On reconnaît, depuis longtemps déjà, que si la démocratisation quantitative a été une réussite, par exemple avec le collège unique et l’accès au lycée et au bac, la démocratisation qualitative a été un échec, sans aucun doute faute d’avoir eu le courage de changer fondamentalement l’école. L’idée de refondation de l’école s’imposait donc. Après l’échec de la loi Jospin de 1989, enterrée sans évaluation, après tant de réformettes cumulées, annulées puis restaurées sous d’autres termes, après les dégâts du pilotage par les résultats malheureusement maintenu, après les indispensables réparations à engager en 2012, il fallait bien reprendre le problème de l’avenir de l’éducation en général et de l’école en particulier avec une approche différente, neuve, globale, prospective, fondamentale.
L’éducation prioritaire elle-même, grande idée de la gauche pour compenser dans l’urgence les inégalités sociales, devait être remise en questions. Elle n’était pas destinée à être éternelle sauf à admettre la fatalité du « handicap » social et la nécessité de compensations pour espérer un rééquilibrage en vertu du principe « donner plus à ceux qui ont plus de besoins ». On sait que, faute de mobilisation collective pour de grandes idées, la tendance naturelle est de considérer que tout moyen supplémentaire attribué (postes, budget, primes) est toujours considéré comme normal et acquis. Comme l’attribution de moyens n’est jamais assortie de l’exigence de faire autrement, on fait comme avant avec plus de moyens et on tourne en rond, sans rien remettre en cause, ce qui finalement, arrange bien tout le monde.
En fait, Vincent Peillon qui s’était longuement préparé à la fonction de ministre de l’Education Nationale et qui était sans doute le plus compétent des ministres que l’école pouvait connaître depuis les années 1970, a été piégé par la question du temps scolaire. Le temps scolaire n’a rien à voir avec une éventuelle refondation. Encore moins quand les programmes débiles de 2008 sont autoritairement maintenus et contrôlés, quand les pratiques pédagogiques ne sont pas remises en cause, quand les activités péri éducatives sont hermétiquement juxtaposées aux activités scolaires, quand le projet éducatif de territoire n’est qu’un document formel rangé dans un tiroir, quand le développement de l’autoritarisme hiérarchique et du fonctionnement pyramidal est renforcé. Comment oser parler de refondation avec des programmes aussi indigents que ceux imposés par X. Darcos ? Comment oser parler de refondation quand le pilotage par les résultats est sacralisé alors que personne ne se préoccupe d’analyser les pratiques qui les produisent ? La refondation annoncée n’a jamais été définie, elle est déjà tombée dans l’oubli. Elle a été remplacée par des mesures, des instructions, des dispositifs, des corrections de l’existant, des discours et par des campagnes de communication sur les dispositifs et mesures, jamais sur les grands enjeux. Comme l’écrivait Philippe Meirieu dans son livre « Pédagogie. Des lieux communs aux concepts clés » (ESF. 2013) tournant en dérision la littérature de l’énarchie au pouvoir dans les cabinets: « Il s’agit de co-construire des dynamiques partenariales avec les différents acteurs en s’appuyant sur un diagnostic partagé, afin d’améliorer l’efficience du système en matière de gestion des flux, dans le cadre de contrats éducatifs validés par une gouvernance renouvelée » Concrètement, il s’agit de remplir des tableaux Excel et de participer à quelques concertations institutionnelles où il est surtout question d’organisation et de gestion de dispositifs, rarement de ce que l’on y fait avec les élèves… (…) Et la question pédagogique (est) évacuée… » Est également évacuée la question des ruptures nécessaires au progrès.
La campagne engagée à grands frais pour la mixité sociale dans les collèges, avec ses discours, ses expérimentations, ses vitrines bien choisies, s’inscrit dans le même esprit. On communique au sommet de la pyramide, on flagorne dans les échelons intermédiaires, on ressort des tiroirs de vieilles recettes que l’on reformule avec un langage plus technocratique, on trouve des moyens complémentaires pour réussir le soufflé alors que les caisses de l’Etat sont vides. On sait que tout cela ne changera pas grand-chose à la base, sceptique et désabusée. Les petits pas bien timides et frileux du pouvoir provoquent des réactions épidermiques ou corporatistes vite oubliées avec la résistance passive et la ouate institutionnelle qui absorbe tout.
La mixité sociale n’est pas le problème de l’école.
