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Un dispositif éducatif au sein d’un établissement et sa fonction d’information.

 

Pour éviter toute interprétation sur la clôture de l’espace éducatif  où le public scolaire exprime ses rapports aux objets connectés en petits et moyens groupes hétérogènes, les intervenants adultes peuvent être psychiatres, psychologues cliniciens, éducateurs spécialisés, personnels confirmés et formés de l’Education Nationale.

Ils ont adhéré à un code de déontologie. Comme intervenants en milieu scolaire, ils participent régulièrement à des séances de régulation, lieu de débats et d’expression de leur pratique. Ils interviennent en binôme d’origine professionnelle différente. Ils ont tous une pratique de l’animation en un duo réunissant des professionnels de statut différent. Ils ont la compétence d’alterner le rôle d’être engagé dans le vécu du groupe et celui d’être à distance, analysant le vécu du groupe, explicitant les notions, rappelant l’objet d’étude.

Ce temps de libre expression collective au sein de petits groupes ou groupes moyens donne au public scolaire la possibilité d’énoncer les multiples usages, les multiples émotions, les multiples informations, les provocations, les phantasmes, les rêves, les pratiques personnelles et sociales que la pratique des écrans induit.

Pour résumer la finalité développée  précédemment, le public scolaire accède à une perception objective de la réalité sociale dans laquelle il vit avec les objets connectés, il accède à une aptitude cognitive raisonnée, il saisit l’origine de ses états émotifs. En tant que sujet, il peut avec ses acquis vérifier la distance entre une conception pré établie basée sur  des usages, des émotions, des comportements, des influences et une conception plus scientifique en prenant en compte l’observation des faits et leur origine.

Pour transmettre une information vers l’extérieur du groupe d’expression, les intervenants doivent bien connaître les destinataires de l’information ce qui implique qu’ils sachent ce qu’ils peuvent entendre. Cette condition nécessaire concerne l’institution, l’établissement scolaire, les parents du public scolaire et toutes associations concernés mais n’est pas suffisante car les intervenants ne peuvent le faire qu’avec une méthode et une technique d’information

Comment informer l’institution, l’environnement social des élèves et le personnel de l’établissement  de ce temps dont une des caractéristiques est le secret?

Quelle représentation faire de ce temps pour ne pas trahir les paroles, les comportements vécus dans cet espace ?

 

Six éléments peuvent permettre de transmettre des informations sans trahir les paroles dites spontanément :

- L’élaboration d’un texte collectif par les participants leur permet de s’approprier le travail effectué pendant ce temps et d’en proposer s’ils le désirent une représentation destinée à l’extérieur du groupe. La tâche des 2 animateurs[1] est particulièrement délicate car ils doivent prévenir tout risque d’atteinte à des personnes et l’apprécier à l’aune de ce que les destinataires extérieurs, l’administration, la communauté scolaire, les environnements familiaux et sociaux, peuvent entendre.

La liste des sites qui ont fait l’objet de prise de parole renseigne sur les centres d’intérêt et indique aux enseignants ceux qui consultés correspondent à leur discipline.

- Les systèmes de signes verbaux, écrits, visuels, sonores, musicaux cités lors des échanges montrent les registres où le public scolaire est le plus performant.

Le relevé des notions abordées implicitement et explicitement  concerne  l’ensemble de l’environnement éducatif et indique aux  enseignants les compétences cognitives correspondant à leur discipline. .

Cette présentation factuelle  prend sens pour les destinataires quand elle est  accompagnée de deux comptes rendus analytiques, l’un sur les processus et types de verbalisation utilisés par les participants, l’autre un cahier documentaire retraçant la vie du groupe vue par les animateurs.

- Le cahier documentaire des animateurs est l’expression de leur vécu pendant la séance. Il est le récit de la méthode et de sa pratique. De  nombreuses propositions de méthodes issues de l’ethnographie sont disponibles, les processus de verbalisation ont une place particulière dans la communication et de son emploi. Les types de verbalisation[2]  de l’information résultent du repérage des choix faits par l’auteur pour énoncer sa réaction au message reçu. En distinguant les interprétations proposées et les éléments de l’information citée, la mise en relation des processus de sémiotisation et de sémantisation[3] avec l’étude du contenu des textes montre qu’il existe trois possibilités qui correspondent à des processus de verbalisation  différents.

