Dans sa Note d'information N° 20-38 en date de novembre 2020, ("A la rentrée 2020, les élèves de terminale précisent leurs choix de parcours"), la Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du Ministère de l'Education nationale présente les résultats d'une étude consacrée aux choix d'enseignements de spécialité faits en 2020 par les lycéens, aussi bien pour leur passage en première générale qu'en terminale.
Devant obligatoirement abandonner l'un des trois enseignements de spécialité choisis pour l'année de première générale, beaucoup se demandaient quels enseignements de spécialité les élèves choisiraient en passant en terminale générale, et donc celui des trois de première qu'ils abandonneraient à cette occasion. A cet égard les choses sont claires : près de 40% des élèves ayant opté pour les mathématiques en première ont choisi de renoncer à cet enseignemant en passant en classe terminale générale
Il est aujourd'hui trop tôt pour affirmer que cette tendance va durablement s'installer. On observera donc de très près les données statistiques relatives aux choix d'enseignements de spécialité que feront les familles dont un enfant est actuellement scolarisé en classe de première, à l'occasion du passage en terminale à la rentrée 2021. En attendant, force est de constater qu'alors que les élèves entrés en première générale en septembre 2019 avaient été 265397 à opter pour l'enseignement de spécialité de mathématiques, ces mêmes élèves n'étaient plus que 154444 à faire ce même choix (- 40,2%) lors de leur passage en terminale générale en 2020. Un important taux de chute était attendu, mais pas aussi important.
Comment expliquer un tel phénomène ?
1. Passer de trois choix obligatoires en première à deux en terminale, crée inévitablement une tendance à la baisse du choix de tous les enseignements de spécialité
La réforme du lycée a introduit l'obligation, pour tous les élèves entrant en première générale, d'opter pour trois enseignements dits "de spécialité" (quatre heures par semaine chacun) qui doivent être choisis parmi ceux proposés par l'établissement fréquenté, en fonction d'une liste nationale. Les enseignements concernés sont ceux de mathématiques, physique-chimie, sciences de la vie et de la Terre (SVT), sciences économiques et sociales (SES), histoire-géographie-géopolitique et sciences politiques (HGGSP), humanités-littérature et philosophie (HLP), langues-littérature et cultures étrangères ou régionales (LLCE/R : le plus souvent anglais), numérique et sciences informatiques (NSI), sciences de l'ingénieur (SI), littérature - langues et civilisation de l'antiquité (latin, grec classique), arts (arts plastiques, arts du cirque, cinéma-audiovisuel, danse, histoire des arts, théâtre), biologie-écologie. Les sept premiers de cette liste sont proposés dans quasiment tous les lycées de statut public ou privé sous contrat. Les cinq autres le sont. plus rarement.
On constate que les mathématiques sont l'enseignement de spécialité le plus choisi en classe de première générale (par 60,6% des élèves en 2020), suivi de ceux de SES (43,6%), physique-chimie (41,5%), SVT (39,5%), HGGSP (37%) etc.). C'est également vrai en terminale : en 2020, 41,1% des élèves ont opté pour l'enseignement de spécialité de mathématiques, suivi par la physique-chimie (33,2%), les SES (32,9%), les SVT (26,9%), HGGSP (26,%), etc. Cependant, ce maintien au premier rang des choix de l'enseignement de spécialité de mathématiques en terminale s'accompagne d'une très forte chute du nombre des élèves qui la conservent : alors qu'ils furent 60,6% à faire un tel choix en 2020, ils n'ataient plus que 41,1% à renouveler ce choix en entrant en terminale. Ainsi, cette baisse concerne l'ensemble des enseignements de spécialité, mais est la plus forte en mathématiques
2. Les mathématiques en première générale : le choix imposé du "tout ou rien"
Il a été decidé que les mathématiques ne figureraient pas dans la liste des enseignements du tronc commun de la nouvelle classe de première générale. Ce choix découle du fait qu'on a tenu à maintenir la possibilité qui existait dans l'ancien lycée de se doter d'un profil fortement, voire strictement littéraire. et/ou sciences humaines et sociales, en permettant à certains de faire le choix d'un cursus d'études générales dans lequel il n'y aurait pas d'enseignement de mathématiques, mis à part le fait que, dans le tronc commun, figure un "enseignement scientifique" à horaire très léger (deux heures par semaine) dont le programme comprend quelques éléments de mathématiques appliquées (statistiques, probabilités...), très insuffisant cependant pour que les élèves y trouvent un enseignement de niveau suffisant pour prétendre passer ensuite dans des formations supérieures caractérisées par une plus ou moins importante exigence
