Deux exemples récents montrent à l’envi combien tout devient très compliqué maintenant pour les néo-pionniers.
Le premier exemple nous est rapporté en détail par Owni dans cet article « La Twittclasse vire au clash » par Sabine Blanc. Cette dernière nous raconte avec talent comment une professeure des écoles de Haute-Savoie qui s’était engagée avec enthousiasme, comme beaucoup d’autres en France, dans l’utilisation pédagogique d’un réseau social, s’est vue rapidement signifier, juste après la rentrée que, non, décidément, ça n’était pas possible !
Les raisons avancées par sa hiérarchie, dans l’ordre : le vrai faux bug de Facebook, une supposée enquête des services juridiques du rectorat, le fait que les serveurs de Twitter ne sont pas hébergés en France et qu’il n’y a pas de convention avec l’Éducation nationale !
Et la décision est sans appel.
Je ne m’attarde pas sur la navrante inanité des arguments avancés par le petit chef qui a pris la décision du fond de son bureau poussiéreux Deux choses m’étonnent, qu’il n’ait pas aussi avancé un avis négatif de la CNIL, laquelle a toujours un avis même quand on ne lui a rien demandé, et qu’il n’ait pas mentionné l’existence de groupuscules pédophiles cachés sur Twitter !
Et pourtant, la simple lecture du site gouvernemental Eduscol lui aurait permis d’éviter de passer pour un empêcheur d’enseigner en rond :
- un article de mai 2012 évoque les usages pédagogiques de Twitter ;
- un article de juillet 2012 propose quelques pistes pour les enseignants avec Twitter, voir ci-dessous ;
- un article de septembre 2012 mentionne Twitter comme outil éducatif dans le cadre scolaire.
« Twitter permet de créer des moments d’écriture ancrés dans la réalité (textes sur les événements du quotidien, réponses aux tweets des autres classes…), des situations de communication authentique en “calibrant les contraintes selon le niveau d’apprentissage”. »
L’importun administratif décideur aurait aussi pu s’interroger sur l’existence du site Twittclasses qui recense pas moins de 225 autres classes utilisatrices en France, comme des raisons qui motivent qu’on fasse appel, dans les colloques qui traitent de l’éducation, aux nombreux professeurs qui y exercent pour témoigner de leurs excellents usages…
Que dire d’autre à propos de cette lamentable affaire qui met à mal l’innovation numérique ? Il reste à espérer que ce cauchemar cesse au plus vite, que la professeure haut-savoyarde en question puisse très vite recommencer à travailler avec Twitter, si et quand elle le souhaite, en pleine conformité avec les objectifs assignés au B2i, notamment pour « Prendre conscience des enjeux citoyens de l’usage de l’informatique et de l’internet et adopter une attitude critique face aux résultats obtenus. », un objectif parmi beaucoup d’autres pour des compétences dont l’acquisition peut être évaluée à cette occasion.
Toutes sortes de choses qui échappent à la compréhension de qui vous savez…
Un deuxième exemple nous est donné par la sécurité des terminaux utilisés par les élèves et les dispositifs de protection des mineurs.
Il y a un an déjà, dans un article intitulé « Anastasie à l’école », j’ai rappelé comment l’école avait traité — maltraité ? — les mineurs et la protection qu’on leur doit. J’avais, à cette occasion, montré l’incohérence des systèmes de listes noires et notamment dénoncé les raisons qui ont conduit Twitter, encore lui !, à être classé dans les sites de « dating » (rencontres en ligne pour les célibataires et les couples).
Au-delà de ces incohérences, c’est bien un paradoxe que je dénonçais : chaque professeur croit être protégé ou protéger les jeunes alors qu’il ne participe en rien à la nécessaire et préalable éducation aux médias. Je veux rappeler, une fois n’est pas de trop, la sentence d’un grand éducateur québécois, Mario Asselin :
« Je suis de ceux qui affirment que c’est plus dangereux de ne pas éduquer devant la présence de dangers potentiels que de mettre à l’Index et de risquer que les jeunes soient confrontés aux mêmes dangers (hors de l’école) sans les moyens d’y faire face. »
Il semble nécessaire, dirait-on, de rappeler sans cesse ces bonnes paroles. Le développement de usages liés à l’utilisation des tablettes numériques, toutes sortes de terminaux mobiles utilisés pour un usage pédagogique nomade, de l’école à la maison, conduit à réfléchir à nouveau, avec les parents, cette fois-ci, ce qui n’est jamais une mauvaise chose, à ces problèmes de protection des jeunes mineurs.
Eh bien, il est des apprentis sorciers qui nous redécouvrent la panacée, avec la caution du géant américain qui a un logo en forme de pomme. Pour protéger partout les enfants qu’on a pourvus d’une tablette de ce type, une société américaine du nom de Metacert, propose le « The world’s safest iPad browser for families and schools. ». Il s’appelle Olly et c’est un navigateur qui se superpose à Safari.
La distribution s’effectue gratuitement via iTunes. L’éditeur Metacert prétend filtrer plus de 640 millions de pages web issues de sites pornographiques. J’ai vainement cherché, il est impossible d’en savoir plus sur ce filtrage, contrairement à ce qui est proposé par l’Université de Toulouse qui joue fort heureusement la carte de la transparence.
Ainsi donc un certain nombre de sites éducatifs, Macmaternelle, Vipad, en France et à l’étranger, y compris l’excellent Educavox, font la promotion d’un outil américain dont on ne sait strictement rien, mais rien de rien, ni de ce qu’il filtre exactement, ni de la manière dont sont constituées ces listes noires, par qui et selon quels principes ou quelle idéologie. On sait juste que l’outil est insuffisant puisque l’utilisateur peut abonder les listes de ce qu’il a lui-même découvert…
Ah ! on a aussi quelques retours d’utilisateurs sur iTunes, plateforme pourtant peu suspecte de porter crédit aux critiques des produits qu’elle est censée promouvoir :
« Ça ne fonctionne pas. L’application ne filtre pas les sites pornos qui ont payé pour être référencés en haut de page et en surbrillance sur Google, Tapez “porno” dans le moteur de recherche et voyez par vous-même. Attention à vos enfants ! » ou encore « Ne filtre pas les sites pornos, ne sert à rien en fait. ».
Bon sang, pourquoi faut-il répéter sans cesse les mêmes truismes : il n’y a pas de solution technique, exclusivement technique, à un problème éducatif !
Ces navigateurs, proxys filtrants, logiciels de contrôle parental, toutes solutions de filtrage, n’ont d’intérêt à l’école ou à la maison qu’à la double condition :
- d’être sous le contrôle et la responsabilité des seuls utilisateurs adultes, enseignants ou parents, régulièrement informés et donc responsables de la manière dont ils fonctionnent ;
- et, surtout, de privilégier en amont une éducation aux médias qui permet de prévenir les moments où les jeunes peuvent être confrontés à des dangers, pas seulement pornographiques d’ailleurs, auxquels ils n’auraient pas longuement été préparés.
Fuyons donc comme la peste tous ces apprentis sorciers, commerçants, idéologues ou pas, qui proposent de faire par des moyens techniques ce qui ressort du travail éducatif que les enseignants partagent avec les parents et qui doit rester sous leur responsabilité.
Et, dernière résolution, continuons à exercer notre vigilance pour prévenir et éviter, si possible, les oukases irraisonnés d’administratifs en mal de pouvoir, incapables de se mettre au service de l’enseignement comme de percevoir les enjeux du numérique.
Michel Guillou @michelguillou