Type 1 : Le texte contient l’énoncé d’un fait identifié et s’arrête là : « je vois une table, il y a une femme, un enfant se promène…. »

Le récepteur est confronté à des éléments, à une nomination d’éléments sans aucune référence à leur interprétation.

La question se pose de savoir : ces éléments existent-ils sur l’écran ou résultent-ils d’une interprétation?

Au cours des débats avec les auteurs, deux processus de verbalisation sont mis en évidence.

Soit, le processus s’arrête au sens littéral : nous pouvons dire que l’auteur met en évidence son détachement par rapport au sens que peuvent avoir les éléments du message au moment de la rédaction ou de l’énoncé oral. Le processus de verbalisation vise à se détacher de l’interprétation. L’énoncé correspond à un contenu factuel.

Soit l’énoncé n’informe sur aucun élément du contenu littéral des images et des sons.  Aucun lien n’apparait entre la description littérale du message et la verbalisation : l’auteur traduit sa volonté ou son incapacité d’exprimer ce lien. Il utilise un processus de verbalisation de remplacement

Ces deux processus nécessitent le dialogue pour expliciter la genèse de ces choix. Ils mettent en évidence une zone de résistance à communiquer, comportement qui demande aux animateurs une approche psychologique du débat qui s’organiserait entre  l’émetteur, les membres du groupe et eux-mêmes.

Type 2 : Le texte ne fait apparaître aucun élément ou contenu du texte, des images et des sons, il exprime une idée, un sentiment, une impression.

Il y a l’absence de référence au contenu littéral des images et des sons, l’émetteur nous fait part d’un vécu qu’il reconstruit pour livrer une verbalisation qui appartient à une représentation décontextualisée des images et des sons.

Dans ce type, l’auteur nous fait part de ce que les images et les sons ont évoqué pour lui et ne trouve pas nécessaire de citer les éléments représentés qui provoquent son interprétation.

La question est de connaitre le type de processus de verbalisation mis en œuvre. Nous avons un spectre avec deux extrêmes.

Soit, l’auteur construit un discours  que lui inspirent le  texte, les images et les sons, mais il ne trouve pas utile d’informer sur le contenu du film.

L’auteur souhaite faire part de sa perception mais il ne juge pas utile de rendre compte des liens entre son vécu et les éléments qui construisent un récit avec  des textes, des images et des sons.  Il ne juge pas utile de rendre compte du contenu du message parce que pendant la projection il l’a intériorisé. ; il n’exprime que le sens qu’il leur a donné. Cette verbalisation élimine contenu sémantique,  seulement le signifié est communiqué.  C’est un processus elliptique.

Soit, l’auteur sensible à un élément du document souhaite faire part du sentiment né à cet instant sans indiquer un lien avec le récit proposé. Il utilise un processus pour substituer un modèle qui appartient à son bagage linguistique et littéraire à l’expression de son interprétation du document. Ce processus correspond à l’emprunt d’un modèle dans son fonds culturel.

Dans les deux situations, les échanges avec l’animateur et les membres du groupe apportent des informations sur les modèles culturels dont dispose l’auteur et lui font découvrir les liens implicites avec le thème proposé et des éléments du message émis ou reçu.

Type 3 : L’auteur cite le signifiant et le signifié : des éléments de l’émission sont cités et mis en relation avec l’interprétation qui leur est donnée. Ce processus rédactionnel propose un discours contenant des références au message : c’est un processus de verbalisation objectif.

Le caractère rédactionnel de cette verbalisation sert parfois à masquer les émotions vécues au cours de la réception. Dans ce cas, la question qui se pose est d’identifier le rapport qui existe entre cette restitution et le vécu pendant le visionnement et l’écoute. Cette question ne peut avoir de réponse que dans un entretien psychologique ; elle conduirait son auteur vers une explicitation des raisons qui l’ont conduit à substituer un discours rédactionnel à l’exposé de son vécu. Dans le cas où il y a substitution, le processus de verbalisation cherche à masquer ses propres sentiments, la verbalisation objective sert de déni à une vérité à cacher: le processus de verbalisation de façade est la méthode employée pour éviter de se dévoiler.

