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Lorsque l’informatique est apparue, lorsque l’ordinateur et la puce électronique se sont implantés dans nos environnements, lorsque les mémoires et les langages se sont développés et ont offerts leurs services, devant la puissance de calcul, les performances atteintes, on disait, pour se rassurer probablement, le numérique c’est un outil, ce n’est qu’un outil que l’homme doit apprendre à utiliser, un bel outil, comme le marteau ou la clé à molette, qui nous permettra de réaliser de belles choses.

Dans l’éducation très tôt, ce discours de la machine au service de l’apprendre est repris dans des discours ministériels, des décrets publiés aux bulletins officiels, dans les programmes et la formation des enseignants.

Combien de stages, de dossiers, de livres sur le numérique à l’école ? Sur le sujet de l’outil informatique, innombrables ; pléthoriques également, les d’études universitaires sur les pratiques innovantes, les enseignants en difficulté et l’ordinateur en classe, les élèves en attente, souvent accompagnées d’articles sur le manque de matériels, les réseaux au trop faible débit, et les nécessaires compétences à acquérir.

Il a fallu expliquer la nécessité de la maitrise pour en faire un bon outil, efficace et utile ; il a fallu préciser une déontologie aussi pour de bons usages, mais toujours l’idée que l’informatique est un outil au service de l’humain, se retrouve au fondement de tous ces propos et de ces réflexions.

Il est temps de reconnaitre que ce temps n’est plus.

Le numérique est le monde dans lequel les humains sont plongés ; comme l’air que nous respirons, comme l’eau qui nous désaltère, le numérique est la nourriture de notre quotidien.

Ne regardons plus le numérique comme un outil, au mieux c’est un compagnon ; mais c’est plutôt un autre, d’une nature mal connue, qui en offrant ses services nous prend à son service.

D’abord un constat simple, dans nos transports en commun, quel passager n’est pas accroché à ce boitier à l’écran lumineux ; quels sont les échanges qui se jouent dans cette relation, qui domine qui ?

Plus profondément, y a-t-il un système de notre quotidien qui ne soit connexion à des bases de données ?

Mon compteur électrique, la surveillance de l’appartement, et ces capteurs, d’images, de sons, qui me sont quasi invisibles. Cette activité à partir de nos données, construit un double, développe des représentations multiples, réparties en mille instances ; Que deviennent nos profils cachés, nos avatars élaborés par nos clics, nos recherches, nos déplacements et nos achats ? Nos productions sont reprises analysées, et nous sommes l’aliment de ces voraces circuits électroniques.

Ils fonctionnent plus vite, ils sont plus rationnels, plus anticipateurs, plus logiques et bien plus efficaces que nos élaborations mentales et affectives.

Les exploits de l’intelligence artificielle a révélé cela : il y a une vie numérique, plus indépendante de nos volontés et elles se déploient plus fort que nos aptitudes. En fournissant un texte bien rédigé en quelques secondes, efficace, avec souvent de la pertinence, l’IA ne fait pas que nous amuser. l’IA public n’est que la pointe de l’iceberg de la galaxie numérique, où chacun n’est qu’un capteur d’idées, de désirs, d’images au service de calculateurs inconnus.

Nous sommes les capteurs d’une entité difficile à nommer et à représenter, car multiforme, répartie, et sans limites.

Que faire ?

Repensons l’humain sans le numérique ; le numérique a absorbé l’humain, surtout ses données, il construit des profils, il dialogue avec lui et sans violence voulue, le contrôle avec douceur.

Pouvons-nous encore faire du numérique un allié, faire en sorte qu’il ne soit jamais notre ennemi ? Pouvons-nous passer des accords, négocier âprement nos espaces de liberté ?

Comment allons-nous penser l’humaine condition ?

Dans une société malmenée par le réchauffement climatique et la perte de la biodiversité, le numérique peut survivre mieux que les sociétés humaines, qui ne peuvent se développer que sur une certaine échelle de température et qui a besoin d’apports énergétiques complexes, dépendant de son environnement matériel, des sols, de la qualités de l’air et des eaux.

Défendons le territoire de l’humain ; le numérique s’autonomise, il conquiert son espace et peut soumettre avec patience et détermination, et même avec bienveillance, les esprits et les corps. 

Gardons l’humour et regardons l’école avec amour, où tant de choses se jouent. Les enfants vivent dans l’univers numériques, ils arrivent et portent en eux cet univers ; Que va faire l’école ? Que peut faire l’école ?  Que doit faire l’école ?

L’école doit changer, elle doit s’ouvrir aux questions de la condition humaine : qu’est-ce qu’être un humain, qu’est-ce que faire société ?  Il doit savoir lire, écrire, compter, bien sûr, mais l’humain doit savoir écouter, comprendre, coopérer et collaborer ; il doit s’émerveiller, aimer l’inutile, poétiser sa vie, car chacun meurt un jour.

 Yves Ardourel 

Dernière modification le jeudi, 14 décembre 2023
Ardourel Yves

D'abord enseignant de mathématiques en collège et lycée, puis maître de conférences en sciences de l'information et de la communication à l'IUFM Midi-Pyrénées (médiatisation des connaissances et l'intégration des TIC dans les dispositifs de formation). Retraité depuis octobre 2014, président de l'association FReDD* (Film, Recherche et Développement Durable). Administrateur de l'An@é.

FReDD* coordonne un festival audiovisuel annuel sur la diffusion de la culture scientifique et la promotion de films dans l'univers numérique, associées aux problématiques d'un développement durable.