«Chaque génération possède un million de visages et autant de voix» : ainsi débute un article du Time, publié en novembre 1951, qui se pose la question de savoir s’il est possible de dépeindre le portrait d’une génération entière. S’ensuit une enquête hasardeuse mais captivante durant laquelle des correspondants, partout à travers les Etats-Unis, sondent les jeunes, leurs parents et leurs professeurs, avec une bien audacieuse ambition : au million de visages et de voix, trouver des traits communs et des tonalités semblables. Cette enquête, plus lyrique que scientifique, donne naissance à un terme qui traverse les âges pour décrire la jeunesse américaine des années 50 : la génération silencieuse. Celle qui ne veut pas aller à la guerre mais montre peu d’enthousiasme pour la paix.
Le terme est forcément essentialisant, mais on ne pourra pas enlever aux journalistes du Time d’être allés à la rencontre de la jeunesse d’alors, dans sa diversité, pour l’observer et la questionner sur elle-même. Le concepteur américain de jeux vidéo Marc Prensky a-t-il fourni les mêmes efforts en 2001, avant de parler de «digital natives» pour décrire les enfants de notre siècle ? Les médias et autres think thanks ont-ils bien tendu l’oreille à toutes les jeunesses françaises avant d’acter que l’adolescent d’aujourd’hui est un «enfant du numérique» ? Lorsque j’emmène mes élèves de sections d’enseignement général et professionnel adapté (Segpa) en salle informatique et que je vois la plupart d’entre eux être déconcertés par des consignes aussi simples qu’ouvrir un navigateur, j’ai de sérieux doutes sur le fait que le maniement des outils numériques soit, chez eux, une compétence innée.
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https://www.liberation.fr/debats/2018/11/21/des-jeunes-au-bord-de-l-illettrisme-numerique_1693449