Dans leurs ateliers, Fab Labs, Techshops et autres Hackerspaces, les “nouveaux artisans”,makers, DIYers, bricoleurs du XXIe siècle inventent, transforment, personnalisent, réparent, produisent et reproduisent. Le mouvement semble puissant. Il se répand partout dans le monde, il fonctionne en réseau, il suscite ses plates-formes et ses espaces d’échange, il dispose de médias (Make Magazine au premier rang) et d’événements (Maker Faire).
Mais quelles sont leurs intentions ? Pour quoi, contre quoi les makers se battent-ils ? Qu’espèrent-ils accomplir au-delà du fait de vivre une expérience enrichissante ? Que veulent-ils changer et quelles alternatives dessinent-ils ?
Le programme de travail de la Fing qui s’achève, baptisé ReFaire, est parti collecter les principaux “manifestes” dans lesquels les acteurs et les porte-paroles du mouvement makerexpriment leurs valeurs et leurs intentions. L’idée : faire que l’analyse de ces manifestes permette aux lecteurs d’en cerner le potentiel, d’en anticiper les évolutions, d’établir des liens et des collaborations, d’en faciliter le développement
Une histoire des manifestes
En 1986, peu après avoir été arrêté (apparemment pour avoir pris le contrôle d’une partie du réseau téléphonique américain), le “hacker” américain Loyd Blankenship publie le “Manifeste du Hacker“. Armé de sa curiosité et de son intelligence, le hacker taille son propre chemin vers la connaissance, il s’abstrait des contraintes sociales pour mieux exprimer ses valeurs. L’ordinateur est son outil, la source et l’expression de sa connaissance et de son pouvoir.
Beaucoup d’autres textes ont depuis exprimé la vision et l’éthique des hackers. Mais curieusement, le site web de Loyd Blankenship se réduit aujourd’hui à une seule page qui décrit… ses travaux d’ébénisterie. Existerait-il une continuité entre la culture des hackers et la culture des makers ?
Image : la ligne de temps des manifestes.
Les premiers manifestes de makers apparaissent en 2005. Le Crafter Manifesto (“manifeste du bricoleur/artisan”) de la designeuse et entrepreneuse finlandaise Ulla-Maaria Mutanen exprime à la fois le plaisir que l’on peut trouver à fabriquer ses objets soi-même et, déjà, l’idée que ces pratiques personnelles trouvent un nouveau sens (y compris économique) lorsqu’elles se mettent en réseau. Egalement publié en 2005 sur le site du tout jeune magazine Make [], le Owner’s Manifesto(“manifeste du propriétaire”) s’adresse plutôt aux designers et fabricants auxquels il oppose une “déclaration des droits du maker” : seuls des produits documentés, faciles à ouvrir et à réparer, nous “appartiennent” vraiment ; toute autre option est suspecte.
La thématique de la réparation nourrit trois autres manifestes de 2009, 2010 et 2012 : le Repair Manifesto des hollandais de Platform21 se focalise sur la valeur personnelle de la réparation, sa dimension créative et son lien avec l’aspiration à l’autonomie : “La réparation, c’est l’indépendance”. Le Self-Repair Manifesto s’inscrit, lui, dans la thématique du développement durable : on répare par plaisir, par économie, pour créer du lien et pour protéger l’environnement. Tandis que le Fixer’s Manifesto, certes produit par une entreprise qui vend une sorte de caoutchouc utilisable pour réparer toutes sortes d’objets, fait le lien entre les deux thématiques.
Plus récemment, une équipe de chercheurs Belges, rassemblés dans le projet européen Dyse (“Do-It-Yourself Smart Experience“) publiait un manifeste (.pdf) pour la création d’un “internet des objets” associé aux pratiques du “faites-le vous-même”. A rebours d’une approche dominante qui vise à masquer la technologie, ils invitent à penser l’internet des objets comme une “inspiration à la créativité” du plus grand nombre. La culture numérique rejoint celle des bricoleurs du XXIe siècle. Tandis que l’(Affective) Craft Manifesto, rédigé par de “vrais” artisans d’art, tente d’exprimer la fonction du “faire” dans un monde de plus en plus complexe : “En se liant avec l’usage quotidien, l’artisanat rend le monde intelligible.”
La plupart des manifestes affirment la valeur en soi de l’acte de “faire”, qu’il s’agisse de créer, de bricoler, de réparer. Le Cult of Done Manifesto de Bre Pettis (fondateur de Makerbot) et Kio Stark (enseignante et auteur) va jusque au bout : “Avoir fait quelque chose, ce n’est pas avoir terminé, mais pouvoir faire autre chose.”
Lus ensemble, ces manifestes prennent position d’une manière assez cohérente dans trois domaines : la relation de chacun à “ses objets” ; la responsabilité des objets ; et par suite, la responsabilité des industriels.
L’émancipation par les objets
Si les points de départ des manifestes diffèrent, tous convergent vers une conviction commune : le modèle de l’industrie de masse, qui vend des produits standardisés (ou même personnalisés) à des individus réduits au rôle de consommateurs, n’est plus satisfaisant, tant d’un point de vue individuel que d’un point de vue collectif. Trouver ou retrouver la capacité de réparer, modifier, adapter, créer des objets constitue un chemin vers l’émancipation, vers l’accomplissement de soi.
Faire c’est comprendre
“La meilleure manière de découvrir comment quelque chose fonctionne, c’est de le démonter !”- Self-Repair Manifesto
Dans les années 1970, le designer Enzo Mari proposait déjà de donner aux particuliers les plans de ses meubles et de les inviter à les réaliser eux-mêmes : “le design est le design s’il communique la connaissance”. Alors qu’il devient impossible de réparer nos objets ou d’en remplacer des pièces, que les ouvrir expose à annuler toute garantie, les makers veulent comprendre pour agir et ensuite, insuffler leur propre sens aux objets.
Faire c’est apprendre
“Réparer enseigne la technique” – Self-Repair Manifesto
Il y a dans la démarche des makers la volonté de revaloriser le “savoir de la main” et la pratique comme un chemin vers la connaissance, vers l’acquisition par l’action de compétences qui pourront être mobilisées ailleurs.