Organisé par Armand Derhy, le directeur de la Paris School of Technology and Business, le duel avait pour but d’opposer l’homme et la machine, dans la continuité des inquiétudes qu’ont engendrées les intelligences artificielles toujours plus présentes dans la vie quotidienne.
C’est sur le sujet “Le bonheur est-il affaire de raison ?” que les deux opposants se sont affrontés. L’IA avait préalablement été configurée pendant des semaines par les experts Mahdi Zargayouna et Frédéric Guez, qui s’étaient chargés de trouver les “prompts” (les requêtes) idéaux pour s’approcher du style d’écriture du philosophe. (1)
L’être humain n’est pas encore dépassé par la machine. (2)
C’est la conclusion du duel qui a eu lieu entre le philosophe Raphaël Enthoven et l’intelligence artificielle (IA) ChatGPT.
Le directeur de Paris School of Technology and Business et organisateur de l’événement, Armand Derhy, s’est dit inspiré par une vidéo de Monsieur Phi.
« Pourquoi s’entraîner dur à faire en quatre heures ce qu’une machine fait bien mieux en une minute ? », interroge ce dernier dans une vidéo YouTube de vulgarisation philosophique. De ce duel, il ressort « deux bonnes nouvelles, selon le chef d’établissement. L’homme bat toujours la machine. Et la machine arrive à avoir plus de la moyenne. »
Des semaines d’entraînement de l’IA
Plus efficace que les lycéens, qui disposaient de quatre heures pour composer, le philosophe a terminé l’épreuve en 1h15. L’IA, quant à elle, n’a pas eu besoin de plus de dix minutes. Il faut dire que le travail avait été prémâché par deux experts du domaine, Mahdi Zargayouna et Frédéric Guez. « Depuis plusieurs semaines, on entraîne ChatGPT en lui posant des questions de philo et en lui demandant d’imiter le style de Raphaël Enthoven », explique le premier.
L'IA générative et l'aube d'une nouvelle ère pour l'enseignement : pourquoi il faut s'adapter maintenant
C'est ce que proposent Mahdi ZARGAYOUNA, chercheur en IA et développement durable, Université Gustave Eiffel. Responsable du Master Systèmes Intelligents & Applications (Université Gustave Eiffel), et des Mastères IA & Business Transformation, et Data Science In Business (Paris School of Technology & Business) et Armand DERHY, docteur de gestion, directeur de la Paris School of Technology & Business
I. L’IA générative : dernier maillon de la chaine des technologies révolutionnaires
L'Histoire nous enseigne que chaque technologie de rupture s'est heurtée à une résistance initiale. Des arguments philosophiques de Socrate contre l'écriture aux réticences des Ottomans devant l'imprimerie, du scepticisme des établissements scolaires vis-à-vis de Google et Wikipedia à la méfiance générale face aux smartphones, l'opposition à l'innovation est une constante.
Par ailleurs, il faut bien avouer que ces mêmes technologies ont de tout temps contribué à la réduction des compétences spécifiques. L'émergence de la calculatrice a diminué la nécessité d'un calcul mental aigu ; l'avènement de l'imprimerie a effacé le métier de copiste ; et l'essor de l'ordinateur a condamné le travail de dactylographie. En parallèle, elles ont également conduit à une redistribution des emplois. À titre d'exemple, la révolution industrielle a transformé les agriculteurs, majoritaires, en minorité dans la population active.
L'intelligence artificielle générative est le dernier maillon de cette chaîne des technologies révolutionnaires, avec ses avantages fascinants et ses inconvénients effrayants. Des outils tels que ChatGPT permettent de générer du texte cohérent et pertinent, ouvrant de nouvelles perspectives en rédaction assistée et en traduction automatique. Nous l’avons d’ailleurs expérimenté lors du match que nous avons organisé à la Paris School of Technology & Business le 14 juin 2023, entre Raphaël Enthoven et ChatGPT, portant sur l’examen du bac de philosophie. DeepArt de son côté transforme des photos ordinaires en œuvres d'art inspirées de différents styles artistiques, tandis que DALL-E et Midjourney créent des illustrations fascinantes à partir de simples descriptions textuelles. Blackbox aide les programmeurs à coder plus vite et mieux, avec l'autocomplétion du code dans plus de 20 langages de programmation. Les plateformes populaires telles que Adobe Photoshop, Grammarly, Wordpress, et d’autres intègrent désormais des extensions avec de l’IA générative. Et on n’en est qu’au début de la révolution.
II. L'IA générative : un facteur de changement incontournable pour le monde du travail
Malgré son caractère assez récent, l'IA générative est déjà en train de redéfinir l'emploi. ChatGPT, développé par OpenAI, trouve un usage immédiat dans des domaines allant des cabinets d'avocats aux agences de relations publiques, engendrant de potentielles économies substantielles en remplaçant certains emplois. Selon une étude de Goldman Sachs, ces outils pourraient assumer jusqu'à 25% de la charge de travail aux États-Unis et en Europe. Une autre recherche, menée par l'université de Pennsylvanie et Open Research, révèle que près de 80% de la main-d'œuvre pourrait voir au moins 10% de ses tâches modifiées par l'introduction d'outils comme ChatGPT.