Le relevé des processus de verbalisation rend compte de leur variété dans un groupe. Il  indique les compétences expressives disponibles, en cela il est un indicateur utile pour l’enseignant en indiquant les aptitudes expressives avec leur référence et leur logique.

La confrontation des 4 éléments décrits permet de transmettre une représentation transmissible aux différents acteurs concernés sans trahir les participants.

Plus particulièrement dans une communauté scolaire, cette représentation permet une transmission aux enseignants pour qu’ils puissent construire des programmes didactiques propres à leur discipline en connaissance des pratiques des écrans de leur public[4], elle est aussi une ressource documentaire pour l’ensemble du personnel.

Mais pourquoi donc faire évoluer le design organisationnel de l’établissement scolaire ?

 

Ce design modifie l’organisation de la communauté scolaire et introduit deux modifications dans une institution traditionnelle.

Un espace d’échanges collectifs non contrôlables et non évaluables par l’institution est créé à côté des professions liées au secret professionnel dans une relation individuelle, le personnel médical et médico-social, et les assistants de service social intervenant dans le milieu scolaire. Une ligne budgétaire est créée pour donner les ressources nécessaires au bon fonctionnement des interventions. Une catégorie de professionnel tenu au secret professionnel formé au travail de groupe avec les jeunes, les pré-adolescents et les adolescents participe à la vie de l’établissement scolaire aux côtes d’autres intervenants liés au secret professionnel dans une relation individuelle, le personnel médical et médico-social, et les assistants du service social.

Accepter l’entrée des objets personnels connectés dans l’établissement scolaire, c’est à la fois en réglementer les utilisations et donner les moyens pour que leurs usages privés concourent à une éducation émancipatrice du public scolaire et à l’enseignement.

En refuser l’entrée peut servir de métaphore à une conception de l’établissement scolaire comme un espace où l’enfant, le pré-adolescent, l’adolescent pénètrent en laissant à la porte toute leur personnalité et leur culture ;  Ils seraient une entité administrative vidée de toute individualité, entité abstraite détachée de toute antériorité disponible pour acquérir des connaissances institutionnelles qui correspondent à un modèle imposé par une instance supérieure.

L’Histoire et le monde contemporain nous enseignent le modèle politique auquel se réfère cette conception du monde scolaire qui conduit à l’homme stéréotypé, machine à exécuter[5].

En accepter l’entrée, c’est promouvoir un établissement scolaire correspondant à une finalité démocratique et émancipatrice, créatrice du lien social en reconnaissant l’environnement du public scolarisé  :

« A l’époque de la pensée démocratique et compréhensive qui reconnaît la différence au sens d’Albert Jacquard, la pensée complexe d’Edgard Morin, l’ethno psychologie de  Georges Devereux et Toby Nathan, l’éducation consiste  en l’appréhension par le sujet de sa propre personnalité, de ses comportements, de ses propres normes et de celles de sa cellule d’appartenance. L’éducation met en synergie les caractères singuliers de chacun avec les singularités des autres, les comportements de son environnement social,  les normes de la construction politique qui structurent la société dans laquelle il vit. »[6]

Alain Jeannel


[1] Nathan Tobie, Ifrah Albert, « Ethnopsychanalyse de groupe : vécu et théorie, papier gris CNPD Crdp Bordeaux, 1975.

[2] Jeannel Alain, Avèque Odile, Processus de verbalisation des informations audio-visuelles - Approche analytique, CNDP Crdp de Bordeaux , Collection Messages, 1977.

[3] Bordon Emmanuelle, L’interprétation des pictogrammes-Approche interactionnelle d’une sémiotique, L’Harmattan, 2004.

[4] Puyou Jacques, « Le numérique en éducation par Thierry Karsenti », Educavox, janvier 2018

[5] Arendt Anna, Eichman à Jerusalem : Rapport sur la banalité du mal, Edition française Gallimard 1966, Coll. Folio 1991.

[6] Jeannel Alain, « Etre éducateur/être enseignant », Educavox février 2018.


Dernière modification le mercredi, 14 mars 2018
Jeannel Alain

Professeur honoraire de l'Université de Bordeaux. Producteur-réalisateur. Chercheur associé au Centre Régional Associé au Céreq intégré au Centre Emile Durkheim. Membre du Conseil d’Administration de l’An@é.