Stéphanie de Vanssay, vous êtes l’une des organisatrices de ce colloque qui s’est déroulé le 25 mai 2016 à Paris. Pourquoi organiser une telle rencontre aujourd’hui ? Quels sont les objectifs que vous poursuivez avec cette initiative ?
L’objectif de ce colloque est double : aborder la transformation de notre métier due à la société numérique et préparer des mandats adaptés pour notre prochain congrès qui aura lieu en 2017. Nous avons fait le choix d’écarter volontairement les aspects pédagogiques (même s’ils ont été présents en filigrane) au profit d’autres aspects beaucoup moins explorés que sont par exemple la formation et la qualité de vie au travail.
Comme l’a dit notre premier intervenant, le sociologue Vincent Mandinaud : « il ne faut pas vouloir éteindre les controverses mais les animer, les discuter, les rendre fertiles », c’est ce que nous voulons pour ne pas nous enfermer dans des postures pro ou anti numérique mais pour construire une réflexion qui puisse se traduire en actions syndicales utiles.
MP : D’un point de vue syndical, comment pensez-vous pouvoir accompagner les transformations numériques qui sont à l’œuvre dans l’école ?
Tout d’abord en nous tenant informés au mieux de toutes les transformations numériques en cours, cela exige une veille permanente qui dépasse très largement le cadre scolaire et éducatif de la question. Ensuite nous sommes très présents sur les réseaux numériques et à l'affût de ce qui est à l’œuvre dans les établissements scolaires, des questions qui se posent, des difficultés rencontrées mais aussi des avancées et des expérimentations prometteuses…
Tout cela nous permet d’analyser finement les propositions que le ministère nous soumet et de guider nos collègues dans leurs réflexions et leurs mises en œuvre pédagogiques. Les ressources dans et hors de l’institution sont nombreuses, nos collègues n’ont pas forcément les outils et informations pour accéder directement à ce qui va leur être utile.
Nous sommes également très vigilants à ce que le numérique soit utilisé de façon pertinente pour communiquer entre enseignants, avec la hiérarchie ainsi qu’avec les familles. Il est nécessaire que le ministère prenne en compte le temps d'adaptation aux nouveaux outils (ENT, LSUN : Livret Scolaire Unique Numérique, réseaux d’échanges...), la régulation des échanges numériques (notamment par une bonne gestion des courriels professionnels) et la reconnaissance du temps passé en ligne pour se former.
MP : Percevez-vous certaines dérives négatives que le numérique pourrait produire dans l’éducation ?
Oui, le numérique peut être utilisé dans une optique de standardisation des apprentissages avec une illusion de contrôle, un retour au taylorisme agrémenté d’un discours très trompeur sur la personnalisation qui deviendrait « automatisable ». Or, apprendre relève de bien plus que de simples mécanismes, qui s’ils ont tout leur intérêt sont loin d’être les seuls à l’œuvre dans l’enseignement. Ce n’est pas pour rien que l’on parle des sciences de l’éducation avec un « s » à sciences, les aspects psychologiques, sociologiques, pédagogiques, didactiques… ont également toute leur importance et sont souvent bien plus déterminants dans la réussite de nos élèves ! Nous sommes donc particulièrement vigilants sur les questions que peuvent poser par exemple un engouement mal maîtrisé pour l’adaptative learning, surtout quand ses promoteurs promettent d’éradiquer l’échec scolaire !
MP : En quoi la transformation numérique est-elle pour vous un nouvel objet du dialogue social ?
La transformation numérique est à la fois un sujet et un outil du dialogue social. Un sujet parce qu’elle touche tous les aspects de notre vie professionnelle, un outil parce que c’est un nouveau canal pour récupérer de l’information, la diffuser, échanger, consulter, mobiliser… avec de vrais changements dus notamment à l’horizontalité des réseaux et à l’instantanéité de la circulation des informations.
C’est pourquoi, sans abandonner les canaux plus classiques, nous sommes au SE-Unsa très présents et impliqués sur les réseaux numériques qui nous permettent également de mieux faire connaître les valeurs que nous défendons.
MP : Quel constat faites-vous de l’adaptation des enseignants à la transformation numérique du métier ? Vos adhérents sont-ils prêts à entrer totalement dans l’ère du numérique ?
Pédagogiquement, je pense qu’on est en train de quitter l’ère des pionniers mais qu’on est encore loin de la généralisation des usages en classe.
Beaucoup de collègues ont envie de s’y mettre avec leurs élèves, et se démènent pour bricoler avec ce qu’ils ont à disposition, nous avons de plus en plus de demandes de stages syndicaux sur la thématique du numérique à l’école et ils font toujours le plein. Concernant le travail des enseignants hors face à face élèves, nous sommes tout à fait entrés dans l’ère du numérique, à l’image de la société dans son ensemble.
MP : Selon vous, quelles devraient être les priorités de l’action des pouvoirs publics (autorités de l’éducation et partenaires) afin de permettre un développement correct du numérique à l’école ?
Il faut absolument sortir des discours diabolisants qui sont encore trop présents et se saisir des opportunités ouvertes par le numérique pour revisiter notre pédagogie et adapter notre école à la société numérique.
Un équipement minimum d’au moins un appareil connecté par salle de classe, dès la maternelle, est un premier pas indispensable pour que le numérique soit effectivement intégré au quotidien des classes. Ensuite il faudrait acculturer les enseignants et les cadres de l’Éducation nationale au numérique, y compris par des dispositifs de co-formation et la reconnaissance des formations effectuées de façon volontaire hors institution comme les MOOC par exemple.
Il nous semble également essentiel de reconnaître et valoriser l’indispensable travail de proximité accompli par les animateurs TICE et les référents numérique. Beaucoup d’avancées concrètes de terrain reposent sur eux or ils sont souvent gommés, oubliés, quand il s’agit de rémunération ou de définir clairement leurs missions par exemple.
Enfin, il faut faire connaître et prendre en compte le travail de création de ressources numériques, y compris de manuels complets parfois, accompli et partagé par certains collègues. C’est en effet en nous appuyant sur leur travail, souvent remarquable, que nous aurons des moyens de résister à une marchandisation incontrôlée du numérique « scolarisé ».
Michel Perez
Dernière modification le jeudi, 02 juin 2016