Hors-série de l’Orientation scolaire et professionnelle, juillet 2005/vol. 34, Actes du colloque : Orientation, passé, présent, avenir, INETOP-CNAM, Paris, 18-20 décembre 2003. Publication dans ce numéro de « Commentaires aux articles extraits des revues BINOP et OSP » pp. 467-490 et les articles sélectionnés, pp. 491-673
Retraité depuis 2008, je poursuis ma collaboration de formateur à l’ESEN (Ecole supérieure de l’éducation nationale) pour la formation des directeurs de CIO, ainsi que ma réflexion sur l’organisation de l’orientation, du système éducatif et des méthodes de formation. Ce blog me permettra de partager ces réflexions à un moment où se préparent de profonds changements dans le domaine de l’orientation en France.
Après avoir vécu et travaillé en région parisienne, je me trouve auprès de ma femme installée depuis plusieurs années près d’Avignon. J’y ai repris une ancienne activité, le sumi-e. J’ai installé mes dernières peintures sur Flikcr à l’adresse suivante : http://www.flickr.com/photos/bdesclaux/ .