En mettant en place le Conseil national éducation-économie, le gouvernement s’est attaché à construire des réponses structurelles aux problèmes d’insertion professionnelle des jeunes avec tous les acteurs du monde économique et social et du monde éducatif. Face à la dégradation sans précédent de l’emploi, des jeunes notamment, ce sont bien aux problèmes structurels d’articulation entre notre système de formation et les besoins du monde économique à tous niveaux auxquels les acteurs doivent s’atteler. Le ratio du nombre de sans emploi chez les jeunes et chez les adultes est de deux à trois fois plus élevé en France qu’il ne l’est en Allemagne, et en novembre 2012, le taux de chômage des jeunes âgés de moins de 25 ans était de 25% en France et de 8% en Allemagne.
N’y a-t-il pas là une impasse du modèle français d’alternance, où le nombre d’apprentis est trois fois moins élevé qu’en Allemagne ? En fait, du seul point de vue quantitatif, la différence avec les 1,5 million d’apprentis allemands n’est pas si grande, si on rajoute aux 430 000 apprentis en France, les 700 000 élèves de la formation professionnelle initiale. On le voit, le modèle français de l’alternance - cumulant l’alternance sous statut scolaire, les contrats d’apprentissage et de professionnalisation - ne serait pas en notre défaveur dans cette comparaison, si des améliorations qualitatives étaient portées à la voie de l’alternance sous statut scolaire, visant plus nettement la qualification des jeunes, auxquelles s’ajouteraient les effets de l’ANI du 14 décembre 13 sur l’apprentissage.
L’écart des résultats en termes d’emplois entre les deux pays vient surtout, comme l’explique le centre d’analyse stratégique (février 2013), outre la différence de valeur sociale accordée aux voies professionnelles, de deux facteurs :
1- le partage différent des responsabilités entre acteurs.
Le système dual allemand consiste concrètement en une formation alternée de trois années en moyenne entre l’école professionnelle et l’entreprise (où les jeunes passent les deux tiers du temps).
Ce n’est pas très différent en France, si on prend en compte l’alternance des lycéens professionnels qui passent une part non négligeable (un tiers) de leur formation en milieu professionnel. Une différence importante existe néanmoins, le volet professionnel de la formation a lieu dans l’entreprise et sous son contrôle exclusif.
2- les modes de reconnaissance de la qualification dans l’emploi.
En Allemagne, la formation alternée autorise, au terme de la formation, l’exercice d’une activité professionnelle qualifiée dans un métier répertorié.
C’est là, dans la formation initiale et une alternance professionnelle qualifiante que se situe en France un des plus importants moyens de réduire fortement l’inégalité d’accès à l’emploi des jeunes comparativement aux adultes. Une des clés de l’emploi des jeunes passe par la reconnaissance des qualifications acquises dans les formations alternées, qu’elles soient réalisées en apprentissage sous contrat de travail, ce qui va de soi, ou sous statut scolaire, ce qui est à faire évoluer. D’où la proposition de création d’un contrat d’alternance dans la voie scolaire, proposé par un groupe de travail de l’AFDET, qui intègre l’idée d’un parcours qualifiant en entreprise, coproduit et reconnu par les parties concernées.
Comment y parvenir ?
Plusieurs pistes de droit existent déjà pour permettre l’évolution vers cette reconnaissance de la qualification professionnelle acquise dans les formations alternées, sous statut scolaire. Elles partent de ce que des diplômes comme le CAP atteste déjà d’une qualification professionnelle, et même le baccalauréat professionnel comportent déjà la possibilité d’une attestation d’une qualification professionnelle, en associant, dans tout type d’enseignement une formation générale et une formation spécialisée (article L333-2 du code de l’éducation en vigueur depuis 2000). La nouvelle loi du 22 juillet 2013relative à l’enseignement supérieur et à la recherche précise la définition du stage, période temporaire de mise en situation en milieu professionnel au cours de laquelle l’étudiant acquiert des compétences professionnelles qui mettent en œuvre les acquis de sa formation en vue de l’obtention d’un diplôme ou d’une certification (article L. 612-8 du code de l’éducation).
