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« Demander un pitch » n’est-ce pas déjà la pratique langagière d’une hybridation franco-américaine ?

L’histoire des adaptations des langues à des hégémonies politiques interroge la notion d’hybridation: quand existe-il submersion, quand y-a-t-il créativité ? [1]

Cette question du rôle politique ou économique de l’hybridation se pose chaque fois qu’une injonction introduit des confusions entre la vulgarisation d’une promesse scientifique et le fait lui-même.

Qu’en est-il dans l’enseignement de la différence entre un élève et une personne humaine désignée par enfant et adolescent.e ? [2]
Qu’en est-il dans les systèmes administratifs quand existe la confusion entre qualification professionnelle et compétence ? [3]
Qu’en est-il quand il existe une volonté de substituer un ordre hiérarchique à l’appropriation de l’acte par son réalisateur dans la production ? [4]

La réponse au thème de ce séminaire demande de poser des problèmes multiples dont la finalité peut se définir en ces termes : Que produit l’hybridation pour l’éducation et l’enseignement ?

Quand est-elle créatrice ? 
L’accès rendu possible à une ressource documentaire disponible au plus grand nombre par la multiplication  des réseaux d’information, en est un exemple, à la condition qu’une formation critique à leur utilisation soit accessible à tous et toutes.

Quand est-elle destructrice ?
Quand elle est au service d’un pouvoir économique et parfois d’un pouvoir politique, elle permet, par exemple,  la confusion entretenue entre la recherche scientifique, apport de savoir pour le bien commun, et la recherche développement, souvent au service de groupes économiques ou de gouvernements, confusion renforcée par les analogies entre Intelligence humaine et IA  [5].

Un pitch ne saurait répondre aux multiples problématiques que le vocable hybridation soulève, il nécessite l’étude d’un cas concret. Le thème « les confettis numériques » traité lors du « Carnaval numérique-Cité des sciences – Paris-18/03/2017 initié par l’An@é »  apparaît comme un produit de la société numérique qui résulte d’une combinatoire de plusieurs matières de l’expression, de plusieurs technologies, de plusieurs études des sciences sociales,  humaines et cognitives.

Le confetti numérique est présent dans la vie quotidienne pour tous les usagers d’objets connectés ; il se présente sous la forme de toutes les matières de l’expression auditive et visuelle, il dure un temps de connexion bref qui peut être répétitif.

Les technologies qui président à sa production, son émission, sa consommation permettent – elles de parler d’une hybridation des matières de l’expression traitées par la technologie numérique ?

La réponse pourrait être donnée par l’analyse des différentes composantes auditives visuelles et  textuelles du confetti numérique. L’an@é ne semble pas avoir choisi cette option, cette association s’est intéressée principalement aux utilisations sociales de ces connexions brèves.

Les confettis numériques se rencontrent dans un grand nombre de situations sociales qui concernent aussi bien un domaine politique, obtenir par la répétition d’un slogan bref l’adhésion à des décisions gouvernementales, le champ commercial, convaincre la nécessité d’un achat sans qu’il soit nécessaire au consommateur, les offres d’éducation et d’enseignement en proposant des techniques brèves d’apprentissage sous forme d’instructions.

Quelque soit le promoteur de ces confettis numériques, il a toujours comme finalité que le récepteur connecté garde une trace consciente ou inconsciente du contenu pour que son comportement corresponde à l’injonction contenue dans le confetti numérique qui ne laisse aucune place à un comportement réflexif.

La question qui se pose à l’éducateur qu’il fasse partie de la parentalité ou du personnel enseignant est :

Comment prendre en compte les traces laissées par ces informations brèves avec les enfants et les adolescent.e.s?

Les injonctions contenues parviennent le plus souvent par différentes modalités sensorielles, principalement par l’audition et la vision.

Si sa réception est dépendante d’un objet connecté,  les contextes varient. Ils vont d’une décision de son producteur d’interrompre la lecture ou le visionnement d’un document structuré par une information brève sans rapport avec la finalité recherchée par le récepteur à un choix par les consommateurs de relations interpersonnelles par questions/réponses brèves généralement codées.

Le pictogramme emoji est représentatif de la suppression de toute expression verbale par un stéréotype résultant d’une hybridation entre les pages web japonaises et les messages du monde entier.

En éducation et dans l’enseignement, le problème se pose de connaître les effets de ces « confettis numériques » sur les générations montantes.

Il trouve des problématisations multiples. Celle des traces laissées par ces informations brèves, absentes de toute forme discursive, en fait partie et concerne directement l’éducation : Que faire des injonctions comme « il faut s’adapter », Que faire « des jugements brefs et sans commentaire sur les connaissances scientifiques des programmes scolaires tel que « Apprendre à apprendre».

Un dialogue intergénérationnel sur les traces laissées dans la mémoire est une orientation possible. Il conjugue un travail de reconstruction des traces laissées dans la mémoire du jeune par « le confetti numérique » et une traduction sémantique.

Est-il possible que cette traduction ne conserve qu’une seule expression de cette trace sans conséquences psychologiques?

Cette approche nécessite pour l’éducateur et l’enseignant une formation qui fait appel à la connaissance de plusieurs conceptions de la mémoire qui permettent un travail réflexif avec les jeunes dans les domaines concernés par les effets de ces « confettis numériques ».


Si pour certains adultes, l’expression de « traces mnésiques » apparaît répondre aux conséquences de ces connexions numériques, il est nécessaire de rappeler que « la conception freudienne de la trace mnésique diffère nettement d’une conception empiriste de l’engramme défini comme empreinte ressemblant à la réalité [6], elle  insiste sur la différence avec les caractéristiques sensorielles des perceptions et sera complétée  par des arguments en faveur « d’une unité structurante recouvrant cette activité fonctionnelle ». 

