Cette interrogation m’a amené, depuis quelques temps, à lire ce que se dit sur la smart city. Ce concept fait émerger l’idée que la physiologie du citoyen moderne serait constituée par un circuit vital supplémentaire. Il alimenterait l’organisme en un flux d’informations constituées par un ADN à base de 0 et de 1. Dans la smart city le citoyen, gorgé d’informations, est structurellement mobile. Il prend des transports doux et durables lors de ses déplacements, son sens de l’orientation est inféodé aux données transmises par le GPS. Son chauffage est régulé à distance par un add’on de son smartphone, il renonce à s’ennuyer dans les transports en commun car il peut grâce à la xG lire, regarder la télévision en temps réel ou en replay … On le veut intelligent, c’est dit, c’est répété.
Je ne m’inscris pas en faux contre cette vision car elle est en partie ma vie mais … Pourquoi toujours envisager le citoyen de la smart city comme un être en mouvement, une forme de fourmi civilisée, industrieuse, productive, renonçant au temps de pause, à la revendication de l’immobilité féconde. Suis-je moins smart en aimant parfois, (souvent) l’immobilité ?
L’homo numericus, dans la vision des concepteurs, est en mouvement perpétuel, stimulé par cette irrigation informationnelle organique. Le citoyen connecté est celui qui bouge, qui se déplace. Plus il est connecté, plus il se déplace, plus il se déplace, plus il se connecte.
Je crains que dans ces scénarios technophiles, on ne voit émerger des analyses où les temps et lieux d’apprentissage soient ceux des temps et lieux intersticiels, ceux des déplacements, des temps d’attentes dans le gares … Le saint graal de l’homme pressé, du temps compté, séquencé en mode ROI, en temps utile. Le temps non identifié et le lieu non connecté sont anxiogènes.
La mobilité a du sens, elle est utile, je l’aime mais à la condition de l’analyser aussi au regard des bienfaits et des vertus de l’immobilité, du temps long, du temps non compté. Être mobile c’est avoir compris les charmes de l’immobilité.
Il me semble que la smart city doit être aussi l’agrégation des smart house, des smart school (j’ose ces expressions). Il faut imaginer ces lieux ou l’on pourrait prendre des temps de pause (l’emploi du temps des apprenants affichant une case intitulée RIEN serait séduisant), revendiquer l’immobilité active et passive, voire le temps de paresse 2.0. Il faudrait songer à penser à nouveau l’éloge de la paresse 2.0 version modernisée de l’ouvrage éponyme.
L’intelligence, si elle est celle du corps en mouvement, doit aussi être celle du corps au repos, peut être du corps alangui, en tout cas celle de l’esprit qui navigue sans convoquer lsystématiquement le corps.
Allongé sur mon canapé, je remercie à distance Mona Chollet et le directeur du Tuba de Lyon qui ont, sans le savoir, stimulé mes réflexions casanières.
"Chez soi, une odysée de l’espace domestique". Mona Chollet zones éditions
Dernière modification le mercredi, 19 août 2015