L’école de la massification n’en est encore, pourtant, qu’à ses premiers pas.
Mais déjà les aspirations à une plus grande justice éducative trouvent leurs partisans. L’idée qu’il faut inclure plutôt que sélectionner, accompagner et non exclure la difficulté scolaire a trouvé son chemin dans ces années d’effervescence et de bouillonnement intellectuel – ou plutôt elle s’est frayée un chemin dans les obstacles et les résistances multiples, intellectuelles et surtout politiques.
La position du pouvoir sur ce sujet-là était alors claire : la massification est un phénomène subi, inutilement coûteux et contraire à l’intérêt du pays comme à la réalité économique de ses besoins.
Jacques Narbonne, chargé de mission à l’Elysée auprès du général De Gaulle de 1951 à 1967, indique en effet la ligne directrice dans une note adressée au président :
« dans les lycées viennent s’inscrire en masse des élèves de niveau moyen mal adaptés à cet enseignement, car l’enseignement secondaire classique est, par essence, incomplet. L’activité intellectuelle s’y exerce sous une forme libre et gratuite. (…) Par sa conception même, la formation secondaire classique introduit à l’enseignement supérieur qui, lui, préparera à l’exercice d’un métier. Aussi est-il dénué de sens d’en faire un instrument de préparation à la vie pour la masse des élèves moyens »[1].
Des élèves « inadaptés » au système éducatif n’y ont tout simplement par leur place. Et il est inutile de les former puisqu’ils ne suivront pas quoi qu’il en soit dans l’enseignement supérieur : qui seul prépare à un métier qualifié. Le raisonnement est donc clair : la massification des publics du secondaire génère un surcoût improductif qu’il convient, non d’accompagner, mais d’enrayer.
La conception dominante d’une école faite pour sélectionner les meilleurs et les former à l’excellence du supérieur ne peut se dire de manière plus explicite. Pourtant, au sein même du ministère, des voies nouvelles et des arguments inédits s’expriment.
Ainsi, l’inspecteur général Jean Allard et conseiller du ministre de l’époque indique que :
« les méthodes adaptées à l’heureuse formation d’un petit nombre de privilégiés ne valent plus pour la masse qui envahit les établissements d’enseignement secondaire. Désormais, la plupart des enfants qui fréquentent nos lycées ne trouvent plus au sein de leur famille les conditions qui favorisaient naguère le travail et les progrès »[2].
La problématique de l’adaptation tend ici à s’inverser : l’élève n’est plus renvoyé à sa responsabilité personnelle et à sa faute – le statut scolaire et moral du « mauvais » élève – ; mais ce sont bien les méthodes de l’école qui s’avèrent inadaptées à lui.
Ce renversement de perspective souligne bien une révolution des points de vue.
Il correspond par ailleurs à l’émergence de théories nouvelles en sciences sociales qui feront le lit d’une conception éthique sur l’école.
Pour Bourdieu et Passeron en effet : « le professeur qui oppose l’élève « brillant » ou « doué » à l’élève « sérieux » ne juge, en nombre de cas, rien autre chose que le rapport à la culture auquel l’un et l’autre sont socialement promis par leur naissance »[3].
La charge de la responsabilité dévie ainsi des élèves vers la société et les inégalités qu’elle produit.
L’école reconduit sans le dire un ordre établi par la naissance, un « héritage » que l’on se transmet sur la base d’un « capital symbolique » : des savoirs et des savoir-être, des manières de parler et de se positionner en société qui signent une appartenance de classe et que l’école érige en compétences attendues. Les performances scolaires sont alors autant de manières d’extérioriser des compétences socio-culturelles acquises dans le contexte familial : les habitus. Et sous couvert d’une idéologie du « don », les hiérarchies sociales se reconduisent donc de génération en génération, confortées par le label du mérite.
Cette théorie se veut donc être une critique radicale de la méritocratie scolaire, de cet élitisme républicain auquel on prête la valeur cardinale de promouvoir ceux qui prouvent et éprouvent leurs qualités personnelles sur la base d’une parfaite égalité des chances. Mais cette égalité est un leurre, une « idéologie » au sens marxiste du terme : un véritable fétichisme de l’idée par lequel on abuserait des classes exploitées en justifiant à leurs yeux les fondements de leur exploitation. Il n’y a pas d’égalité là où les compétences scolaires sanctionnent des appartenances sociales acquises, non à l’école, mais dans les familles.