Ainsi, en entrant en première générale, concernant l'enseignement de mathématiques, les élèves n'ont que deux choix possibles : soit ils optent pour cet enseignement de spécialité, soit ils n'en font pas du tout. Autrement dit, il n'a pas été prévu la possibilité d'opter pour un enseignement de mathématiques de niveau intermédiaire, entre le "tout" (le programme des élèves qui s'inscrivent en spécialité maths), et le "rien" (élèves ayant renoncé à choisir cet enseignement). C'est une rupture importante par rapport à l'ancien lycée qui offrait la possibilité, en première générale, de choisir entre trois scenarios : pour les forts en maths on pouvait s'orienter vers la filière S; les très rétifs aux maths avaient la possibilité de choisir la filière L et de ne pas y opter pour l'enseignement optionnel de mathématiques; entre ces deux extrêmes, il était possible de bénéficier d'un programme de mathématiques de niveau intermédiaire tel que celui proposé en filière ES et aux L qui décidaient de bénéficier de l'enseignement optionnel de mathématiques, dont le programme était quasiment le même qu'en ES.
On comprend d'autant moins un tel positionnement des mathématiques en première que le programme de cet enseignant a été conçu pour des élèves dont le profil est scientifique. Il est très abstrait, complexe et objectivement peu absorbable pour une importante partie des élèves qui le choisissent en entrant en première. La grande difficulté (voire la souffrance) ressentie par une partie des élèves explique en grande partie le phénomène de forte réduction du nombre de celles et ceux qui continuent d'opter pour cet enseignement de spécialité en classe terminale générale. On pourrait certes objecter que ces élèves n'ont qu'à s'abstenir de choisir cet enseignement, mais c'est oublier qu'en première, c'est forcément "tout ou rien" ainsi que nous venons de le démontrer. Il en résulte qu'à ce niveau de la scolarité, beaucoup d'élèves optent pour la "spé maths" par défaut, c'est-à-dire faute de pouvoir choisir un enseignement de mathématiques de niveau intermédiaire, qui aurait été plus à leur portée, se disant qu'après une année de calvaire, ils pourront y renoncer en classe terminale et basculer sur l'option facultative de "mathématiques complémentaires", à la condition toutefois d'avoir opté en première pour l'enseignement de spécialité de mathématiques ! C'est donc un véritable piège qui se referme ainsi sur des milliers d'élèves qui auraient mérité un autre sort !
3. Emergence, dans certains établissements, d'une offre non règlementaire d'un enseignement de mathématiques de niveau intermédiaire en classe de première générale :
On peut donc s'étonner de constater qu'il n'ait pas été prévu de proposer en première générale un programme de mathématiques plus "soft", prenant place à côté de l'enseignement de spécialité, au choix des élèves, et ce d'autant qu'une telle possibilité existe en terminale. Il y a en cela une sorte d'incongruité qui n'a pas de raison d'être et demande à être corrigée. Malheureusement, à ce jour, rien n'est annoncé qui irait dans ce sens.
En attendant qu'un tel changement survienne officiellement, nous avons pu constater que dans certains lycées (pour la plupart privés sous ou hors contrat), il a d'ores et déjà été décidé d'ajouter en première générale une offre d'enseignement de mathématiques de niveau intermédiaire, afin de combler le vide créé par la réforme du lycée à ce niveau de la scolarité. C'est une illustration d'un célèbre proverbe : "la nature à horreur du vide" ! Dans ce cas, certains élèves sont incités à opter pour la "spé maths" en première, condition sans laquelle ils ne pourraient pas choisir l'enseignement optionnel facultatif de "mathématiques complémentaires" en terminale. Bien évidemment, le programme officiel de mathématiques proposé en première générale à ces élèves est alors "revisité" afin de s'ajuster sur les acquis nécessaires pour pouvoir suivre le programme de l'enseignement de "mathématiques complémentaires" en classe terminale générale.