Intégrer l’entreprise et la désigner comme partie prenante dans la formation professionnelle est un enjeu qui mérite attention. Comme le disait Monsieur Masingue, d’Entreprise et Personnel, lors d’une rencontre de l’AFDET sur les pédagogies de l’alternance : l’alternance est un process et un projet, à la fois pour l’école et pour l’entreprise. Ce projet, c’est un temps unique de formation, comportant deux séquences coordonnées, solidaires et interactives Il nécessite un pilotage global du processus, qui soit coordonné et contractuel. Il comporte l’exigence d’un tutorat reconnu, qualifié et responsable. Il doit se dérouler sur une durée qui permet une évaluation professionnelle des compétences. Il nécessite la reconnaissance formelle et réciproque des deux points de vue académique et professionnel.
Pourquoi, dès lors, ne pas faire que l’attestation de l’évaluation des compétences professionnelle soit délivrée conjointement par l’entreprise d’accueil et l’établissement, permettant ainsi au jeune avec son diplôme délivré par l’école et sanctionnant l’acquisition de sa qualification, d’accéder plus directement à l’emploi sur le marché du travail ? Ce serait ensuite au sein des commissions professionnelles consultatives (CPC), associant les Ministères de l’Éducation nationale et du Travail, que se réaliserait la fabrication de ces qualifications professionnelles, puis leur inscription dans le répertoire de la Commission Nationale de la Certification Professionnelle (CNCP).
L’enjeu dans ces relations de formations alternées, c’est de passer de l’alternance dissociée ou formellement associée, largement dominante aujourd’hui, à une alternance étroitement coordonnée entre les deux parties prenantes de la formation professionnelle.
Cela passe, comme nous l’avons proposé dans le rapport du Collectif des Présidents, par les propositions suivantes :
· développer des formations pédagogiques coordonnées entre acteurs de formations alternées (formateur et tuteur)
· intégrer l’entreprise et la désigner comme partie prenante dans l’ensemble du processus de formation alternée
· identifier les voies de construction d’un contrat d’alternance qualifiante sous statut scolaire
Une proposition
C’est l’objet du Conseil National Éducation Économie, de réfléchir de façon prospective et de faire des propositions pour éclairer ces voies de transformation et dynamiser ainsi l’emploi des jeunes. Travaillant depuis de nombreuses années sur ces problématiques, ayant piloté les conventions entre le Ministère de l’Éducation nationale et la DATAR sur les coopérations écoles entreprises sur les territoires dans les années 90, et nous étant impliqués activement pour que soit pris en compte la formation initiale dans la négociation de la formation professionnelle, nous savons que nombre de ces questions ne pourront avancer sans un travail d’enquête des pratiques innovantes et d’analyse des freins auprès des acteurs sur le terrain et en régions, voire d’expérimentations.
Ainsi pourraient être recherchées des réponses à certains questionnements : quelles pédagogies pour réussir les voies de l’alternance, sous statut scolaire et apprentissage ? Comment favoriser des formations pédagogiques coordonnées entre formateurs et tuteursde formations alternées ? Comment contribuer à la modernisation des diplômes professionnels, et coproduire la qualification des jeunes tout au long des formations alternées ? Cette revalorisation ne doit-elle pas s’accompagner d’un contrat d’alternance qualifiante ? Comment mieux structurer par la concertation des acteurs régionaux et académiques, les coopérations écoles entreprises dans les bassins d’emploi ? Dans le contexte du lancement du Pacte de responsabilité par le Président de la République, cette voie de l’alternance qualifiante est un domaine dans lequel des contreparties en faveur de l’emploi des jeunes pourraient être définies précisément en échange des baisses de charges annoncées. Contribuer avec chacun à faire avancer les réponses à ces questions est un objectif qui nous semble utile et nécessaire à l’emploi des jeunes. Merci de vos réactions !
Dernière modification le mardi, 14 novembre 2017