Le verrou idéologique de la méritocratie scolaire est donc mis à mal par ces analyses sociologiques qui possèdent pour elles, en plus des statistiques et des données chiffrées qui sont en elles-mêmes incontestables, une forme d’évidence intuitive. Oui, le mérite scolaire cache une profonde iniquité de traitements comme de situations des élèves. Oui, tous n’ont pas les mêmes chances de départ. Et c’est l’éthique éducative de ce républicanisme peu républicain qui, au final, s’effondre sur sa base. Mais les arguments ne convainquent pourtant pas majoritairement ceux qui ne veulent pas les entendre. Et ils sont beaucoup chez les enseignants à être sur cette position : sûrs de la valeur de leurs exigences, formés à la culture de la responsabilité personnelle des élèves et du sens de l’effort qui explique tout – qui résume toute compréhension acceptable des différences de parcours chez les élèves.
La recherche pédagogique nait dans ces mêmes années : à l’initiative, il faut le souligner, de ce même Jacques Narbonne qui propose en 1963 de rechercher « de nouvelles structures de la vie scolaire » pour lutter contre le surmenage dont sont victimes les élèves. Il crée à cette occasion un groupe de travail qui fera cheminer l’idée d’une réflexion annexe au service des questions éducatives.
En 1966, le ministère ouvre les premières licences et maîtrise en « sciences de l’éducation ».
La revue française de pédagogie est lancée en 1967 par Legrand. Une authentique démarche d’analyse et de réflexion autour de l’éducation se met donc en place au travers de différentes instances et porteuses de renouveau.
Un événement retentissant, à la veille de mai 68, marquera une étape dans la maturation des idées : c’est le colloque d’Amiens organisé par l’AEERS le 15 mars 1967[4].
Ce colloque « a fait date par ses propositions sur la formation permanente des maîtres, les stages en responsabilité et le lien nécessaire entre formation et recherche, avec, dans chaque académie, un centre universitaire de formation et de recherche en éducation et des centres de formation continue dans les départements. La déclaration finale du colloque reprend les grands thèmes de la réforme : « la conception d’une conception exclusivement intellectualiste et intellectuelle de la culture », la transformation nécessaire de la relation pédagogique, le travail d’équipe et l’individualisation de l’enseignement »[5].
Cet événement sans précédent par son importance et par l’ampleur des idées exprimées fut conclu par le ministre de l’éducation lui-même, Alain Peyrefitte : soulignant ainsi l’accord de principe du gouvernement à ces nouvelles conceptions de l’école. Dans un conseil des ministres de février 68, il avait indiqué son objectif : s’occuper du contenu de l’organisation scolaire. Il installe à cet effet une « commission de la rénovation de la pédagogie » chargée d’impulser ces changements sur la base de quelques principes : la transformation du rapport maître-élève, le travail en équipe des maîtres, l’allègement et l’actualisation des programmes. Une phase d’expérimentation de ces innovations était prévue pour la rentrée suivante dans des collèges et des écoles de chaque académie : pas plus de 25 élèves par classe, pas de redoublement ni de compositions et de classement des élèves.
Mais ces idées nouvelles se heurtent au sein du gouvernement aux réserves de Pompidou notamment, alors premier ministre : « c’est plus de travail pour les maîtres et moins pour les élèves ». Les évènements de mai 68 mettront un terme inattendu à ces projets. Le ministre Edgar Faure qui remplace Peyrefitte met en place un certain nombre de mesures – dont certaines qu’il reprend de son prédécesseur : suppression des compositions et des classements, remplacement des notations par un système de notation en lettres (de A à E), suppression du latin en 6ème et 5ème. Mais l’introduction des mathématiques modernes dans les nouveaux programmes suscite de fortes réactions et désarçonne les enseignants.
Sur le plan des idées, les points de vue se cristallisent et se raidissent : le sujet passe d’un champ strictement pédagogique à un registre politique.
Des intellectuels comme Bourdieu ou Althusser influencent les prises de position en dénonçant une école de classe, un système éducatif à la solde d’une économie capitaliste.
