Deux points sont ici discutés : la structure de notre système et l’état de nos procédures d’orientation.
J’ai présenté cet argumentaire au cours d’une audition au CESE le 24 mai 2017. Deux autres thèmes ont été discutés : l’éducation à l’orientation et les statuts et compétences des personnels. Le prezi utilisé : https://prezi.com/d99vogppxmpu/lorganisation-de-lorientation-dans-notre-systeme-educatif/
Examinons tout d’abord à grands traits les chemins possibles proposés par notre système scolaire.
Francine Vanniscote avait proposé dans Les écoles de l’Europe - Système éducatifs et dimension européenne (INRP, 1996), une typologie des modèles européens que l’on peut présenter ainsi.
Trois modèles sont composés d’un premier étage, l’école primaire.
Dans le modèle anglo-saxon, à l’école primaire succède le lycée qui reçoit tous les élèves dans un enseignement assez polyvalent. Dans le modèle germanique, la suite de l’école est une bifurcation entre différentes formations séparées. Le modèle latin, qui est ce que nous connaissons en France, propose un premier niveau secondaire commun à tous les élèves (le collège), qui débouche pour la suite sur des formations différentes. Le quatrième modèle est le modèle nordique, dans lequel l’école primaire et le collège sont réunis dans une même structure, la différenciation se faisant après.
En France, notre histoire nous a fait parcourir au moins trois modèles.
À l’origine, notre système était double et étanche, il y avait l’ordre primaire et l’ordre secondaire, l’école du peuple et l’école des notables.
Le primaire pour assurer une poursuite d’études avait créé par exemple les écoles primaires supérieures (plus tard les CEG), et le secondaire, le lycée, pour assurer son recrutement avait créé ses petites classes des lycées.
L’idée d’une école unique apparue dans les tranchées de la guerre se concrétise petit à petit [1] à partir du milieu des années 20. La réforme Berthoin, en 1959, et surtout celle de René Haby en 1976 met en place le collège unique. La loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’École de la République (juillet 2013) semblait préparer les bases d’une école du socle avec un cycle enjambant l’école et le collège, le conseil école-collège et un livret scolaire unique, du CP à la classe de 3e. Et pour la première fois, les programmes d’enseignement ont été conçus ensemble.
Problèmes, les premières indications formulées par le nouveau président et son ministre, sans remettre en question officiellement la loi de 2013, reviennent en arrière : suppression des EPI et développement des classes bilangues. De fait, on a là un retour à la différenciation en cours de collège unique.
Une école du socle nécessite de séparer temps d’unification et temps de différenciation.
Tout système scolaire assure deux fonctions : unifier, assurer l’acquisition d’une base commune permettant le « vivre ensemble », le rôle de citoyen, et diversifier, assurer la répartition entre les différentes activités d’une société.
Mais la question se pose de leur répartition au sein du système. Peuvent-elles être concomitantes ou doivent-elles se succéder, et si oui, où placer le curseur ?
Le collège chez nous est soumis à une double contrainte.
De par la loi, il doit terminer l’acquisition par tous du socle commun, il doit donc unifier. Mais de par sa fonction au sein du système scolaire, c’est lui qui fait le tri des élèves et décide de leur parcours ultérieur par la fonction d’orientation qui lui est attribué.
Ainsi le maintien des procédures d’orientation à la fin du collège place les enseignants dans un paradoxe pragmatique : faire acquérir le socle à tous les élèves, tout en étant capable de les différencier selon leur réussite pour justifier leur orientation.
Procédures d'orientation
Les procédures d’orientation sont les règles administratives organisant la prise de décision de la circulation des individus-élèves dans un système fait d’étapes discontinues.
Ces procédures concernent l’autorisation de passage, et les procédures d’affectation, le placement. Entre les trois acteurs concernés, enseignants de l’élève, parents de l’élève et établissement d’accueil, nos procédures organisent et distribuent les droits et les devoirs. Historiquement, le pouvoir absolu était du côté des enseignants, organisé par une circulaire depuis 1890.
Le conseil de classe, au sein du « secondaire », décide, sur la base de moyennes (définies par cette même circulaire) à des épreuves trimestrielles du passage en classe supérieure, du redoublement ou de la remise de l’enfant à sa famille. En 1969, Edgard Faure, qui veut instaurer un nouveau système d’évaluation (de cinq lettres, comme aux USA), supprime les épreuves trimestrielles.
Mais ne supprimant pas la circulaire du passage en classe supérieure, les enseignants deviennent des producteurs d’évaluations dans leurs cours, pour aboutir à des moyennes trimestrielles.
Une longue séquence s’ouvre alors, vécue comme une lente déconstruction du pouvoir enseignant.
Je ne détaille pas toutes ces étapes, mais en pointe les plus importantes. En 1959, les parents doivent formuler leur demande d’orientation en fin de troisième trimestre, et le rôle de professeur principal est instauré. En 1973, les nouvelles procédures d’orientation instituent un « dialogue » avec les parents, entre la demande et la réponse au deuxième trimestre, et la demande-réponse au troisième trimestre. Horreur, on instaure des procédures d’appel, avec choix entre l’examen ou le passage devant une commission ! Et c’est à ce moment que l’affectation devient la responsabilité de l’IA.
La réforme Haby avec le collège unique instaure le passage automatique à l’intérieur d’un cycle, et supprime la possibilité d’orienter vers un CAP en fin de cinquième [2]. Puis la Gauche arrive, et le ministère Savary poursuit sa « déconstruction » : droit au redoublement ; les conseils de classe doivent formuler une proposition d’orientation pour tous les élèves, finie la célèbre mention « vie active » sur les bulletins des plus de 16 ans ; la seconde de détermination étant créée, il n’y a plus d’orientation vers une seconde particulière, les options sont au choix ; en fin de seconde, on propose une des premières particulières ou le redoublement, on ne peut plus orienter vers un BEP [3], enfin l’examen d’appel est supprimé, seule la commission peut revenir sur la proposition du conseil de classe.
