A l’invitation de deux membres de l’Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (à savoir Laure DARCOS, Sénatrice de l’Essonne et de Pierre OUZOULIAS, Sénateur des Hauts-de-Seine), ce colloque s’est déroulé dans la Salle Médicis du Palais du Luxembourg.
J’ai assisté à ce Colloque et je vous en communique ma vision personnelle, partiale et partielle.
Participant à de nombreuses conférences, je suis assez exigeant et j’ai beaucoup apprécié le niveau élevé des interventions de ce colloque.
Keynote de Dominique WOLTON
La première intervention a pris la forme d’un Keynote de Dominique WOLTON, Directeur de la Revue internationale Hermès et Directeur de recherche au CNRS, sur le thème Les contradictions de l’information et de la communication scientifiques à l’heure de la globalisation, des fake news et de la diversité culturelle.
Je suis un fan assumé de Dominique WOLTON et j’ai beaucoup apprécié sa manière dilettante de nous présenter ses thèses. À ce sujet, je vous invite à dévorer son livre Informer n'est pas communiquer paru chez CNRS Editions en 2009.
Selon lui, dans notre société occidentale, l’idéologie de base est la suivante : l’Internet incarne le progrès. Cette posture implique deux conséquences tragiques : l’incommunication et la standardisation. Plus le flux d’information est important, plus le conformisme se renforce. Cela signifie une fin annoncée de la diversité et une production renforcée de mèmes. Je reprends la définition de Wikipédia : les mèmes se définissent comme des éléments culturels reconnaissables, reproduits et transmis par l'imitation du comportement d'un individu par d'autres individus. Malheureusement pour nous, moins nous communiquons entre nous, plus nous produisons de mèmes, plus nous nous éloignons de notre capacité à produire de la vérité et plus le monde devient petit.
Selon Dominique WOLTON, nous sommes des êtres sociaux et non des êtres d’information.
En effet, la communication par et entre les êtres humains est lente car elle est basée sur une négociation longue, en lien direct avec la complexité de la gestion de l’altérité. Par opposition, l’information circule très rapidement et nous impose sa vitesse via les différentes interactivités que nous produisons avec les machines. Par conséquent, il y a un décalage entre la production lente de la connaissance et la production très rapide de l’information.
Il nous met alors en garde contre la médiatisation et la peopolisation des scientifiques. Selon lui, ces derniers sont soumis à la tyrannie du monde hyper rapide de l’information. A ce sujet, sa phrase de conclusion est impériale : je suis pour tout ce qui peut ralentir la vitesse !
Enfin, Dominique WOLTON nous a alerté sur la nécessité d’organiser la cohabitation pacifique des points de vue contradictoires dans la mesure où chacun veut conserver son identité. En effet, selon lui, trop d’incommunication implique trop d’incompréhension qui peuvent déboucher sur des conflits. Il a illustré son propos en donnant l’exemple de la traduction au sein des instances de l’union européenne.
Première table ronde autour du thème La fabrique des publications scientifiques
J’ai adoré les méandres de ce débat.
Agnès HENRI, Directrice générale chez Édition Diffusion Presse Sciences, a mis en garde contre les dérives de l’open access : il consiste en la mise à disposition en ligne des articles de revues de recherche universitaires sélectionnés par des pairs.
Elle illustre cette dérive en citant l’article portant sur la démolition contrôlée des tours jumelles le 11 septembre 2001. En 2009, la revue scientifique à comité de lecture Open Chemical Physics Journal a publié cet article qui analyse la nanothermite, un matériau hautement énergétique, retrouvé dans quatre échantillons de poussières collectés par des observateurs indépendants.
François-Marie BREON, Directeur adjoint du Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement (LSCE), a précisé que l’open access contient trois niveaux de publication :
- Un niveau constant de très haute qualité à visibilité mondiale
- Un niveau constant de qualité importante à visibilité moindre
- Un niveau variable de qualité à visibilité faible
Il alerte sur le fait que le grand public ne peut pas distinguer ces différents niveaux de qualité.
Dominique WOLTON a souligné le contre-pouvoir formidable que constitue l’open access. Il rappelle que le système de connaissance est véritablement un système de pouvoir dominant.
Agnès HENRI dénonce la crise actuelle du système d’évaluation par les pairs. Par ailleurs, elle montre la limite de ce système pour les articles qui traitent de sujets trop étroits en Physique.
Le Professeur d’immunologie David KLATZMANN a mis en relief les problématiques d’exploitation des données de recherche en lien avec la diversité des formats.
François-Marie BREON a répondu à une question portant sur la publication des résultats d’échec dans la recherche : il a noté la portée limitée de ce type de résultats.