Et les projets de réforme sont intégrés à cette critique radicale qui voit en eux une nouvelle tentative de reconduire par d’autres voies la logique de la reproduction. Des théories plus « innovantes » encore apparaissent en contrepoint de ces idées insuffisamment abouties – encore trop marquées par un cadre institutionnel et autoritaire. C’est par exemple l’essai de Neil qui connut un grand retentissement en présentant sa propre expérience d’école nouvelle, sur fond d’utopie collectiviste. On y dépeint des élèves totalement libres, vivant ensemble dans un environnement rural, choisissant chaque jour leurs activités et accompagnés par des adultes qui n’exercent sur eux aucune pression d’autorité.
C’est également la théorie de l’anarchiste Ivan Illich qui entend « désinstitutionnaliser la société et déscolariser l’école ». Mais cette effervescence a pour effet de scinder les points de vue chez les professionnels de l’éducation qui, au final, vont rester majoritairement sur des positions conservatrices.
Des questions pratiques génèrent alors des polémiques dans les établissements et les salles des professeurs : faut-il enlever les estrades dans les salles de cours ? Faut-il agencer les tables en rang ou en rond ? Faut-il permettre aux représentants des parents d’élèves d’assister aux conseils de classe ? Ces sujets concrets divisent les enseignants. Et ces divisions se traduisent lors des élections professionnelles de 69 où les deux syndicats qui avaient soutenus mai 68 – le SNES et le SGEN – enregistrent un net recul (respectivement de 10 et 5 points) ; alors que le SNALC progresse en doublant ses voix et qu’un nouveau groupe hostile aux réformes se présente et obtient d’emblée près de 8% des suffrages.
Les enseignants ne sont pas convaincus par ces nouvelles idées pédagogiques. Ils restent majoritairement favorables à la culture de l’élitisme républicain par laquelle ils ont été formés et recrutés. La politisation du débat, la radicalisation des idées et des représentations comme la résistance culturelle des enseignants ont donc eu raison de cette flamme réformiste partie de mai 68. Le feu des origines n’a pas pris : l’embrasement des esprits éducatifs ne s’est pas produit. Et la suite en sera fortement compromise – tant cet échec historique pèsera lourd pour la suite et marquera de son image les tentatives à venir.
La révolution pédagogique par le bas
Depuis cette genèse douloureuse, les tentatives de réforme sur ce sujet furent – on l’a évoqué précédemment – d’une grande timidité : et toujours freinées par une culture dominante arc-boutée sur la méritocratie scolaire.
Entre les objectifs affichés par le ministère et les pratiques en vigueur, entre les valeurs proclamées – à commencer par celle de l’inclusion – et les principes revendiqués par la majorité des acteurs éducatifs, le clivage perdure.
Mais ces forces de blocage laissent cependant s’exprimer, de manière sporadique et hétérogène, des adaptations marginales des pratiques éducatives qui contreviennent ponctuellement à la culture dominante.
Les Programmes Personnalisés de Réussite Educative du secondaire, le tutorat ou les dispositifs d’accompagnement personnalisé sont autant de formulations, timides et très limitées dans leurs effets comme dans leur champ d’application, d’une approche individualisée des besoins. L’article 34, déjà évoqué, de la loi d’orientation de 2005 vise à libérer les initiatives locales dans cette exigence d’ouverture des pratiques aux profils spécifiques. Il est notamment utilisé dans le secondaire pour des aménagements dérogatoires des classes ou du temps scolaire.
Ainsi, des dispositifs locaux regroupent dans une même classe des élèves qui suivent sans difficulté avec d’autres qui sont en situation de décrochage. Pour une partie des cours, les élèves sont en classe commune. Ils sont en revanche séparés pour les cours des disciplines fondamentales et pris en charge en très petits groupes – entre 5 et 10 – par un enseignant qui utilise des méthodes plus adaptées à leurs profils. Dans le même esprit mais selon une modalité différente, un établissement monte une 3ème PPRE qui regroupe les élèves en difficulté du niveau – à très faibles effectifs – qui sont accompagnés de manière là encore spécifique.