Cela pourrait toucher un large éventail de métiers, y compris les traitements de données fiscales, le développement d'applications informatiques, les tâches administratives dans les cabinets d'avocats, la comptabilité, l'analyse de marché, la conception graphique, la rédaction de contenu standardisé, l'assistance clientèle téléphonique, la traduction spécialisée, et bien d'autres encore. Par ailleurs, il est probable que l'IA générative crée de nouvelles opportunités d'emploi, bien que leur nature reste encore incertaine. Face à ce contexte, des propositions avaient émergé, comme celle de Bill Gates, suggérant la mise en place d'une taxe sur les robots pour financer la reconversion des travailleurs affectés.
III. l'éducation face à l'impératif de l'IA générative
Conscientes de ces mutations, les universités commencent à réagir, mais fébrilement et en ordre dispersé. L'Imperial College London et l'Université de Cambridge avaient dans un premier temps mis en garde contre l'utilisation de ChatGPT pour tricher, arguant que si cet outil peut fournir des réponses rapides, il n'encourage pas le développement de la pensée critique et des compétences en résolution de problèmes. L’Imperial College a depuis mis en place un groupe de travail pour affiner sa position. Pourtant, il est urgent et crucial de repenser nos méthodes d’enseignement et d'évaluation pour tenir compte de ces nouveaux outils. Les examens traditionnels, par exemple, pourraient être remplacés par des évaluations basées sur des projets, associées à des soutenances orales, qui nécessitent une réflexion plus approfondie et une application pratique des connaissances. De plus, les enseignants pourraient utiliser ChatGPT comme un outil pour stimuler la discussion en classe, plutôt que comme une source de réponses.
Malgré cette fébrilité apparente, une enquête de la Walton Family Foundation a révélé que plus de la moitié des enseignants utilisent déjà ChatGPT, 10% d'entre eux tous les jours, mais seulement un tiers des élèves.
Ces chiffres montrent que ChatGPT est en train de devenir un outil pédagogique couramment utilisé, malgré les critiques. Il est indéniable qu’il offre des avantages significatifs. Par exemple, il peut aider à personnaliser l'apprentissage. Des applications comme Quizlet ont intégré ChatGPT pour créer des documents d'apprentissage adaptés aux besoins de chaque élève. Cette fonctionnalité, appelée Q-Chat, pourrait faire que les enseignements sur mesure deviennent la norme dans l'éducation. De plus, ChatGPT est utilisé par certains enseignants pour procéder aux corrections de copies, programmé pour apporter les annotations sur le fond et la forme utile aux étudiants. Tâche habituellement manuelle et tellement chronophage. Ce temps gagné pourrait être mis à profit par les enseignants pour accompagner les apprenants dans l’acquisition des compétences du futur telles que présentées par l’OCDE : créativité, flexibilité, curiosité, communication, empathie, conscience de soi et respect d'autrui.
Il est essentiel de fournir aux enseignants les ressources nécessaires pour comprendre et utiliser efficacement les outils d’IA génératives.
Des formations et des ateliers devraient être organisés en urgence pour aider les enseignants à les intégrer dans leur pédagogie. De plus, des lignes directrices claires sur l'utilisation éthique de ces outils pourraient aider à prévenir la tricherie et à encourager l'apprentissage authentique. Enfin, il est crucial de rechercher et évaluer continuellement l’impact de l’IA générative sur l'éducation. Les études futures pourraient se concentrer sur l'efficacité de ces outils dans différents contextes d'apprentissage et sur les meilleures pratiques pour leur utilisation.
Conclusion : appel à l'adaptation et à l'innovation
L'enseignement est à un carrefour.
L'intégration efficace de l'IA générative est un défi qui requiert des ressources, de la créativité et un engagement collectif de la communauté éducative. Pour éviter de rater le coche de l'IA générative comme cela a été le cas lors de la pandémie de Covid-19, il est indispensable que l'éducation évolue pour préparer les emplois de demain. Le monde de l’entreprise n’a pas attendu pour adopter ces outils, il ne faut pas que le gap entre l’enseignement et l’emploi continue de se creuser. Les outils d'IA générative offrent un potentiel de productivité énorme lorsqu'ils sont utilisés par les experts dans leur domaine, comme le font les auteurs de cet article.
Comme l'a si bien dit Socrate, « Je ne peux rien enseigner à personne, je peux seulement les faire penser ». C'est là que réside le défi de l’IA générative dans l’éducation. Il peut fournir des réponses, mais il ne peut pas enseigner la pensée critique, une compétence essentielle dans l'éducation. L’IA générative est un outil puissant qui a le potentiel de transformer l'éducation. Mais comme pour tout outil, son succès dépend de la manière dont nous l'utilisons. Avec une approche réfléchie et collaborative, nous pouvons faire des outils d’IA générative un allié précieux dans l'éducation du 21ème siècle. S'adapter n'est pas seulement nécessaire, c'est une opportunité à saisir. Parce que si l'Histoire nous enseigne une chose, c'est que ceux qui embrassent le changement prospèrent. Et ceux qui s'y opposent, le subissent.
Mahdi ZARGAYOUNA, chercheur en IA et développement durable, Université Gustave Eiffel. Responsable du Master Systèmes Intelligents & Applications (Université Gustave Eiffel), et des Mastères IA & Business Transformation, et Data Science In Business (Paris School of Technology & Business)
Armand DERHY, docteur de gestion, directeur de la Paris School of Technology & Business
(2) https://www.20minutes.fr/paris/4041337-20230614-paris-raphael-enthoven-remporte-duel-contre-chatgpt
Dernière modification le mercredi, 21 juin 2023