Dominique WOLTON a souligné que la rationalisation a posteriori dans l’histoire des sciences cache la réalité d’un désordre cognitif bouillonnant, constitutif de l’innovation. Il rappelle que la production de connaissances est toujours critique vis-à-vis de l’ancien système au début puis conformiste pour s’auto-entretenir dans un second temps. La solution est d’encourager le désordre cognitif et de promouvoir le pluralisme cognitif. Toutefois, il conclut en mettant en garde contre la crise de défiance vis-à-vis de la vérité.
Une seconde table ronde autour du thème Détecter et réduire la fake science
Joëlle ALNOT, Directrice de l’Office français de l’intégrité scientifique (OFIS), nous a décrit le monde actuel dans lequel la révolution numérique, l’augmentation du nombre de publications et le changement de la transmission impactent directement la manière dont l’information théorique circule et est utilisée.
Médecin de santé publique, consultant et animateur du blog redactionmedicale.fr, le Docteur HervéMaisonneuve nous a exposé les biais et les embellissements qui polluent les publications scientifiques :
- Les biais de citation
Une analyse de 7321 citations, compilant des données dans vingt-huit articles sur la qualité des références, a montré que 25,4 % des références avaient des erreurs, soit majeures 11,9 %, soit mineures 11,5 %.
- Les biais statistiques
Des études souligne qu’environ 10 à 12,5 % d’erreurs graves mettant en cause la conclusion des articles.
- Les massages de données
Ces pratiques permettent de métamorphoser des résultats approximatifs en beaux articles.
- Les manipulations d’images
Pour les quatre revues EMBO (European Molecular Biology Organization), environ 20 % des articles sur le point d’être acceptés ont révélé des manipulations des images.
Daniel RODRIGUEZ, Président de l’éditeur Elsevier Masson France, a rappelé que, sur un flux total de 7 millions d’articles, 60% étaient rejetés mais que 2,8 millions étaient publiés annuellement.
David LACOMBLED, Président de La villa numeris, laboratoire d'idées sur l'économie numérique, a dénoncé le système de boule de neige numérique qui emporte tout sur son passage sur Internet. Selon lui, 50% des internautes considèrent qu’une marque présente sur un site web épouse les thèses de ce site. Par conséquent, si une marque se retrouve sur un site au contenu controversé, elle risque de voir son image associée à ce dernier. Il conclut sur ce message : un mensonge répété deux cents fois devient une vérité !
L’animateur de cette table ronde Olivier POSTEL-VINAY, Directeur de la rédaction du magazine Books, conclut le débat sur la manière de permettre aux chercheurs d’échapper aux biais cognitifs. La formation est citée unanimement comme LA solution.
Une conclusion très enrichissante
J’ai beaucoup apprécié la conclusion très riche de ce colloque. En effet, Pierre OUZOULIAS porte un regard distancié du fait qu’il est à la fois un homme politique élu et un scientifique spécialisé en histoire et en archéologie. Il envisage l’évolution de leur relation de la manière suivante :
- Avant, le Politique s’appuyait sur le discours du Scientifique qui avait la charge de dire la Vérité.
- Maintenant, dans un contexte de montée de l’irrationnel, tous les discours se valent ; La seule porte de sortie serait de procéder en deux temps :
- Dans un premier temps, permettre au scientifique de communiquer des faits
- Dans un second temps, permettre au Politique et aux Militants de commenter et d’interpréter ces faits.
Par ailleurs, il a illustré son propos en brandissant un livre particulier portant sur 2015 mais publié en 2018 : L'Année épigraphique qui recense l’ensemble des inscriptions découvertes chaque année concernant le monde romain, parues dans l’ensemble des périodiques à l’échelle mondiale. Sur un temps long, l’éditeur a un rôle essentiel et pourrait être presque envisagé comme co-auteur des livres.
Enfin, Pierre OUZOULIAS a distingué la fausse nouvelle (qui est une nouvelle vraie démentie par la suite) et la fausse nouvelle (qui est une nouvelle fausse fabriquée pour tromper). Il a cité l’Affaire Glozel de 1924.
Ma conclusion
Participant à de nombreuses conférences, je suis assez exigeant et j’ai beaucoup apprécié le niveau élevé des interventions de ce colloque. J’ai appris énormément pendant cette demi-journée sans avoir envie de regarder mon téléphone portable. Les intervenants sont arrivés à me tenir attentif et engagé. Toutefois, afin de rendre les échanges encore plus riches, je propose aux organisateurs d’intégrer un système de recueil des questions du public en amont et pendant l’évènement. Philippe BEAUVILLARD, Président du Syndicat de la Presse Culturelle et Scientifique, a confirmé sa volonté de réitérer un évènement similaire l’année prochaine.
Thomas Hervouet-Kasmi, Directeur de Projets Digital Learning et fondateur de l'agence experience-apprenant.fr
Dernière modification le samedi, 31 juillet 2021