En 1992, on introduit la rencontre avec le chef d’établissement après le conseil de classe du troisième trimestre s’il y a un désaccord. Le chef d’établissement à l’issue de la rencontre prend une décision, décision qui peut être différente de la proposition qu’il a formulé au cours du conseil de classe. S’il y a toujours désaccord, il y a la commission d’appel.
En 2009, c’est l’assouplissement au cours du lycée, essentiellement sous la responsabilité du chef d’établissement qui peut accepter des changements de parcours entre filières, avec souvent des modules de rattrapages.
Enfin, en 2014, c’est l’expérimentation de l’orientation à la main des parents, dont je dirai quelques mots plus loin.
Nos procédures sont donc marquées par un pouvoir sur l’autre, attribué aux enseignants de la classe de l’élève concerné, et qui s’exerce au travers d’un jugement collectif (dont le pourtour n’est pas réellement défini). Et ce jugement se prend à partir de normes locales non-explicitées (notations, exigences individuelles, projections sur les attentes de la classe supérieure ou de la formation, etc.). Situation parfaite pour nourrir le conflit entre les acteurs.
Expérimentation du choix laissé aux familles
Dans la conclusion du premier rapport sur le « Suivi de l’expérimentation du choix donné à la famille dans la décision d’orientation au collège », de septembre 2014 [4], on peut lire en conclusion :
« La “bonne orientation”, pour la plupart des équipes éducatives interrogées, est celle qui correspond à la décision du conseil de classe. » Ainsi, même dans ces établissements ayant expérimenté la mesure (mais il faut voir la manière dont ils se sont engagés…), l’orientation est conçue comme un jeu à somme nulle, où il y a un gagnant et un perdant, mais, de plus, l’arbitre devrait être l’un des joueurs !
La conclusion poursuit p. 35 : « Le dernier mot aux parents est alors à interpréter davantage comme l’occasion de renforcer les échanges avec les équipes éducatives et moins comme une opportunité d’exprimer un vœu et de l’assumer. » Autrement dit, l’expérimentation a été l’occasion de développer non pas un système d’échanges ou d’expressions, mais encore plus de pressions pour persuader les parents ! Encore un beau paradoxe : au lieu d’augmenter le pouvoir parental, on aboutit à une augmentation de la pression sur les parents.
Pouvoir et autorité
Deux conséquences à ces évolutions décrites ci-dessus. Elles ont été vécues par les enseignants comme une perte de pouvoir et d’autorité.
Le pouvoir du chef d’établissement s’est accru ; après avoir enregistré la décision du conseil de classe, il a formulé la proposition d’orientation sur l’avis du conseil de classe, et aujourd’hui, il prend la décision d’orientation en dehors du conseil de classe. Elles ont été également comprises comme des moyens de faire des économies (notamment la réduction des redoublements) et non comme des mesures pédagogiques.
Mais si elles ont évolué, elles ont été également maintenues à la fin du collège, lui conservant un rôle de trieur entre la voie professionnelle et la voie générale et technologique. Lourde responsabilité pour les enseignants de troisième ! Comment l’alléger ? Tout simplement en organisant des différenciations préalables : options, filières cachées, classes de niveaux… Notre collège n’a jamais été unique, c’est une « colonne de distillation » comme le dit François Dubet.
Maintenant examinons les conséquences de la suppression des procédures fin de troisième sur la structure ultérieure. Si l’on maintient les deux voies existantes, l’orientation doit s’organiser soit à partir du pouvoir des parents, soit selon la sélection opérée par les établissements d’accueil, ou encore dans une combinaison des deux.
Le lycée unique
L’autre solution structurelle, c’est la création du lycée unique.
Ce serait alors à l’intérieur de cet espace lycée que se jouerait l’orientation, mais avec deux hypothèses d’organisation de la formation. Soit une seconde commune, avec options, et une poursuite d’études selon les voies actuelles, soit une conception radicalement modifiée de la formation, organisée autour de modules permettant une combinaison selon le « vouloir » du formé, dans l’idéal.
Ainsi, on voit bien comment structures et procédures sont liées. Nous sommes dans un moment où de nouveaux choix d’organisation et de fonctionnement sont absolument nécessaires, tant pour des raisons sociales que d’efficacité !
Bernard Desclaux
Directeur de CIO retraité, ancien formateur
http://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/
À lire sur le site :
Orientation : jeux de mains… Par Bernard Desclaux
Orientation : circulez, y a rien à voir ! Par Bernard Desclaux
Plaidoyer pour un cycle troisième-seconde, sans précipitation ! Par Bruno Magliulo
[1] Antoine Prost rappelle que l’on arrête de compter les petites classes des lycées à Paris en… 1966 !
[2] Voir la longue histoire de La suppression des CAP sur mon blog http://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2011/04/11/la-suppression-des-cap/
[3] Voir sur mon blog : « La suppression en 1982 du BEP comme orientation après la seconde » http://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2011/04/13/la-suppression-en-1982-du-bep-comme-orientation-apres-la-seconde/
[4] http://cache.media.education.gouv.fr/file/2014/55/8/2014-073_experimentation_dernier_mot_376558.pdf
Article également publié sur le site : http://www.cahiers-pedagogiques.com/Les-chantiers-de-l-orientation