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Article publié sur le site : https://www.reseau-canope.fr/agence-des-usages/impact-de-la-ludification-des-sequences-de-cours-sur-la-motivation.html Auteure : Élise Lavoué, Université de Lyon, Université Jean-Moulin Lyon 3, iaelyon school of Management, CNRS, LIRIS, FRANCE.

La ludification est généralement définie comme l’usage d’éléments de design de jeu dans des contextes de non-jeu (Deterding, 2011). Ces éléments peuvent prendre la forme de badges, de tableaux de score, de barre de progression, d’éléments de collaboration ou encore de chronomètre (Lavoué et al., 2019).

Chaque élément est conçu de manière à proposer des mécaniques différentes : là où le chronomètre incitera les élèves à répondre rapidement, le tableau de score les mettra en position de compétition, et les scores ou la barre de progression présenteront une vue réflexive de l’avancée dans la tâche.

Cette approche n’est pas récente puisque l’usage de « bons points » à l’école existe depuis de très nombreuses années. Cependant, son usage dans les environnements numériques d’apprentissage est apparu il y a une dizaine d’année, afin d’augmenter la motivation et l’engagement des élèves à réaliser des tâches d’apprentissage (Hamari et al., 2014), le plus souvent des tâches répétitives telles que des réponses à des quiz (Monterrat et al., 2017). La ludification a-t-elle toujours un effet positif sur la motivation ? Quelles en sont les raisons et comment concevoir des éléments de ludification réellement motivants ?

Dans ce présent article, nous présentons un ensemble d’études, puis développons le socle théorique permettant d’appréhender plus finement la conception des éléments de ludification et enfin une analyse plus détaillée de résultats obtenus sur la motivation, tout en soulignant l’aspect dynamique de l’impact de la ludification sur les élèves.

Des effets positifs sur la motivation et les performances des élèves

Certaines études mettent en avant des effets positifs de la ludification sur la motivation et la performance des élèves.

Par exemple, da Rocha Seixasa et al. (2016) ont conduit une étude sur l’efficacité de deux plateformes (ClassDojo[1] et ClassBadges[2]) proposant des badges sur l’engagement de 61 élèves âgés de 13 à 14 ans en cours de géométrie.

Les résultats ont montré que les élèves qui ont reçu plus de récompenses de la part de l'enseignant ont obtenu des performances moyennes significativement meilleures. De la même manière, Landers et al. (2017) ont étudié l’effet de l’usage de tableaux de scores sur une tâche de brainstorming ludifiée, avec des étudiants en premier cycle à l’université répartis au hasard dans 4 groupes auxquels ont été fixés chacun un niveau d'objectifs (« faites de votre mieux », « faciles », « difficiles » et « impossibles »), un tableau de scores représentant leur classement dans la classe.

La présence de ce tableau de scores a permis de motiver les étudiants à atteindre les niveaux de performance les plus élevés, même sans que cela ne leur ait été imposé.

[2]classbadge.com

Des résultats plus mitigés

En contradiction avec ces résultats, Kyewski et Krämer (2018) ont montré que les badges ont moins d'impact sur la motivation et les performances qu'on ne le pense généralement.

Leur étude évalue l’impact de l’intégration de badges à un environnement d’apprentissage en ligne sur la motivation et les performances d’apprenants de 18 à 39 ans sur 5 semaines. Les apprenants ont été assignés au hasard à 3 conditions différentes (pas de badges, badges visibles par les pairs, badges visibles uniquement par les apprenants eux-mêmes). Indépendamment de la condition, leur motivation intrinsèque a diminué avec le temps.

Dans le même sens, Reyssier et al. (2022), par l’étude de l'effet d'un environnement d'apprentissage des mathématique ludifié sur la motivation et les comportements motivés de 258 élèves de classe de 4e, ont montré que des éléments ludiques assignés de manière aléatoire démotivent généralement les apprenants. Plus particulièrement, une analyse approfondie a révélé que la ludification a un impact positif sur les apprenants les moins motivés initialement à faire des mathématiques.