Elle est d’abord le problème des collectivités territoriales, sous le contrôle de l’Etat. C’est une question de politique de l’habitat, une question d’aménagement du territoire, une question de réflexion sur le logement social et au-delà du logement, une question de vie dans les villages et les quartiers. L’école est ghettoïsée dans les quartiers ghettoïsés. Transporter les enfants dans des collèges huppés ne changera rien. Ces enfants se retrouveront dans la rue de leur quartier, sur les terrains aménagés ou non, dans les équipements sociaux, dans la vraie vie. Il serait normal et sain que tous les enfants fréquentent l’école de leur quartier puis le collège de leur secteur. Il est anormal de les transporter dans d’autres établissements où rien n’aura changé, en considérant que le brassage imposé suffira à réduire les inégalités et à modifier les représentations des élèves sur l’école. L’ouverture de la carte scolaire et les transports d’élèves vers des collèges plus huppés que celui de leur secteur ne peut que renforcer l’idée qu’il y a des bons et des mauvais collèges, et, mécaniquement, favoriser le développement de l’enseignement privé.
Il est vrai que la crise est si grave que l’on ne peut pas attendre que le réaménagement des territoires devienne une réalité pour tenter de trouver des solutions. Malgré l’éducation prioritaire portée par Alain Savary après l’élection de François Mitterrand, malgré les dispositifs qui se sont accumulés par la suite, les écarts se creusent. C’est normal dans la mesure où nous sommes toujours dans le domaine de la compensation, de la remédiation, en évitant la nécessaire reconstruction complète. Certes, il n’est pas question d’un grand soir de l’école, personne n’y est préparé et prêt. Certes, la gravité du problème est telle qu’il faut bien des mesures d’urgence nouvelles. Mais il est évident que l’absence d’un grand dessein national mobilisateur, l’absence d’une mise en perspective autre que la correction de l’existant – l’Education Nationale n’a jamais su se donner une vision prospective cohérente avec un projet de société -, limiteront toujours les ambitions.
La mixité scolaire n’est pas que le problème des élèves.
Elle est, beaucoup plus largement, le problème des familles, du milieu, des gens qui vivent sur le territoire. C’est le problème de l’éducation populaire tout au long de la vie, de la culture de la connaissance et de la communication. Comme toute personne, l’élève est à la fois un individu et un être social. Il n’est pas possible de le considérer comme un élève standard. Il est aussi le produit de son milieu et les chances sont minimes, exceptionnelles de réussir à le formater comme élève sage, obéissant, capable de jouer un rôle, au mépris de ce qu’il vit et apprend dans son milieu. Il y a donc urgence de tout mettre en œuvre pour élever le niveau de l’ensemble des citoyens comme c’était le projet de la Ligue de l’Enseignement par exemple, lors de sa fondation. Une fondation et une refondation de l’école ne pouvaient et ne pourront se concevoir sans une refondation de l’éducation populaire. Il y a urgence à lancer un débat démocratique national sur la question de l’éducation, transcendant les clivages politiciens, les conservatismes entretenus, la nostalgie d’un âge d’or qui n’a jamais existé, et les débats et sondages sur des questions qui n’ont pas de sens sur des problèmes dérisoires au regard de l’importance d’un grand projet éducatif global, neuf. On est en droit de se demander si des questions partielles comme le temps scolaire, la note, les cours ajoutés aux cours, etc, ne sont pas destinées à dissimuler ou à fuir les vrais problèmes de fond. A chaque jour un nouveau projet de texte officiel, une opération, une annonce. On en oublie l’idée forte de refonder…
En 2012, un grand rendez-vous avec l’histoire a été raté. L’idée de refondation de l’école était une chance pour l’éducation populaire avec la notion de projet de territoire. Alors que les associations traditionnelles comme les amicales laïques avaient perdu le terrain, le lien avec l’école, le lien avec la jeunesse, alors que les structures départementales, régionales, nationales s’étaient bureaucratisées, technocratisées au fil des décennies, privilégiant les projets encadrés, les opérations, les compétitions avec les secteurs marchands dans le domaine des vacances et des loisirs, l’image des structures, la notion de projet éducatif territorial aurait pu recréer du lien social, mobiliser tous les porteurs de savoirs, remettre en cause le modèle de la subvention annuelle pour survivre et des marchés aux puces, lotos et kermesses pour vivre. Le modèle du contrat pluri annuel avec un engagement de participation au projet éducatif local et au-delà, avec une participation active aux politiques culturelles, sociales et éducatives des collectivités aurait pu être expérimenté. On aurait pu ainsi se libérer de la technocratie et des « chefs » de projet pour donner du sens à un projet éducatif réellement partagé, et développer la démocratie locale.
On ne pourra jamais refonder l’école avec la mixité scolaire si l’on n’agit pas sur son environnement.
