Jacques Pélissard, président de l’AMF, et André Laignel, 1er vice-président délégué, ont souhaité faire le point sur la situation des communes et de leurs groupements dans un contexte de projets de réformes majeures ayant un impact sur les collectivités. Ils ont évoqué trois dossiers prioritaires : la situation financière des communes et des intercommunalités, le futur projet de loi décentralisation et la réforme des rythmes scolaires.
Finances : il faut passer de la parole aux actes
Les communes et communautés sont en pleine période de préparation budgétaire et doivent réaliser leurs arbitrages financiers dans un contexte économique de plus en plus difficile : baisse des recettes (diminution annoncée des concours financiers de l’Etat aux collectivités, à partir de 2014, à hauteur de 750 millions d’euros par an, alors même que les marges de man½uvres fiscales se réduisent) ; augmentation des dépenses, les réformes en cours impliquant une participation importante des collectivités locales (construction de nouveaux logements sociaux, accès des territoires au haut-débit, rénovation thermique des bâtiments publics, mise en accessibilité des équipements…).
D’autres mesures financières s’imposent aux collectivités et entraînent une augmentation de leurs dépenses (hausse des cotisations retraite patronales, révision indiciaire des agents de catégorie C, relèvement des taux de TVA…). Or, c’est dans ce contexte que les communes, de manière responsable, ont su stabiliser leurs effectifs depuis 2009 : les chiffres officiels (DGCL, CNFPT) le prouvent, contrairement aux allégations régulièrement répandues ! De plus, les dépenses du bloc local correspondent à des services publics de proximité, indispensables aux citoyens (leur nombre a augmenté de 3 millions en 10 ans) et dépendant directement de leurs besoins.
Dans ces conditions, il faut passer de la parole aux actes :
1. l’Etat doit engager l’élaboration d’un Pacte de confiance et de solidarité avec les collectivités locales, comme le gouvernement s’y est engagé. L’AMF réitère sa demande qu’une loi de finances spécifique aux collectivités territoriales soit créée pour concrétiser ce pacte.
2. Il faut dès maintenant que l’Etat ouvre la concertation sur l’évolution de ses concours financiers (diminution de 2,25 milliards sur 2014-2015, qui risque d’être aggravée après l’annonce récente d’une diminution supplémentaire de 10 milliards € des dépenses publiques).
3. Il faut absolument mettre un terme à l’inflation des normes imposées aux collectivités locales.
4. Il faut inscrire au calendrier législatif la création de l’Agence de financement des investissements locaux, comme annoncé par le Président de la République lors du dernier Congrès des maires.
5. Il faut gérer le stock d’emprunts structurés des collectivités locales mais sans faire peser la charge de ces emprunts sur l’ensemble des collectivités.
6. Il faut engager la révision des bases cadastrales afin de permettre une fiscalité plus juste.
Décentralisation : il ne faut pas négliger le rôle et l’efficacité des communes
Dans l’attente de la transmission d’un avant-projet de loi, l’AMF a réagi sur un document de travail succinct. Les communes sont les oubliées de ce projet, pourtant elles délivrent chaque jour des services concrets à la population et assurent la cohésion sociale et territoriale du pays. Si le monde urbain est pleinement reconnu, à la satisfaction de l’AMF, il ne faut pas pour autant négliger le monde rural et péri-urbain qui concerne une très grande partie de notre population. C’est pourquoi l’AMF alerte solennellement le gouvernement sur le risque d’aggravation de la fracture territoriale du pays si on se contente d’une vision très théorique des territoires qui, tous, doivent être respectés et pris en compte.
L’AMF a d’ores et déjà fait part de son opposition à plusieurs orientations du texte et espère convaincre le gouvernement d’amender substantiellement son projet, notamment sur les points suivants :
1. le Haut Conseil des Territoires doit constituer une véritable instance de dialogue entre Etat et collectivités locales et l’AMF, garante du pluralisme politique, démographique et géographique, entend y tenir toute sa place. Ce doit être le lieu où seront discutées toutes les politiques publiques ayant un impact sur les collectivités.
2. Les conférences territoriales de l’action publique (CTAP) doivent permettre la co-élaboration des politiques publiques locales dans le respect du principe de non-tutelle d’une collectivité sur une autre. Pour cela, leur présidence doit résulter d’un choix consensuel des élus membres ou, à défaut, être tournante.
3. Le renforcement indispensable de l’intercommunalité nécessite de consolider le lien entre commune et communautés. En règle générale, dans les relations entre communes et communautés, l’AMF propose de définir des accords-cadres permettant l’organisation souple des compétences et une mutualisation accrue des services et moyens, sans imposer de modèle unique, pour maîtriser les dépenses.
4. La libre fixation de l’intérêt communautaire par les élus constitue un principe essentiel de la décentralisation. L’AMF est opposée au transfert obligatoire et automatique de nouvelles compétences à l’intercommunalité, sans que cela ne corresponde à des projets portés par les élus.
5. La planification de l’urbanisme doit résulter d’une vision globale et durable d’un territoire et non d’une simple approche institutionnelle (PLUi). L’AMF est favorable à la généralisation des SCOT prévue à l’horizon 2017. Si l’échelle intercommunale constitue, la plupart du temps, l’échelle pertinente pour élaborer un PLU, l’AMF considère cependant que la décision d’élaborer un PLUi doit relever des collectivités concernées.
Rythmes scolaires : l’AMF est d’accord sur l’objectif mais très réservée sur les coûts et les modalités
Le retour à la semaine de quatre jours et demi est une bonne chose pour les élèves. Cette mesure fait l’objet d’un large consensus et l’AMF l’a demandée depuis plusieurs années. Mais on peut être d’accord sur l’objectif d’une réforme et vigilant sur ses conséquences financières, surtout lorsque les finances locales sont en crise.
L’application de la réforme pourra se faire soit à la rentrée 2013 pour les communes qui seront prêtes, soit à la rentrée 2014 pour les autres. Mais elles devront faire ce choix avant le 1er mars 2013.
Aujourd’hui, à moins de deux mois de cette échéance, il leur manque trop d’éléments concrets pour pouvoir prendre cette décision :
1. aucune évaluation n’a été faite de l’impact financier sur les collectivités. Le ministère de l’Education nationale considère que l’ajout d’une demi-journée d’école supplémentaire se fera à coût constant pour les communes. Ce n’est pas réaliste ! C’est pourquoi l’AMF demande avec force que l’évaluation de l’impact financier soit calculé, même pour les dépenses annoncées comme « facultatives » par le ministère.
2. Il convient de préciser ce qui est pris en charge par l’Education nationale dans le temps scolaire des enseignants comme des élèves, et ce qui relève de l’initiative communale dans un temps périscolaire.
3. Le projet éducatif territorial n’est pas suffisamment précisé alors qu’il est indispensable pour demander une dérogation (samedi matin au lieu du mercredi matin par exemple).
4. L’AMF demande un allègement pérenne des taux d’encadrement des accueils périscolaires afin de tenir compte, de façon pragmatique, des besoins locaux et des capacités des communes et des associations à les organiser.
5. Enfin, le « fonds d’amorçage » de 250 millions d’euros ne doit ni être réservé aux seules communes qui s’engageront en 2013 ni être une aide ponctuelle car les dépenses supplémentaires induites par la réforme des rythmes scolaires sont des dépenses durables.
L’AMF est une force de proposition novatrice. Elle représente des collectivités indispensables au maintien de la cohésion sociale et territoriale : attention à ne pas prendre le risque de les fragiliser au moment où on a le plus besoin d’elles !