Pour éviter toute utilisation hâtive de cette expression dans une recherche d’hybridation soit entre les différentes approches de la question soit entre les différentes propositions théoriques scientifiques, il est nécessaire de mettre en débat les apports de chaque approche et proposition et de prendre en compte les différentes définitions proposées telle que celle-ci :

« En psychologie cognitive, la notion de mémoire désigne les états mentaux qui portent de l’information, celle d’apprentissage désignant la transition d’un état mental à un autre. Dans le langage quotidien, le terme de mémoire laisse à penser à une fonction unique d’informations, alors que la recherche en psychologie a mis en évidence une grande variété de représentations mentales et de processus." [7]

La distinction entre l’approche psychique et l’expression sémantique de la trace laissée dans la mémoire est nécessaire à la fois en fonction de l’éthique, de l’épistémologie des sciences, de la déontologie des intervenants qu’ils fassent partie de la parentalité ou des professionnels de l’enseignement l’éducation.
Toute hybridation ne conduirait-elle pas à une manipulation de la personne concernée et à remplacer la richesse des expressions multiples par une pensée unique?

Le travail cognitif sur le rôle de ces confettis est une finalité pour l’enseignement et l’éducation car elle permet aux générations montantes de donner du sens à leur implication dans leur prise de décision.

En effet, Ils influencent leur passage à l’acte, tel que « la négation d’une approche scientifique contraire à l’information brève », « l’achat impulsif », « un choix politique sans mise en débat » etc.
L’éducateur, l’enseignant ont alors la mission de créer un processus éducatif qui donne aux confettis numériques ce qu’il dénie : le droit à l’expression par la parole sur son origine et sur les débats qu’ils suscitent.

S’il est envisageable de considérer que « le confetti numérique » soit un produit résultant d’une hybridation de plusieurs techniques et de plusieurs matières de l’expression dans un système économique concurrentiel mondialisé [8] le processus éducatif qu’il nécessite peut-il supporter qu’un élément conceptuel permettant la relation éducative soit détaché de  sa genèse scientifique sans qu’il soit mis en débat sur ses différences et ses complémentarités avec d’autres propositions ?

La créativité ne serait-elle pas la finalité de ces débats qui reconnaissent la spécificité de chaque proposition et qui ne tendent pas vers la production d’une hybridation qui réduit la pensée complexe à une pensée unique non productive et autoritaire ?

La réflexion à propos des « confettis numériques »  conduite sur le  concept « trace mnésique » en est un exemple.

Alain Jeannel  

[1] https://www.educavox.fr/formation/analyse/multilinguisme-et-langue-de-l-enseignement-particularisme-et-unite-linguistique

[2] https://www.meirieu.com/ARTICLES/eleve-au-centre.pdf

[3] https://www.cairn.info/revue-internationale-des-sciences-administratives-2014-1-page-25.htm 

[4] http://www.sociopsychanalyse.com/groupes-sp/agasp-paris/

[5] Luc Julia  L'intelligence artificielle n'existe pas, Etude 2019.

[6] J, Laplanche et J.-B. Pontalis  PUf,  1976, p.491

[7] Vocabulaire des sciences cognitives, PUF 1998 , pp.256-57

[8] https://www.educavox.fr/les-auteurs-educavox/author/62-jeannelalain 

https://www.educavox.fr/les-reportages/content/304-carn-val-numerique-2017/                                                                         

Cette approche nécessite pour l’éducateur et l’enseignant une formation qui fait appel à la connaissance de plusieurs conceptions de la mémoire qui permettent un travail réflexif avec les jeunes dans les domaines concernés par les effets de ces « confettis numériques ».

Si pour certains adultes, l’expression de « traces mnésiques » apparaît répondre aux conséquences de ces connexions numériques, il est nécessaire de rappeler que « la conception freudienne de la trace mnésique diffère nettement d’une conception empiriste de l’engramme défini comme empreinte ressemblant à la réalité »[i] , elle insiste sur la différence avec les caractéristiques sensorielles des perceptions et sera complétée  par des arguments en faveur « d’une unité structurante recouvrant cette activité fonctionnelle ». 

Pour éviter toute utilisation hâtive de cette expression dans une recherche d’hybridation soit entre les différentes approches de la question soit entre les différentes propositions théoriques scientifiques, il est nécessaire de mettre en débat les apports de chaque approche et proposition et de prendre en compte les différentes définitions proposées telle que celle-ci :

« En psychologie cognitive, la notion de mémoire désigne les états mentaux qui portent de l’information, celle d’apprentissage désignant la transition d’un état mental à un autre. Dans le langage quotidien, le terme de mémoire laisse à penser à une fonction unique d’informations, alors que la recherche en psychologie a mis en évidence une grande variété de représentations mentales et de processus.»[ii] .

La distinction entre l’approche psychique et l’expression sémantique de la trace laissée dans la mémoire est nécessaire à la fois en fonction de l’éthique, de l’épistémologie des sciences, de la déontologie des intervenants qu’ils fassent partie de la parentalité ou des professionnels de l’enseignement l’éducation.

Toute hybridation ne conduirait-elle pas à une manipulation de la personne concernée et à remplacer la richesse des expressions multiples par une pensée unique?



[i] J, Laplanche et J.-B. Pontalis  PUf,  1976, p.491

[ii] Vocabulaire des sciences cognitives, PUF 1998 , pp.256-57

Dernière modification le vendredi, 07 juillet 2023
Jeannel Alain

Professeur honoraire de l'Université de Bordeaux. Producteur-réalisateur. Chercheur associé au Centre Régional Associé au Céreq intégré au Centre Emile Durkheim. Membre du Conseil d’Administration de l’An@é.