Cette pratique dérogatoire crée une situation très inégalitaire entre certains établissements privés et les établissements publics. Une telle situation, lorsqu'elle existe, ne va pas sans provoquer de plus ou moins vives protestations de la part des responsables et enseignants des lycées publics. Cependant, un tel phénomène est pour le moment rare, et les recteurs s'efforcent de le supprimer, mais force est de constater que cela continue d'exister ça et là, et constitue un facteur supplémentaire d'attraction vers les établissements privés, ce qui conduit certains chefs d'établissements publics à parler de "concurrence déloyale". C'est là une situation qui pourrait s'envenimer.
4. Terminale générale : quatre façons de se positionner par rapport aux enseignements de mathématiques
Concernant l'enseignement des mathématiques dans la voie générale du nouveau lycée , les élèves qui entrent en terminale se répartissent selon quatre possibilités de profils entre lesquels il faut choisir :
- Le profil "Je ne veux pas en faire du tout" !
C'est celui de celles et ceux qui n'optent ni pour la "spé maths", ni pour l'option facultative de "mathématiques complémentaires". Peu nombreux, ces élèves se contentent des quelques éléments de mathématiques appliquées inclus dans l'enseignement scientifique obligatoire qui figure dans le tronc commun.
Concernant les débouchés dans l'enseignement supérieur, sauf cas très particuliers, ces élèves ne pourront envisager que des formations peu ou pas mathématisées : licences de lettres, langues, droit, information-communication, certaines licences-doubles, les instituts d'études politiques, les écoles de communication, les écoles d'art, les classes préparatoires littéraires aux grandes écoles (CPGE) hors spécialité B/L, certains BTS et bachelors (d'IUT ou autres), certaines écoles de travail social, d'infirmières, etc.
- Le profil "Je veux bien en faire, mais modérément"
Après avoir opté en première pour l'enseignement de spécialité de mathématiques (parmi les trois qu'ils doivent choisir), certains élèves y renoncent en entrant en terminale (il n'est alors possible que d'en conserver deux). Une importante partie de ces élèves compensent cet abandon par le choix de l'option facultative de "mathématiques complémentaires" qui permet de bénéficier d' un programme allégé, à la portée de beaucoup, les mathématiques y étant abordées de façon plus concrète qu'en "spé maths", et sur un volume horaire hebdomadaire réduit de moitié (trois heures au lieu de six).
Les études supérieures qui s'offrent à ce type d'élèves sont plus larges que celles qui concernent le profil précédent : aux formations accessibles aux "je ne veux pas en faire du tout" s'ajoutent d'autres possibilités de cursus d'études pour lesquelles le programme de cet enseignement de mathématiques complémentaires est adapté... pour peu bien sûr qu'on y ait réussi : licences d'économie, gestion, sociologie... diverses licences doubles, les écoles de commerce et management à recrutement niveau bac, d'autres écoles du secteur des services, les CPGE économiques et commerciales, les IUT et BTS du secteur des services, la nouvelle filière LAS (licence accès santé), etc.
- Le profil "J'en veux plus !"
C'est le profil des élèves qui, en entrant en terminale générale, font le choix de conserver l'enseignement de spécialité de mathématiques, sans pour autant lui ajouter l'enseignement optionnel facultatif de "mathématiques expertes". Ils sont presque aussi nombreux que les membres de la catégorie précédente.
Doté d'un volume horaire important (six heures par semaine), et caractérisé par un niveau d'exigence nettement plus élevé et un programme fortement abstrait, cet enseignement de mathématiques permet d'ajouter aux débouchés vus précédemment, ceux offerts par les formations supérieures fortement mathématisées, qu'elles soient scientifiques (écoles d'ingénieur, classes préparatoires aux grandes écoles scientifiques, diverses licences doubles maths/sciences, les licences de mathématiques et/ou sciences diverses, le parcours spécifique accès santé (PASS) ... ou non scientifiques (licences de sciences économiques les plus exigentes en mathématiques telles celles proposées par l'université Paris-Dauphine et plusieurs autres, les classes préparatoires économiques et commerciales générales (ECG) figurant en bon rang dans les "palmarès", les CPGE littéraires B/L, etc.
