Rappelez-vous, j’ai longuement parlé dans cet article « De la pédagogie… plus de 50 ans après Freinet… » des curieux et déconcertants conseils de la CNIL aux jeunes. Dans cet autre article « De la peur comme fonds de commerce… », j’ai rapporté les méthodes très particulières de certaines officines labellisées ainsi d’ailleurs que de la Préfecture de police. Dans ce troisième article « Internet : quand les Belges nous font la leçon… » je mettais en évidence un aspect du consensus politico-médiatique sur le sujet dans une émission où, pourtant, on pouvait attendre plus de raison et de discernement. Dans cet autre article, enfin, « Pratiques numériques médiatiques des jeunes, la peur ou la raison… » je faisais part des partis pris consternants d’un colloque national organisé sur le sujet qui nous occupe. J’ai aussi évoqué, à plusieurs reprises, les dégâts occasionnés par les prises de position ineptes de certains services de l’État, à commencer par les services de santé de l’Éducation nationale qui se piquent de parler avec les élèves d’Internet comme on parle des maladies sexuellement transmissibles.
Et puis il y a cette curieuse campagne du Défenseur des enfants qui confond tout, voir « Écrans : la synecdoque a bon dos ».
Tout récemment encore, deux émissions, l’une un matin sur France-Inter — j’ai rédigé pour rire une courte parodie de la conférence de rédaction qui l’a précédée dans cet article « Bon, Coco, tu nous fais un sujet sur les jeunes, hein… » —, l’autre dans La nouvelle édition sur Canal plus, ont montré l’incapacité des médias à présenter à leur auditoire autre chose que des clichés convenus et des arguments nauséabonds.
Qu’est-ce qui peut bien motiver toutes ces actions ? À mon avis, trois éléments peuvent être rapidement identifiés et avancés : l’inculture crasse ou ignorance, l’appât du gain ou de la notoriété, le goût du pouvoir enfin, les deux derniers étant souvent évidemment liés. Je ne vais pas détailler, pour chacune des entités mentionnées supra, services de l’état, officines privées, médias, ce qui a précisément motivé les navrantes initiatives qu’ils ont prises. Non, je vais me contenter de rappeler que toutes, sans exception, ont, de fait, contribué à attiser les peurs, remuer la fange et manipuler l’opinion… Un aspect de cette médiocre communication est particulièrement insupportable qui consiste à semer l’effroi en présentant l’Internet comme le repaire commun des terroristes, des pédophiles et de tous les déviants. Rien de très ragoutant.
La deuxième manière de prendre en compte, d’analyser et de comprendre ces usages s’appelle « éducation ».
De ce point de vue, je voudrais saluer ici l’initiative renouvelée des collègues en charge, dans la Mission Tice de l’académie de Versailles, de l’accompagnement du numérique éducatif. Eux ont compris, depuis longtemps, qu’il n’est de bon engagement dans le numérique qu’accompagné de la compréhension raisonnée des usages des jeunes. Eux ont compris que les problèmes liés à ces usages — il n’est toujours pas question de les nier — ne peuvent être évoqués de manière réfléchie et sensée que si on se préoccupe d’abord d’encourager et de promouvoir les bonnes pratiques, dans une perspective d’accès à l’autonomie et à la responsabilité, d’une part, à une meilleure intégration du numérique dans la pédagogie, d’autre part. Eux ont compris enfin que les préoccupations éducatives sont plus faciles à débrouiller si elles sont partagées entre les parents et les pédagogues.
À cet effet, ils proposent aux établissements, collèges et lycées de l’académie, une conférence-débat gratuite où sont invités, souvent le soir, professeurs et parents. Un diaporama (dès qu’il est finalisé, je vous mets ici le lien) est présenté ainsi que des vidéos et un débat est engagé pour mieux comprendre les enjeux liés à ces usages et à la manière éventuelle de résoudre les problèmes, à l’école et à la maison.
Un document, voir ci-contre, a été élaboré qui permet de promouvoir ce dispositif intégré au plan académique de formation. Ce document est diffusé via un réseau de conseillers locaux aux chefs d’établissement et à leurs collaborateurs qui choisissent les actions à mettre en place dans l’établissement.
Depuis cette année, une formation complémentaire est proposée dans le prolongement de la conférence, sous la forme plus traditionnelle d’un stage en établissement négocié avec l’équipe éducative qui a suivi préalablement la conférence-débat.
L’ensemble de cette démarche est l’exact contraire de ce qui a été indiqué dans les premières lignes de ce billet quant aux postures habituelles des médias, des organismes, associations et officines qui se targuent d’éducation et ne font en fait que généraliser l’exception, faire des amalgames et accumuler les lieux communs.
En présentant d’emblée de manière positive le numérique et ses potentialités, l’Internet et ses fantastiques ressources encyclopédiques et sociétales, en n’éludant pas ensuite les difficultés liées au choc culturel qui se posent à tous les éducateurs, ceux de l’école et les parents, en tentant de les résoudre ensemble de manière raisonnée et dépassionnée, les formateurs versaillais font évidemment le bon choix.
Ces deux méthodes sont radicalement différentes. La distance qui les sépare est la manifestation d’une différence fondamentale, un vrai choix éducatif et de société. Entre la peur qui paralyse et la raison qui grandit, mon choix sera toujours le même.
Michel Guillou @michelguillou http://www.neottia.net/
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