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A chaque événement la presse, les personnalités politiques, nous convoquent à des débats qui ont de commun de montrer qu’on n’est visiblement plus d’accord sur le sens et la portée de la Laïcité dans notre espace public. La laïcité fait donc débat. D’aucuns jugent nécessaire de l’affubler d’adjectifs (ouverte, généreuse, ferme, tolérante, inclusive…) pour en préciser le sens.

La totalité de l’échiquier politique s’accapare aujourd’hui la défense présumée de la laïcité quitte à en faire pour certains une interprétation douteuse.

La laïcité redevient depuis quelques années une vraie question politique puisqu’elle divise, engendre des argumentations souvent polémiques : la laïcité finit par diviser au lieu d’être garante d’un mode de vie.

La Loi du 9 décembre 1905 doit-elle être remise en débat ou pas ? Qui en débat, qui en parle ? Et comment ? De quoi parle-t-on ?

1 457094892032174508 002C’est tout le sens de la rencontre organisée dans la salle Armand Fallières* du Conseil Départemental de Lot et Garonne  que d’outiller la nécessaire réflexion autour de ce principe républicain de laïcité.

La ligue de l’enseignement de Lot et Garonne, historiquement positionnée sur la défense des valeurs de la République (dont le principe de laïcité) et l’association de Délégués Départementaux de l’Education Nationale (DDEN) ont construit  en commun ce moment d’échange et invité Frédérique de la Morena, maître de conférences à l’université de droit public de Toulouse, chargée de mission Laïcité-Citoyenneté INSPE Toulouse Occitanie-Pyrénées, membre du Conseil des sages de la laïcité auprès du ministre de l'Education nationale. 

« République laïque : de quoi parle-t-on ? »

Frédérique de la Morena situe la laïcité dans les principes républicains en employant le mot principe plutôt que valeur : on n’est pas obligé de partager des valeurs mais on l’est de respecter des principes. Une ambigüité est également levée dès le préambule : ce n’est pas la France qui est laïque, c’est la République. République et laïcité sont liées juridiquement.

C’est l’article premier de notre constitution qui formalise ce lien : La France est une république indivisible, laïque, démocratique et sociale. L’occasion est belle de faire appel à Jean Jaurès : « Il n’y a pas de République laïque sans République sociale. »

Quant à l’article 2 de cette même constitution, il pose, au travers des symboles de la République, les principes de la souveraineté de la nation.

La langue de la République est le français. L'emblème national est le drapeau tricolore, bleu, blanc, rouge. L'hymne national est « La Marseillaise ». La devise de la République est « Liberté, Égalité, Fraternité ». Son principe est : gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice.

Ce que n’est pas la laïcité

Même si la laïcité est largement admise en tant qu’idée abstraite, contenu et conséquences de ce principe sur la vie dans la république font débat. Alors Frédérique de la Morena commence par dire ce que n’est pas la laïcité en bousculant par là même quelques idées reçues.

La laïcité ce n’est pas la liberté religieuse et le lien sera précisé par la suite.

La laïcité ce n’est pas la tolérance qui est une vertu individuelle et pas collective.

La laïcité ce n’est pas la garantie d’un œcuménisme religieux : les religions établissent les liens qu’elles veulent et ce n’est pas à la laïcité de régler leurs différents.

La laïcité ce n’est pas le vivre ensemble, même si c’est le vouloir vivre ensemble qui a permis de construire la nation. Un dictateur ou un gourou peuvent organiser à leur manière le vivre ensemble d’une communauté.

La laïcité ce n’est pas une question religieuse, c’est une question politique, dans le domaine des droits de l’homme. La laïcité c’est du droit aménagé par des textes avec des conséquences juridiques. Ce sont ces textes qui font de la France une République laïque.

Les apports de la révolution française dans ces racines juridiques font dire à Frédérique de la Morena que sans 1789, il n’y aurait pas eu 1905. Les deux apports essentiels de la révolution sont la sécularisation d’une part et la liberté de conscience et la liberté de culte de l’autre.

La Sécularisation : c’est le principe de la souveraineté nationale à savoir que tout pouvoir est issu de la nation et non d’un dieu ou de toute autre puissance. On n’a plus affaire à une communauté de croyants mais à une communauté de citoyens. La société commence à être sécularisée et c’est l ‘apparition des premiers services publics. Ainsi, certaines activités d’intérêt général (assistance, école…) commencent à être prises en charge par l’état alors qu’elles étaient l’apanage des communautés religieuses.