Il existe également des dispositifs de classes relais qui s’adressent aux élèves décrocheurs, afin de les délocaliser et de les faire sortir de leur environnement d’échec. L’idée consiste à les intégrer de manière limitée dans le temps dans des classes situées dans un autre établissement où ils sont pris en charge par des équipes particulièrement formées à ces publics : enseignants mais aussi éducateurs police (PJJ) ou gendarmerie (BPDJ). Sur le plan plus proprement pédagogique, certaines équipes ont développé de véritables partenariats avec des intervenants, culturels ou professionnels, qui éveillent autrement la curiosité et l’appétence des élèves par une ouverture concrète sur le monde artistique ou économique.
A l’école primaire, de nombreuses écoles ont mis en place des approches de type Freinet ou Montessori afin de rendre les élèves plus actifs et autonomes, de décloisonner la relation pédagogique avec l’enseignant en construisant des relations plus horizontales entre pairs. Les travaux en groupes collaboratifs sont encouragés, de même que les activités qui libèrent l’initiative et la curiosité. Les dispositifs de tutorat, entre adultes et élèves mais également entre deux élèves, se développent également : avec l’objectif de susciter une motivation accrue du jeune à travers une relation de confiance et de proximité.
D’un point de vue strictement pédagogique, les décloisonnements se multiplient et se diversifient dans leurs modalités d’application. Les groupes de compétences en langues instaurent ainsi une rupture avec la classe et permettent de remédier au problème central de l’hétérogénéité des niveaux. Les cours en ilots rendent également compte, dans diverses disciplines, de cette mise en activité des élèves par eux-mêmes : plaçant l’enseignant dans la position de personne ressource pour des analyses collectives : avec pour support essentiel l’outil numérique et l’usage de logiciels éducatifs.
Les tentatives de mise en place d’enseignements interdisciplinaires, supposés être davantage inducteurs de sens pour les élèves, ont eu des destins variés. Les Itinéraires de Découverte – IDD – au collège sont rapidement tombés en désuétude : faute dans la plupart des situations d’un authentique cadrage administratif et d’un investissement des enseignants. Leurs homologues du lycée – les travaux personnels encadrés de première ou TPE – ont été quant à eux plus efficaces et convaincants : preuve qu’une certaine maturité des élèves associée à une conviction accrue des équipes permet d’obtenir des résultats sur ce sujet.
Mais la promesse incontestablement la plus forte d’un changement pédagogique majeur reste celle de l’école du numérique.
Le serpent de mer du numérique
Depuis des décennies déjà, l’école du numérique s’annonce comme la mère de toutes les révolutions pédagogiques à venir.
A la fois outil et matrice de multiples innovations, le numérique rend possible ce qui sans lui s’annonce inaccessible : l’autonomie accrue des élèves, la mise en activité et le travail de groupe, l’accès infini à des sources d’information, l’usage de nombreux logiciels didactiques… Les technologies de l’information et de la communication – les TICE – sont incontestablement porteuses de lendemains prometteurs et de capacités inédites d’apprentissage pour des classes connectées et des enseignants positionnés comme des accompagnateurs davantage que comme des maîtres.
On connait depuis longtemps déjà l’architecture de ces nouvelles classes connectées : des élèves utilisant des tablettes ou des ordinateurs portables, un enseignant disposant d’un accès « administrateur » sur ces postes, un usage du numérique ou un accès en ligne (qui peut être hors connexion) de données diverses (logiciels pédagogiques, manuels scolaires, bases de données et ressources documentaires…). Un, voire plusieurs tableaux interactifs, lui permet ensuite de synthétiser et de partager des connaissances en recentrant ponctuellement l’attention des élèves autour de bilans et de compte-rendu qui peuvent être faits et partagés par les élèves eux-mêmes.