Un enfant sent très vite et fortement si son milieu, sa famille, ses parents sont considérés, existent, participent autrement que comme des sujets que l’on convoque et à qui l’on explique toujours de manière magistrale, sans se préoccuper de leur pensée et de leurs savoirs
La question de la place des parents est à situer dans ce contexte éducatif nouveau. Les projets de statut de parent d’élève et de nouveaux règlements, avec leur lot d’incantations que l’on connaît bien depuis les années 1970 et qui n’ont rien changé, ne présente guère un grand intérêt hormis l’éventuelle obligation de libérer du temps pour permettre aux parents de se libérer de leurs obligations professionnelles aux heures proposées ou imposées par les professeurs. Le parent d’élève « statutaire et réglementaire » sera toujours un « parendélève », ce concept curieux qui fait qu’un parent n’est pas un citoyen, un porteur de savoirs, un homme, une femme, un maçon ou une secrétaire. C’est cette conception qui fait que le « parendélève » est toujours dominé et le plus souvent soumis et le sera toujours, même avec un statut, sauf s’il est enseignant lui-même (encore que les enseignants du premier degré sont généralement timides par rapport à leurs collègues du second degré !), cadre supérieur ou exerçant une profession libérale. C’est la place des parents citoyens qui est à reconsidérer dans son ensemble dans le cadre d’une relace de l’éducation populaire. L’exemple des RERS (réseaux d’échanges réciproques de savoirs) est lumineux. Un parent qui vient à l’école pour apporter quelque chose ou échanger quelque chose n’a pas la même attitude que le « parendélève » convoqué.
La question de la mixité socio scolaire est complexe, d’autant plus que l’on sait bien que même lorsque les problèmes d’aménagement du territoire et de l’habitat seront résolus s’ils le sont un jour, même si une éducation populaire refondée redonne leur place aux citoyens et redonne à chacun le goût de la connaissance et des responsabilités, rien ne changera si l’école ne change pas elle-même fondamentalement.
Dans des habitats rénovés, conçus autrement que par le passé, dans des territoires où la culture et l’éducation sont l’affaire de tous, où les citoyens sont en mesure d’exercer des responsabilités, avec de nouvelles formes de démocratie participative, plutôt que d’être soumis aux experts, décideurs et autres chefs au sens où si elle ne se transforme pas fondamentalement les meilleurs dispositifs seront toujours vains et terriblement décevants. Il ne peut pas y avoir de mixité sociale si les savoirs et les compétences de tous les élèves ne sont pas pris en considération et respectés. On peut toujours déplacer un élève d’un mauvais collègue à un bon collège, si cet élève n’est pas pris en considération avec ses savoirs et ses compétences, si cet élève continue à être distingué négativement, humilié parfois, s’il s’ennuie autant dans ce collège que dans l’autre, il ya peu de chances que ses résultats s’améliorent… Un enfant qui s’ennuie dans l’école de son quartier s’ennuiera autant dans une école plus huppée, c’est une évidence totalement ignorée par l’enarchie des cabinets ministériels de gauche ou de droite.
Il faut donc changer l’école fondamentalement, vraiment… La refonder, vraiment. Lever les ambigüités. Surmonter les frilosités. S’inscrire dans une vision à long terme. Donner la priorité absolue aux finalités et aux objectifs généraux, transversaux
Changer l’école avec un plan géant de re – formation des enseignants pour un nouveau dessein.
Plutôt que d’instrumentaliser l’école pour lutter contre des problèmes qui la dépassent, il faudrait que communes et bailleurs sociaux fixent des objectifs à moyen et long termes pour réduire les concentrations de familles à faible niveau socioculturel, détruire les blocs de blocs, mixer les types d’habitat, concevoir d’autres formes d’habitat social, organiser les espaces pour favoriser la rencontre et la mobilisation de l’intelligence collective des habitants d’un même espace. Il faudrait que l’éducation populaire retrouve ses raisons fondamentales d’exister et d’agir au niveau local. Il faudrait que tous les acteurs éducatifs d’un territoire se mobilisent et s’expriment sans attendre encore davantage les instructions descendantes de Madame l’Education Nationale.
Continuer à bricoler, à inventer, supprimer, restaurer des décisions sectorielles et des dispositifs, à toujours ajouter de l’administration, de la paperasse, à faire disparaître les finalités sous des tonnes de programmes que l’on ne réussit jamais à « finir » ne changera rien. Toute l’histoire de l’école depuis les années 1960 le prouve.
Faire confiance aux acteurs du territoire, mobiliser l’intelligence collective du terrain pour une nouvelle politique éducative globale, re-former les formateurs dans une nouvelle perspective humaniste, libératrice, démocratique, changer radicalement les missions des hiérarques intermédiaires, admettre la complexité au sens d’Edgar Morin… tout cela semble au-dessus des capacités de l’énarchie ministérielle de droite ou de gauche.
En 2017, il sera trop tard s’il ne l’est pas déjà.
Pierre Frackowiak
http://meirieu.com/FORUM/fracko_mixite_sociale.pdf
Dernière modification le mardi, 05 janvier 2016