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Parlons-en...avec Pierre Frackowiak - Quand le stylo à bille est apparu, la fin du porte-plume a soulevé des tempêtes : les élèves ne savaient plus écrire, les stylos bavaient, les cahiers des meilleurs étaient salis par les bavures et par les larmes des nostalgiques du passé.
Quand la télévision est apparue, elle était présentée comme le pire des dangers pour les enfants : perte de l’attention, fatigue, recommandations aux parents. Les élèves la regardaient déjà trop au lieu d’apprendre leurs leçons. Quand elle a été introduite à l’école, sous la forme de « télévision scolaire », elle ne l’a été que sous forme de documentaires spécialement conçus, avec des fiches pédagogiques, en décalage avec la réalité des usages.
 
Quand l’ordinateur est apparu, la priorité a été donnée aux cours, cours d’informatique juxtaposés aux autres cours, sur des machines encore incertaines, faites pour l’école et qui n’existaient nulle part ailleurs.
 
Quand le numérique s’est répandu comme une traînée de poudre, il a fallu éviter les explosions, maîtriser les outils… Alors, on les a enfermés dans des heures d’informatique, dans des salles d’informatique bunkerisées, pour qu’ils ne soient pas utilisés hors des heures prévues et que personne ne puisse y accéder. Aucune trace d’ordinateur dans les classes ! Il fallait à tout prix éviter que les élèves fassent autre chose qu’écouter ou faire semblant d’écouter le maître avec la classe au complet.
 
Quand le numérique s’est offert à tous les doigts partout, on a entrepris une vaste action pour éviter qu’il pervertisse ou mette en cause les pratiques ancestrales : le cours. Sa puissance était un danger. On l’a donc exploité a minima pour ne pas changer. Illustrer un cours, faire des exercices d’application, évaluer, remplir des cases. Rendre l’acte pédagogique usé plus attractif. Hors des classes innovantes engagées dans une réelle refondation, on a donc utilisé l’outil pour faire du « pareil qu’avant » mais en plus moderne. On a même pensé que le cours deviendrait plus participatif avec un TBI, sauf que les questions des maîtres étaient les mêmes : socratiques, inductrices, à sens unique, dans l’attente fébrile de la bonne réponse qui fait avancer le cours. Percevant le danger, mais conscient de la nécessité de faire moderne, on a investi dans l’administratisation du système : gestion, organisation, évaluations, communication, usines à cases. Pour être dans le vent, on a quand même ajouté « pédagogique », pour faire bonne mesure, en qualifiant ainsi le carnet de textes, le journal de classe, les possibilités d’échanges entre profs et avec les familles… ce qui n’a rien de pédagogique, mais ne mange pas le pain des profs.
Très vite, on s’est préoccupé des dangers créant des services de protection dans les rectorats, des verrous, des interdits, des brochures pour les parents… tout ce dont tout le monde se moque éperdument, sachant que les usages réels ont depuis longtemps permis de passer par-dessus les barrières.
 
Alors on a exigé de la formation pour les enseignants, formation pour maîtriser les outils, et il est clair que l’on ne peut ni changer ni même faire semblant de changer si l’on n’a pas de formation. Les élèves, qui n’ont pourtant eu aucune formation scolaire à l’usage des outils les plus sophistiqués, pourraient peut-être former leurs profs et leurs parents et grands-parents (Merci Simon pour ton aide précieuse !). Du coup, on a oublié, comme toujours, que le besoin de formation est infiniment plus important en pédagogie (la vraie, pas les usines à cases et l’évaluationnite aigue) qu’en informatique.
 
Il fallait donc un plan d’urgence pour faire entrer l’école dans l’ère du numérique. L’école, bien sûr, c’est-à-dire le système, les profs, l’administration, l’édition, l’économie… Le numérique y est entré bien avant, subrepticement, à l’insu du plein gré de l’institution académique, par les élèves. Mais comme on sait que les élèves ne savent rien qu’ils n’aient appris à l’école, comme l’on ne sait pas tout ce qu’ils savent, ce qu’ils savent faire et ce qu’ils en font, il faut un plan. Nous l’avons ! Comment se situe-t-il dans cette histoire à dormir debout ? On ne sait pas trop. Comme il fait abstraction des contenus (les programmes) et des organisations (l’heure, le cours, la classe, le prof, la discipline choisie depuis le Moyen-âge), ce sera un nouveau plan informatique, non pas pour tous comme celui des années 80, mais pour les enseignants, pour que le cours soit plus attractif. Le même cours, bien sûr !
 
Avant de trinquer ( !), n’oubliez pas de compter le nombre d’i-pad, d’i-phone, d’androïd, de tablettes, de smart-phones, etc que le Père Noël aura déposés au pied des beaux sapins. Des fabricants ont mis sur le marché des tablettes pour les enfants de 3 ans qui savent déjà déplacer et agrandir une image. Inutile de prévoir des cours et des progressions ! Il y aura donc des records de vente ! 
 
Ne vous inquiétez pas ! Ne vous fâchez pas !
 
Ce n’est qu’un conte, un petit conte de Noël pour rigoler avant les fêtes de Noël et de la nouvelle année que je vous souhaite excellentes et joyeuses.
Dernière modification le lundi, 24 novembre 2014
Frackowiak Pierre

Inspecteur honoraire de l’Education nationale. Vice-président de la Ligue de l’Enseignement 62. Co-auteur avec Philippe Meirieu de "L’éducation peut-elle être encore au cœur d’un projet de société ?". Editions de l’Aube. 2008. Réédition en format de poche, 2009. Auteur de "Pour une école du futur. Du neuf et du courage." Préface de Philippe Meirieu. La Chronique Sociale. 2009. Auteur de "La place de l’élève à l’école". La Chronique Sociale. Lyon. Auteur de tribunes, analyses, sur les sites educavox, meirieu.com. Prochainement, une BD avec les dessins de J.Risso :"L"école, en rire, en pleurer, en rêver". Préface de A. Giordan. Postface de Ph. Meirieu. Chronique Sociale. 2012.