A l’issue de la séquence, les données mises en commun seront déposées sur un espace numérique de travail – webclasseur ou autre « cloud » – afin d’être retravaillées par chacun. L’enseignant aura également le loisir d’y adjoindre tout support de cours ou d’exercice qu’il juge utile de partager avec sa classe. Les élèves sont ainsi libérés de la prise de note, les contenus enseignés sont mis à disposition et mobilisables par eux-mêmes, le professeur n’est plus dans une posture descendante et verticale mais dans l’horizontalité d’une assistance pédagogique…
La première des vertus d’un tel dispositif est celle de mobiliser la motivation et la mise en activité des élèves qui sont ainsi acteurs de leurs séquences de formation. La seconde qualité réside dans une optimisation et une démultiplication des savoirs disponibles pour une seule séquence de cours : non plus réduite à ce que l’enseignant est à même d’apporter à ses élèves, mais ouverte sur une banque quasi infinie de données en ligne ou intégrées. Le troisième apport de ces classes connectées – conséquence directe des deux autres – repose sur la réalisation concrète et authentique de la différenciation pédagogique des enseignements : chaque élève, mis en responsabilité et doté de ses propres outils, peut apprendre à son rythme et en faisant un usage personnalisé des procédures mises en place. Le positionnement de l’enseignant, libéré de l’obligation de « faire cours », le rend ainsi matériellement plus disponible pour ceux qui ont le plus de difficultés dans la conduite de leurs séquences – les autres pouvant justement bénéficier d’une plus grande autonomie.
Ces acquis sont connus et suffisamment évidents pour qu’il ne soit pas nécessaire d’en argumenter longuement les bienfaits. La question de la difficile mise en place de cette école du numérique est donc ailleurs : dans les résistances des enseignants à la modification de leurs pratiques, dans le volontarisme insuffisant des rectorats et des collectivités, dans les investissements nécessaires des esprits et des budgets.
Il faut d’abord le souligner : une telle école du numérique induit de fait une révolution pédagogique.
Elle oblige à un repositionnement intégral du professeur qui n’est plus en aplomb de ses classes, en posture « professorale » de savoirs à dispenser : mais davantage en situation d’accompagnement et de conseil. Il s’agit là d’un frein authentique qui va bien au-delà du simple manque de maîtrise de l’outil informatique de la part d’enseignants qui n’ont pas tous été formés. Il est en effet difficile d’imaginer aujourd’hui des personnels encore non usagers de ces technologies.
La résistance tient plus profondément à la posture professionnelle, à la nécessité de réviser en profondeur ses pratiques et à la crainte de perdre ainsi cette posture d’autorité sur les élèves qui est par ailleurs si cruellement mise à mal. Et cette crainte est, d’un certain point de vue, légitime. Il est en effet évident que l’avènement du numérique remet fondamentalement en cause la posture d’autorité de l’enseignant. Mais les changements en cours n’en sont pas moins, pour autant, inévitables, inéluctables. Il n’y a pas grand sens à vouloir s’y opposer et à retarder sur la base de ces arguments l’introduction du numérique à l’école. Oui, le métier d’enseignant est amené à évoluer et à intégrer durablement ces nouvelles modalités éducatives : pour une pratique pédagogique interactive et mieux à même de prendre en compte la diversité des élèves, leur besoin « culturel » de mise en activité et d’autonomie.
Ces freins d’ordre idéologique rencontrent alors des questions plus matérielles liées aux nécessaires investissements en jeu. Les éditeurs de manuels scolaires ont bien entendu tardé à s’adapter à de telles innovations : voyant d’abord en elles une perte conséquente de revenus à long terme. Mais les collectivités également rechignent à investir. L’exemple de la région de Montpellier qui a lancé en 2011 l’opération « l’ordi pour tous » est à cet égard révélateur. Tous les lycéens avaient reçu cette année-là un ordinateur portable. Mais très rapidement l’opération a été un échec : faute d’un usage par les enseignants de cet outil qui était par ailleurs jugé peu performant et « bas de gamme » par nombre d’élèves.
De tels précédents montrent fondamentalement une chose : aucun outil numérique ne sera utile et utilisé convenablement sans l’adhésion préalable des professeurs et sans une formation minimale de chacun à la pédagogie numérique. Les solutions et les procédures de mise en œuvre sont donc bien aujourd’hui sous nos yeux – et ce depuis longtemps. Mais la volonté politique et pédagogique d’impulser ce changement tarde à venir : tant elle heurte de front une culture éducative anachronique, marquée par une conception méritocratique des pratiques descendantes et par la posture d’autorité de l’enseignant.
[1] Note pour le général De Gaulle, 15 avril 1961, cité par Prost, Du changement dans l'école.
[2] Cité par Prost, op. cit.
[3] Bourdieu, Passeron, Les héritiers.
[4] Prost, op. cit.
[5] Prost, op. cit.
Dernière modification le vendredi, 08 février 2019