- Le profil "Je veux en faire à fond" :
C'est le profil des meilleurs élèves dans cette discipline. Peu nombreux, ils optent pour la "spé maths" (six heures par semaine), et ajoutent trois heures d'enseignement optionnel facultatif de "mathématiques expertes". Le tout est du plus haut niveau, et donc de la plus haute exigence. Notons que les élèves demandeurs d' être admis dans cette option facultative ne le peuvent que sur avis favorable du professeur de la "spé maths" en première.
A l'issue de leurs années lycée, ces élèves peuvent solliciter leur admission dans les mêmes formations supérieures que celles promises aux membres du groupe précédent, mais peuvent en outre valoriser leurs acquis supérieurs en mathématiques en sollicitant leur admission dans des formations à haut ou très haut niveau d'exigence en mathématiques. Ceci bien sûr à la condition d'avoir réussi dans ce domaine du savoir.
Nota bene : Lorsque nous évoquons les potentiels de débouchés post baccalauréat qui s'offrent aux membres de chacun des quatre profils que nous venons de décrire, il faut bien comprendre que c'est sous réserve que l'élève ait réussi dans la forme d'apprentissage des mathématiques qu'il a choisi. Ainsi, par exemple, concernant la probabilité d'être admis en CPGE économique et commerciale générale , il vaut mieux avoir bien réussi en "mathématiques complémentaires", que d'afficher un mauvais bilan en "spécialité maths".
Conclusion :
Dans le système éducatif français, comme dans bien d 'autres, les mathématiques sont un véritable "marqueur" de la hiérarchies des filières de l'enseignement secondaire : au plus le volume horaire hebdomadaire et le niveau d'exigence sont élevés, au plus la filière de formation dans laquelle cet enseignement prend place est valorisée. C'est vrai en ce qui concerne les voeux d'orientation des familles, mais aussi pour les procédures d'admission en lycée (à partir de la fin des années collège) et pour le passage dans l'enseignement supérieur.
Il n'en est pas toujours allé ainsi : jusqu'à la Première Guerre Mondiale (vers 1910/1920), c'était le latin (et encore plus lorsqu'il était accompagné du grec classique) qui servait de marqueur principal, et ce y compris dans le cadre de certains enseignements scientifiques tels ceux qui conduisaient aux carrières de la santé.
L'un des objectifs assignés à la réforme du lycée versus Blanquer est de réduire la fracture qui, dans le lycée d'avant, classait au premier rang le baccalauréat S, et son haut niveau d'exigence en mathématiques. Cette vision des choses conduisait alors à ce que cette voie d'études supérieures soit préférentiellement choisie par une forte majorité d'élèves à profil scientifique - ce qui semble logique - mais aussi d'élèves à profil non scientifique, pour la plupart mal armés pour y réussir à bon niveau. Ces derniers voyaient dans le baccalauréat S une sorte de garantie d'accéder aux plus hautes marches de la réussite scolaire, puis sociale et professionnelle, perdant trop souvent de vue le fait que ce raisonnement n'était fondé qu'en cas de bon niveau de réussite en mathématiques. Dans le but affiché de rompre avec cette vision en grande partie trompeuse, il a été décidé de fusionner les trois anciennes filières générales (ES, L et S) en une seule, et de faire en sorte que la nécessaire diversification des parcours d'études secondaires générales se fasse non par l'existence de filières hiérarchisées, mais par une large possibilité de choix d'enseignements optionnels.
L'intention de départ était louable, mais force est de constater que, du fait des défauts mis en évidence tout au long de cet article, cet objectif a peu de chances d'être atteint... du moins dans le cadre actuel de cette réforme du lycéen . Il n'est cependant pas trop tard pour mieux faire !
Bruno MAGLIULO
Dernière modification le jeudi, 04 mars 2021