La liberté de conscience : elle inclue la liberté religieuse mais va bien au-delà car on peut, bien sûr, avoir des opinions autres que religieuses. Du reste, la liberté religieuse ne figure tel quel dans aucun texte du droit français.

La liberté de culte : c’est la liberté de manifestation des croyances.

Les textes fondateurs sont l’article 10 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi.

Puis la constitution de 1791, constitution qui garantit pareillement, comme droits naturels et civils : La liberté à tout homme de parler, d'écrire, d'imprimer et publier ses pensées, sans que les écrits puissent être soumis à aucune censure ni inspection avant leur publication, et d'exercer le culte religieux auquel il est attaché.

Un peu plus d’un siècle plus tard c’est la loi du 9 décembre 1905, loi de séparation des Eglises et de l’Etat. Il convient d’en lire les articles à la lumière de son titre. La loi ne contient pas le terme de laïcité mais c’est la clé de voute du principe de laïcité.

L’article 1 : La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public. Reprend les principes établis en 1789.

L’article 2 : La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte.

On entre ici dans les techniques juridiques destinées à, protéger ces libertés.

C’est la séparation entre sphère publique et sphère privée qui fonde la laïcité.

Pour être précis : la sphère publique comprend les services publics et les institutions publiques (état, collectivités territoriales…). A ne pas confondre avec l’espace public constitué des voies publiques ainsi que des lieux ouverts au public ou affectés à un service public (loi du 11 octobre 2010).

La sphère privée est celle des intérêts individuels ou collectifs : entreprises, églises, associations…

La séparation signe le transfert des cultes dans la sphère privée.

La République garantit la liberté des cultes mais ceux-ci ne sont plus reconnus par l’état (non financement) et leurs ministres (prêtres, pasteurs, rabbins, imams… ne sont plus des fonctionnaires). Le culte existe en droit en tant qu’association cultuelle (congrégation, association diocésaine …)Il est à noter que, depuis la loi de 1901 sur les associations, l’état ne subventionne que les associations d’intérêt général.

La laïcité ne s’applique qu’à la sphère publique.

La séparation se décline en :

Citoyenneté (sphère publique) /religiosité (sphère privée) ;

Règle de droit (sphère publique) / règle de Dieu (sphère privée) ;

Savoir (sphère publique)/ croire (sphère privée) s’arrête aux portes de l’école.

D’aucuns pensent qu’il faudrait changer la loi de 1905 au prétexte que l’islam n’était pas, alors, présent dans la société française. Cela est inutile : la loi s’applique de la même manière à toutes les religions. Celles-ci n’ont pas à intervenir dans la sphère publique : elles ne sauraient dicter la loi.

La laïcité impose la neutralité des services publics.

Elle interdit de faire des services publics des outils de propagande.

La plupart de ces services ont été crées sous la troisième république et ils sont une spécificité française.

La neutralité des agents des services publics protège la liberté de conscience et garantit la liberté des usagers : c’est une obligation de déontologie. L’agent ne doit pas exprimer ses opinions politiques, philosophiques, religieuses personnelles et ne doit pas prendre en compte de telles opinions des usagers.

Les usagers ne sont pas soumis à la même obligation de neutralité à la condition, tout de même de ne pas troubler l’ordre public et de respecter deux interdictions : la dissimulation du visage (loi d’octobre 2012) et la nudité.

Les élèves sont un cas à part et la loi de 2004 leur interdit de porter à l’école des signes ou tenues par lesquels ils manifestent ostensiblement une appartenance religieuse.

Cette loi doit être expliquée, comprise, appliquée.

En conclusion, la laïcité est un principe protecteur, c’est un principe d’émancipation, c’est une dynamique…et c’est un combat.

 

*Armand Fallières est né à Mézin en Lot et Garonne en 1841. Il était président du sénat en 1905 lorsqu’à été votée la loi fondant le principe de laïcité, il est devenu président de la République en 1906. C’est lors de son mandat qu’un projet de loi visant à l’abolition de la peine de mort a été présenté par le garde des sceaux de l’époque, Aristide Briand, à la chambre des députés qui l’a rejeté…il a fallu attendre 73 ans pour son adoption. Armand Fallières est mort à Mézin en 1931.

Frédérique de la Morena : Frédérique de La Morena, Maître de conférences à l’Université Toulouse 1 Capitole_IFR_laicité_22_F_deLa_Morena - Vidéo Dailymotion

Dernière modification le jeudi, 18 janvier 2024
Puyou Jacques

Professeur agrégé de mathématiques - Secrétaire national de l’An@é