Depuis quelques semaines, le monde des médias et de nombreux responsables d'entreprises et hommes ou femmes politiques, se font l'écho d'une prévision pessimiste : la crise économique qui découle de la crise épidémiologique incitant les entreprises à débaucher une partie de leurs personnels, et corrélativement à moins recourir à des recrutements nouveaux, on peut craindre une réduction brutale et forte du nombre des contrats d'apprentissage.
Compte tenu de ce contexte économique très défavorable, faut-il cette année inciter les jeunes prétendants à renoncer à cette voie de formation professionnelle ? Nous ne le pensons pas, et ce pour six raisons principales.
1) Rappelons d'abord que l'alternance est synonyme de meilleure insertion professionnelle que celle des diplômés passés par la voie scolaire.
C'est vrai à tous les niveaux de qualification, d'un humble CAP au prestigieux titre d'ingénieur, en passant par les divers baccalauréats professionnels, DUT, licences professionnelles, bachelors, diplômes d'écoles professionnelles diverses. Cet avantage ne disparaîtra pas du fait de la crise. D'après la note d'information N° 03-03, publiée en janvier 2020 par la Direction de l'évaluation et de la performance du Ministère de l'Education nationale ("L'obtention du diplôme demeure déterminante dans l'insertion des apprentis"), le taux d'emploi sept mois après l'obtention d'un diplôme de l'enseignement par l'alternance était en 2019 de 73%, alors qu'il n'était que de 51% pour ceux qui avaient suivi une formation sous statut scolaire. On note en outre qu'au plus le niveau du diplôme atteint est élevé, au plus l'écart augmente en faveur des alternants.
2) Cependant, la crise économique est là.
Il ne sert à rien de le nier et d'en négliger les conséquences négatives sur le recrutement d'alternants. Par contre, il convient de ne pas céder à un travers fréquent qui est celui de faire une analyse trop strictement globale d'un phénomène qui est caractérisé par la spécificité des parties composantes. En ce qui concerne les conséquences de la crise économique sur l'alternance, il faut partir d'une évidence : elle frappe inégalement selon le secteur d'activité. Si des secteurs tels la culture, le tourisme, les voyages, l'hôtellerie-restauration.. sont fortement impactes, il n'en va pas de même pour l'informatique, l'électronique/électrotechnique, la santé, le e-business, la distribution, le web et le digital, et par extension, tous les métiers porteurs d'une forte technicité.
3) Les alternants recrutés en 2020 s'engagent sur des parcours de formation d'une durée de deux à huit ans, selon le niveau du diplôme final obtenu.
Ce n'est donc pas avant 2022 que, nantis d'un diplôme de l'enseignement supérieur professionnel, et forts de l'expérience professionnelle acquise, ils frapperont à la porte du marché du travail. Et pour certains, qui vont prolonger leur formation par l'alternance au delà de cette première étape, il faudra compter trois, quatre, cinq...jusqu'à huit ans de formation avant que ne se présente l'épreuve de vérité qu'est la fin du statut d'alternant et la quête d'un emploi correspondant au niveau de qualification dont ils se seront dotés. A ces dates on sera très probablement en reprise plus ou moins forte des activités économiques et les besoins en recrutement de beaucoup d'entreprises seront alors importants. L'alternance bénéficiera de cette situation.
4) Deux scénarios de sortie de crise économique sont envisageables.
Le premier, fondé sur une hypothèse de dépression relativement courte, suivie par une reprise forte survenant dés le dernier trimestre de l'année 2020, verrait les entreprises préférer recruter des alternants plutôt que des salariés en CDD, voire certains CDI. Le second scénario, fondé sur une hypothèse de crise économique plus profonde et plus longue, aboutirait à une forte réduction des recrutements de toutes sortes, donc y compris d'alternants. Nul aujourd'hui ne peut affirmer que le second de ces deux scénarios l'emportera sur le premier.
5) Une intervention de l'Etat en faveur de l'alternance est très probable et devrait être officiellement présentée d'ici quelques jours.
Elle consisterait en des aides financières qui restent à définir, ainsi qu'en une campagne nationale de communication qui se voudra très incitative. Une telle intervention de l'Etat est fortement demandée par l'association nationale des apprentis de France, l'association nationale des apprentis du superieur, la Conférence des grandes écoles, nombre de Chambres de commerce et d'industrie, Chambres des métiers, Chambres d'agriculture, le Medef, la CGPME, la quasi totalité des régions ... Toutes ces organisations, et bien d'autres, demandent à l'Etat de concevoir et mettre en œuvre un plan national de soutien de l'alternance, tout particulièrement en faveur des formations infra-baccalauréat qui sont plus particulièrement tournées vers les métiers manuels, ceux qui subissent déjà, et subiront plus fortement les effets de la crise économique. L'alternance de niveau supra-baccalauréat, consistant principalement en des formations professionnelles à plus haute technicité, devrait nettement moins subir les effets négatifs de la crise économique. Il faut croire que cet appel à l'intervention et au soutien de l'Etat a été entendu puisque Monsieur Gabriel Attal, Secrétaire d'Etat placé auprès du Ministre de l'Education nationale, a récemment déclaré, dans les colonnes du quotidien Les Échos daté du 26 Mai 2020, que "L'Etat sera au rendez-vous pour accompagner les entreprises sur l'apprentissage". Mais ce sera donnant/donnant : le Secrétaire d'Etat a ajouté qu' "il faut un engagement mutuel des entreprises comme de l'Etat".
6) Passer de trois à six mois le temps de recherche
Enfin, la décision est sur le point d'être prise de faire passer de trois à six mois le temps durant lequel un jeune admis dans une formation par l'alternance peut rechercher l'entrepreneur qui acceptera de signer le contrat d'apprentissage ou de professionnalisation sans lequel il ne peut poursuivre ce type de formation. La date limite actuellement fixée au 31 décembre sera reculée au 31 mars, ceci dans le but de donner plus de temps pour trouver l'employeur-formateur. C'est une décision importante en ces temps de plus grande difficulté à trouver un contrat d'alternance. Rappelons que l'une des caractéristiques de l'alternance est que l'on peut débuter sa formation sans avoir signé un tel contrat, mais que si l'alternant n'a pas trouvé son employeur-formateur dans les trois mois suivant sa rentrée, il doit quitter sa formation en alternance et éventuellement basculer sur la même formation, mais sous statut étudiant ou scolaire.
Conclusion :
Bien plus qu'un simple enjeu économique, l'alternance est un très important enjeu social. Ce dont il est question, c'est de la volonté de la puissance publique, mais aussi des entreprises et des organisations syndicales, de faire de l'alternance un des volets essentiels d'une politique nationale d'égalisation des chances, principalement au bénéfice des jeunes issus des catégories sociales les moins favorisées. Rappelons sur ce point que l'une des caractéristiques de l'alternance est que l'employeur-formateur (donc l'entreprise) signe avec l'alternant un véritable contrat de travail, lui verse un salaire, et prend en charge les droits de scolarité. Cela a permis à des centaines de milliers de jeunes, depuis de nombreuses années, de bénéficier de formations professionnelles et de débouchés auxquels nombre d'entre eux auraient eu du mal ou l'impossibilité d'accéder sans ce soutien financier.
Bruno Magliulo
Dernière modification le vendredi, 05 juin 2020