La longue expérience de l’auteur en France et à l’étranger, et dans des fonctions très différentes, lui permette de bien retracer l’histoire de l’évaluation au sein du système éducatif et d’en identifier les caractéristiques françaises.
Reste la question principale pour moi : est-ce seulement une affaire culturelle comme semble l’indiquer Alain Bouvier ? Ce serait alors une vision bien pessimiste : la culture c’est ce qui résiste aux changements.
La notation, cette pratique française
Après avoir rappelé la notion de courbe de Gauss, dénommée courbe « macabre » par René Antibi, et fort de ses comparaisons, Alain Bouvier affirme : « En France, le nombre élevé de mauvaises notes est considéré comme le signe du sérieux et de l’exigence d’un professeur ; c’est un indice de qualité. De l’autre côté de l’Atlantique, ce serait le signe d’un échec de l’enseignant et un indice de non qualité. C’est donc bien une question de culture. »
Il est vrai que cette pratique de la notation est assez caractéristique de la « pédagogie » française avec la différence fondamentale entre la notation sur 10 dans le primaire et sur 20 dans le secondaire. Mais remarquons tout de même, avec Pierre Merle, que cette pratique se généralise dans le système français à la fin du XIXème siècle à partir de la réglementation des examens (baccalauréat, certificat d’étude primaire et certificat d’étude primaire supérieur)[1]. Mais Pierre Merle indique également qu’il y a des discussions et des désaccords. Je pense qu’il y a trois thématiques :
- La notation permet de mieux assurer le classement des élèves.
- L’échelle de notation et sa précision, le point, le demi-point, le quart de point.
- La distinction entre notation et classement. Il faut se centrer sur l’évaluation de la compétence et non sur le classement.
Et ces discussions se développent au sein même de la hiérarchie de l’Education nationale. Au fond ce débat est très ancien. On peut donc se demander si la hiérarchisation est seulement culturelle.
Si la notation se développe à l’occasion de la réglementation des diplômes, le baccalauréat en particulier, alors il faut se demander qu’elle est la fonction de ces diplômes.
Le baccalauréat
Pourquoi le diplôme du baccalauréat, diplôme universitaire devient une préoccupation de la part de l’Etat en France ?
« Au sortir de la Révolution française il n’existe en effet plus d’écoles de tous niveaux. Les écoles primaires sont repensées sous l’impulsion, notamment, de Talleyrand. On créé avec succès des écoles spécialisées, dont l’Ecole polytechnique, qui forme les militaires, ou le Conservatoire National des Arts et Métiers.
Napoléon, lui, s’intéresse essentiellement à l’enseignement secondaire, qui a pour vocation d’apporter « les connaissances premières nécessaires à ceux qui sont appelés à remplir des fonctions publiques, à exercer des fonctions libérales ou à vivre dans les classes éclairées de la société « .
C’est ainsi que sont restaurées les facultés de Droit, de Théologie et de Médecine, et qu’est créée celle de Sciences. Pour accéder à ces dernières, il faut obligatoirement être le titulaire d’une “maîtrise ès arts” dispensée par la faculté de Lettres. C’est cette maitrise qui est nommée “baccalauréat”. C’est en effet la culture gréco-latine qui domine le champ culturel, d’où l’importance de la faculté des Lettres. » (extrait d’une émission de France Culture)
Ainsi le baccalauréat au début du XIXe siècle permet d’exercer notamment des fonctions liées au fonctionnement de l’état et de développer « les classes éclairées de la société ».
A l’occasion Bicentenaire des académies et des recteurs, Hubert OUDIN, prononce un discours[2]. On y trouve quelques éléments intéressants. Dans les premières années, le diplôme est donné à moins de 1000 personnes. Mais dès 1830 on en est à 3 000. On introduit alors des épreuves écrites
Jusqu’en 1890, les systèmes d’appréciations de la part du jury sont diverses :
- Au début : « très bien, bien, assez bien ou mal »
- En 1854 : « un vote à l’aide de trois boules : une rouge pour un avis positif, une blanche pour l’abstention ou un avis moyen et une boule noire pour un avis défavorable… On procède ainsi pour chacune des épreuves. Que se passe-t-il si le candidat a plus de boules noires ? Il est « blackboulé »… terme qui est évidemment un emprunt à l’anglais et qui est entré dans la langue au milieu du XIXe siècle. »[3]
Avec les développement de la seconde révolution industrielle, le nombre de candidat au baccalauréat augmente et les épreuves écrites nécessitent une autre manière de « coter » les épreuves. On passe à la notation.
