Discours du ministre et présentation de la conférence
La séance est ouverte par un enregistrement du message du ministre de l’Éducation nationale.
Il faut être patient et attendre plus de 10 minutes pour le voir, la vidéo n’a pas été nettoyée. Le ministre admet donc les difficultés concernant les inégalités sociales, mais rappelle toutes les politiques antérieures menées par d’autres gouvernements, et il évoque un certain nombre de mesures qu’il envisage, dont le redoublement et les groupes de niveaux, et remercie bien sûr par avance les travaux des scientifiques qui vont se pencher sur ce problème.
Il rappelle également le lancement d’une mission auquel le CICUR vient de répondre sur le Café pédagogique[2] : « Sans attendre les résultats de la mission « Exigence des savoirs », vous avez déjà formulé vos préconisations en exploitant la nostalgie pour une époque révolue. Vous puisez ainsi dans le catalogue de vieilles recettes qui ont fait la preuve de leur inefficacité, voire de leur nocivité, qui les ont fait abandonner lorsqu’elles avaient cours ».
Élise Huillery, professeure d’économie à l’université Paris Dauphine-PSL, rappelle le grand écart entre les objectifs officiels de l’École française et les résultats observés depuis plus de vingt ans par les enquêtes internationales comme PISA. Ensuite, elle répond très vite au ministre. Je résume, les études « scientifiques » montrent qu’il n’y a pas d’efficacité dans la réduction des effets des inégalités sociales sur les résultats scolaires, ni de la part des redoublements, ni de l’utilisation des groupes de niveaux[3]. Premier écart. Et elle poursuit en rappelant l’inefficacité dans ce combat des politiques publiques basées sur les moyens, telles que les différentes politiques concernant l’éducation prioritaire. Seul très léger espoir, le dédoublement des classes dont les effets à long terme seront à étudier.
Concernant l’inefficacité des groupes de niveau, l’explication évoquée est à relever : l’homogénéité du groupe réduit l’émulation entre les élèves. Et là, je m’interroge. Cette explication supposerait que la pédagogie observée dans ces groupes repose sur la compétition entre les élèves. Est-ce qu’une pédagogie reposant sur la coopération aurait d’autres résultats ?
Les sessions
C’est pourquoi les études se portent non plus sur des questions organisationnelles, mais sur des actions « pédagogiques ».
D’où une première présentation d’études sous le titre : « Agir sur les compétences sociales et comportementales ». Ces études présentent l’évaluation d’actions favorisant ces compétences auprès des parents et des élèves. Les interventions permettent d’élever la représentation de soi favorisant des réussites scolaires[4]. Ces interventions peuvent être relativement courtes, peu couteuses et surtout ayant un bénéfice social important. Relevons une remarque d’un des intervenants (Yann Algan), il serait important de développer des formations sur cette thématique pour les enseignants dès la formation initiale de ceux-ci.
La deuxième session « Agir sur la mixité sociale dans les établissements » montre la complexité de la mise en œuvre de ce type de politique, qui doit être pilotée localement par les différentes instances territoriales (et non pas par l’autorité centrale) et les résistances qu’elles rencontrent. Je vous renvoie au visionnage des interventions.
La troisième session « Agir sur l’orientation » a présenté deux études qui devraient particulièrement intéresser les personnels d’orientation, mais pas que… En passant, aucune mention des services d’orientation en tant qu’acteurs dans ces processus.
Pascal Bressoux, présente une analyse dans l’académie d’Amiens, des phases de l’orientation des élèves de troisième qui montre que les demandes des élèves dépendent de leurs notes, mais aussi de leur position sociale. Plus intéressant, les recommandations (faites par les conseils de classe) au lieu d’atténuer la différenciation des demandes, les renforcent.
Coralie Chevallier, travaille sur les comportements d’attente et notamment à partir d’une analyse des données issues de l’utilisation de la plateforme APB car celle-ci imposait la hiérarchie des demandes, ce qui permet d’étudier la hiérarchie subjective des formations de chacun des demandeurs. Les lycéens ayant une proposition de place peuvent attendre une autre (meilleure) proposition. Ceux qui attendent ont une probabilité d’obtenir une meilleure formation dans leur échelle personnelle.
L’analyse montre que l’attente est corrélée à la position sociale. Plus on est bas dans l’échelle et plus on accepte la place sans attendre. Autrement dit, le système renforce les inégalités, là encore, d’autant plus que la phase du choix se fait dans la solitude en l’absence d’accompagnement organisé comme le remarquait une intervenante de la salle. On peut rajouter que dans la plateforme actuelle, Parcoursup, on a supprimé la hiérarchisation des demandes, ce qui peut encore plus renforcer l’aplanissement de la hiérarchie subjective et réduire encore la tendance à l’attente.
Remarques
Cette conférence a donc permis d’évoquer un éventail de recherches actuelles dont les résultats sont parfois cruels pour nos croyances républicaines. Il ne suffit pas de réclamer d’un ensemble de valeurs pour qu’elles s’incarnent dans el réel. Nous terminerons ce rapide résumé par quelques remarques rapides et sans doute marginales.
L’attention, l’aide, l’accompagnement ont été évoqués à de multiples reprises. Or on ne peut que constater une dégradation des conditions de leur exercice par les personnels de l’éducation nationale, tant du côté des enseignants que du côté des PsyEn. La démultiplication de la fonction de professeur principal ou de référent, sans moyens organisationnels, est inefficace. Quant aux PsyEN, la réduction du nombre, tant des CIO que des personnels, n’est pas favorable.
L’analyse des recommandations de Pascal Bressoux m’a fait penser à une expression entendue régulièrement dans bien des conseils de classe : « On ne va pas prendre le risque de le faire passer », expression qui permet d’affirmer la haute responsabilité des enseignants. Après y avoir adhéré dans les premières années, j’ai essayé de m’en détacher en demandant : « Mais qui prend le risque ? ».
Mais au fond, et c’est là le grand écart de ces études, on étudie scientifiquement l’état actuel en cherchant à améliorer le comportement des personnes sans s’interroger sur le fonctionnement et l’organisation du système. La confrontation internationale pourrait pourtant permettre une remise en cause de l’évidence de notre cadre, la structuration de notre système scolaire, la dualité public/privé, et les règles de circulation.
Bernard Desclaux
Article publié sur le site : Le blog de Bernard Desclaux » Blog Archive » Ministre, CSEN, les égards et les écarts (educpros.fr)
[1] https://www.youtube.com/watch?v=-FELxK_iacI et le programme sur la page https://www.reseau-canope.fr/agir-sur-les-inegalites-sociales-de-lecole-a-lenseignement-superieur.html
[2] CICUR : Inventer enfin le collège de la culture commune ! https://www.cafepedagogique.net/2023/12/01/cicur-inventer-enfin-le-college-de-la-culture-commune/ ?utm_campaign=Lexpresso_01-12-2023_1&utm_medium=email&utm_source=Expresso
[3] Eléa Pommiers, (28 novembre 2023). Pourquoi les groupes de niveau au collège pourraient accroître les inégalités sans élever le niveau général. https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/11/28/creer-des-groupes-de-niveau-au-college-les-risques-d-une-proposition-tres-contestee_6202693_3224.html
[4] Je résume et simplifie une description beaucoup plus complexe
Dernière modification le dimanche, 31 décembre 2023