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Ville ou campagne, l’enjeu est le même : basculer dans la « société de l’information » pour affronter la mutation du travail. Environ 85% des emplois de 2030 n’existent pas encore et nos sociétés n’y sont pas préparées. Entretien avec Xavier de Mazenod (1)

Le grand responsable de cette mutation c’est le numérique.

Le défi est donc d’en maîtriser le fonctionnement, les enjeux « philosophiques » et sociaux, la logique, les modèles économiques. Un objectif qui exige un gros effort de formation.

Pour atteindre cet objectif de maîtrise, la ruralité souffre de 3 handicaps : défauts d’infrastructures, éloignement des acteurs de la formation et faible densité d’entrepreneurs. Auxquels on pourrait ajouter deux autres obstacles : un quasi monopole de l’action de développement par des acteurs publics trop peu souvent au fait des enjeux du numérique et une plus faible culture du numérique dans les entreprises rurales que chez leurs homologues urbains.

Le 1er handicap, le défaut d’infrastructures, est bien connu : une grande inégalité des territoires devant le très haut débit, support et vecteur de tous les usages avancés du numérique, dont la formation et la création d’entreprise.

Les acteurs de la formation spécialisés dans le numérique sont principalement implantés en Ile-de-France et dans les métropoles régionales. Ce qui signifie que c’est plus compliqué et plus cher de se former quand on habite et travaille à la campagne. Et que ces formations sont presque inaccessibles pour des candidats éloignés de l’emploi.

D’autre part, une étude du CNRS a mis en évidence un retard dans les usages numériques avancés des entreprises rurales par rapport à leurs homologues urbaines. Et aussi une corrélation entre usages avancés du numérique et export. Là encore la ruralité est pénalisée.

Pourtant la campagne fait rêver : 8 millions de Franciliens sur 11 déclarent régulièrement dans des sondages vouloir quitter la ville pour s’installer… à la campagne. Et plus de la moitié des cadres seraient prêts à quitter Paris pour un salaire plus bas !

L’Écloserie numérique est-elle le témoin des mutations du monde du travail et de la formation de demain ?

Oui l’Ecloserie numérique, tiers-lieu installé depuis 2010 à Boitron, un village de 340 habitants dans l’Orne, est le témoin de ces mutations. Nous nous efforçons d’y développer des activités, de la médiation numérique et des formations pour réduire la fracture numérique en formant aux usages, pour faire monter en compétence tous les publics : jeunes, entreprises, retraités…

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Pique-nique devant l'écloserie

En 2010, nous avons créé un espace de coworking puis un fablab l’an dernier.

En 2015, nous avons lancé avec Simplon la 1ère formation de développeurs informatiques en multimodal (une semaine sur place, 3 semaines à domicile) pour des demandeurs d’emploi.

L’année précédente, nous avions lancé un appel à projets pour la création de ces formations en milieu rural. Cela a donné naissance à des écoles de codeurs à la Loupe en Eure-et-Loir, au Cheylard en Ardèche, à Mende en Lozère, à Bras-sur-Meuse à côté de Verdun.

Aujourd’hui, nous structurons ces activités dans un « worklab rural » destiné à prototyper un tiers-lieu rural idéal au service du développement économique et social.

Nous venons d’être labellisés par la Grande Ecole du numérique pour la 1ère formation de 6 mois de développeurs pour l’Internet des Objets, toujours pour des demandeurs d’emploi. A cette occasion nous montons des projets avec deux fablabs africains sur l’agriculture connectée et l’autonomie énergétique.

Est-ce que demain, on pourrait parler de territoires péri-ruraux avec le développement du télétravail, de 1/3 lieu... ?

Depuis 20 ans on entend dire que le télétravail va régler le problème de l’aménagement du territoire. Mais on n’a pas vu grand chose…

Les aspects techniques ne sont pas le seul obstacle. On pouvait déjà très bien travailler à la campagne avec un téléphone, un fax et l’Internet à bas débit. Alors pourquoi assiste-t-on seulement maintenant à un frémissement d’exode urbain ?

Parce qu’il nous semble que toutes les conditions sont remplies aujourd’hui pour un développement rural qui s’appuie sur le numérique. D’abord parce que les outils et l’Internet se sont banalisés, même si tous les foyers sont moins d’avoir du très haut débit.

Ensuite parce que les mentalités et le monde du travail ont évolué. On sent chez les salariés, au moins chez les plus jeunes, une forte appétence d’autonomie et de quête de sens dans leur travail. Une autonomie qui se traduit aussi par l’explosion du statut de freelance ou de micro-entrepreneur.

La convergence entre trois phénomènes (l’accès très large à la technologie, la soif de qualité de vie, l’aspiration à un travail épanouissant) fait que le temps de l’exode urbain pourrait bien être arrivé.

Et, évidemment, tout ce qui vient renforcer cette démarche, comme le développement de tiers-lieux ou du télétravail, rend les territoires ruraux plus attractifs pour les urbains qui aspirent à meilleur équilibre en vie professionnelle et vie privée à la campagne.

 

(1)Xavier de Mazenod dirige la société Adverbe, spécialisée dans les nouvelles formes de travail et dans le développement agile des territoires depuis 2004. Il accompagne des grands groupes ou des territoires dans leur transformation à 'aide du numérique.

Il est par ailleurs le fondateur du site web Zevillage.net, site d’information et réseau social du télétravail et des nouvelles formes de travail.

Il est le créateur du tiers-lieu l’Ecloserie numérique (Boitron, Orne) et créateur du réseau des 14 télé-centres de l’Orne.

Nicolas Le Luherne

Dernière modification le lundi, 26 novembre 2018
Le Luherne Nicolas

Nicolas Le Luherne est directeur des Ateliers Canopé de Beauce, blogueur, chroniqueur pour le Thot Cursus, Ludomag et Educavox. Il est administrateur de l’Association Nationale des Acteurs de l'École. Professeur au lycée professionnel Philibert de l’Orme à Lucé jusqu’en août 2016, il a intégré différents outils numériques tels que les tablettes, les jeux sérieux, la réalité augmentée, la cartographie numérique en diversifiant les approches pédagogiques. Il s'intéresse l’impact de la culture numérique sur nos sociétés, notre citoyenneté et nos démocraties notamment à l’esprit critique et au complotisme.