Il faut remarquer qu’à la même époque le ministère réglemente la manière dont les établissements du secondaire doivent gérer le passage de classe en classe, et en 1890 il impose le calcul de la moyenne entre des épreuves trimestrielles comme base pour décider du passage en classe supérieure[4].
Et le certificat d’études primaires ?
Le ministre Victor Duruy en 1866 « recommande aux recteurs d’encourager l’introduction d’un certificat d’études primaires dans leur académie… »[5]. L’école n’est pas encore obligatoire, et Philippe Savoie indique que « Ce certificat est conçu comme une récompense destinée à stimuler les élèves en créant une émulation entre eux, et à « vaincre l’indifférence des parents » à l’égard de l’école. Duruy espérait d’ailleurs que le certificat d’études deviendrait « un titre de préférence » pour l’accès à certaines professions de l’agriculture, de l’industrie ou du commerce. » On retrouve ainsi la même fonction sociale que celle du bac : donner accès à certaines professions, nouvelles dans la société qui évolue.
Une autre remarque de Philippe Savoie doit être relevée : « …le CEP reste déchiré pendant des décennies entre ces deux projets contradictoires : constater que les élèves – autant d’élèves que possible- ont profité d’une scolarité normale et acquis les compétences ordinaires requises ; ou bien sélectionner les meilleurs, ceux qui pourront éventuellement poursuivre plus loin leurs études, et donc faire du certificat une distinction relativement rare pour en préserver le prix. »
Une alternative fondamentale
Là encore apparaît l’alternative : éducation du plus grand nombre ou fonction sélective.
Autrement dit, l’alternative de l’éducation de tous et de la méritocratie toujours actuelle est une vielle affaire dans notre système éducatif (et surement pas seulement le nôtre. Elle se trouve tranchée par des choix politiques. Les dernières années montrent bien me semble-t-il le balancement entre ces deux branches : Sarkozy, méritocratie, Hollande, éducation de tous, Macron méritocratie.
Dans un article récent, Jean Christophe Torres[6] dénomme ainsi cette alternative : “Depuis la réforme Haby et la fin des orientations ouvertement différenciées dans le parcours éducatif, le système scolaire a fondamentalement intégré la valeur centrale de l’inclusion/intégration des élèves comme sa dimension à la fois constitutive et la plus consensuelle.” Et il conclut cet article ainsi : “Il existe donc bien un conflit entre deux écoles, entre deux fins éducatives. Et ce conflit des valeurs, entre logique d’inclusion et logique d’excellence, est incontestablement l’un des plus essentiels – et sans doute même le plus important par ses incidences – dans la crise que traverse aujourd’hui notre système éducatif qui se cherche encore un centre – celui-ci n’étant pas pour l’heure, à l’évidence, l’élève lui-même.”
Bernard Desclaux
[1] Pierre Merle, Les pratiques d’évaluation scolaire. Historique, difficultés, perspectives. PUF, 2018. On peut lire des extraits de cet ouvrage ici.
[2] « La certification des études secondaires par le baccalauréat » le 6 mai 2008
[3] P.4 et 5 du discours de Houdin.
[4] Voir notamment Bernard Desclaux « Notation et orientation se tiennent la main »
[5] QUELLE HISTOIRE POUR LE CERTIFICAT D’ÉTUDES ? Par Philippe SAVOIE, Histoire de l’éducation – n ° 85, janvier 2000, p. 52
[6] Torres Jean Christophe « Le conflit des deux écoles : inclusion ou méritocratie républicaine »
Bernard Desclaux
Dernière modification le mardi, 05 février 2019