Une conception reposant sur la théorie de l'auto-détermination

La conception des éléments ludiques, quel que soit le niveau scolaire ou universitaire, repose bien souvent sur la théorie de l’auto-détermination (TAD) qui suggère que toute personne a 3 besoins psychologiques fondamentaux : le besoin de compétence, le besoin d’autonomie et le besoin de relations sociales, avec un sentiment d’appartenance avec d’autres individus (Deci & Ryan, 2000).

Selon cette théorie, nous pouvons considérer que la motivation des élèves varie selon si leurs besoins fondamentaux sont satisfaits ou non, selon un continuum de motivation qui va de l’amotivation à la motivation extrinsèque, jusqu’à une motivation intrinsèque (Deci & Ryan, 1985, Ryan & Deci, 2000).

Dans ce contexte, l’amotivation correspond à une non-volonté de continuer à réaliser l’activité d’apprentissage. La motivation extrinsèque, quant à elle, n’est pas liée directement à la nature de l’activité elle-même, mais pour en retirer quelque chose de plaisant, ou afin d’éviter quelque chose de déplaisant. La motivation intrinsèque renvoie à la pratique volontaire d’une activité pour l’intérêt qu’elle présente en elle-même, sans intervention de récompense extérieure. Plusieurs études sur les effets de la ludification des environnements d’apprentissage distinguent ces différents types de motivation afin d’analyser plus finement les processus en œuvre.

Une analyse plus fine des effets selon la nature de la motivation visée

Par exemple, Zainuddin (2018) s’est fondé sur la TAD pour étudier la différence entre une classe inversée ludifiée et une autre non ludifiée sur 56 élèves âgés de 15 et 16 ans : le sentiment de compétences perçu est significativement plus élevé pour les élèves de la classe ludifiée, avec la même tendance observée concernant les relations sociales, mais pas la perception d’autonomie.

Par ailleurs, Hanus et Fox (2015) ont étudié l’impact de la ludification d’un cours à l’université sur 16 semaines : l’un des cours a été ludifié avec un tableau de scores et des badges, tandis que l'autre cours n’était pas ludifié. Les résultats ont révélé que les étudiants du cours ludifié ont montré moins de motivation intrinsèque, de satisfaction et d'autonomie au fil du temps que ceux de la classe non ludifiée. Il est également observé que les résultats des étudiants aux examens finaux ont été influencés par le niveau de motivation intrinsèque initial des étudiants, les étudiants du cours ludifié obtenant des résultats plus faibles aux examens finaux que ceux du cours non ludifié.

Par ailleurs, les différences entre les résultats des évaluations intermédiaire et finale étaient significativement meilleurs pour le groupe ayant le cours ludifié. Enfin, en prenant à nouveau appui sur la théorie de la TAD, Sailer et al. (2017) ont montré à travers une étude d’un cours en ligne suivi par 419 apprenants âgés en moyenne de 22 ans que les badges, les tableaux de scores et les graphes de performance ont un effet positif sur la satisfaction des besoins en matière de compétences, ainsi que sur la perception du sens des tâches d’apprentissage, tandis que les avatars, les histoires et les coéquipiers ont un effet sur les expériences de relations sociales.

Des effets qui évoluent au cours des usages

Souhaitant observer la nature dynamique de la motivation, van Roy et al. (2018), à l’aide d’une expérimentation sur une longue période avec des étudiants âgés de 22 à 25 ans assistant à un cours de master, montrent que tous les types de motivation évoluent au cours du temps : décroissent puis augmentent en fin du cours (sauf l’amotivation qui augmente puis décroît, et la motivation contrôlée qui reste stable), sans pour autant revenir au niveau initial.

Les résultats appuient une nouvelle fois l'importance de la nature individuelle des processus motivationnels (des différences entre individus sont observées), l'importance de mesures de motivation longitudinales et la pertinence des caractéristiques de conception des éléments de jeu implémentés.

Ding, Kim et Orey (2017) rapportent une autre étude de l’impact d’éléments ludiques sur des étudiants à l’université dont la conception est fondée sur la TAD, ceci afin de développer chaque facteur de motivation identifié dans cette théorie (compétence, autonomie, relations sociales).

Ces éléments ont été intégrés à un outil de discussion en ligne gamifié, gEchoLu. Ils n’ont observé aucune évolution de ces facteurs entre le milieu et la fin de l’étude. Le plaisir ressenti par les apprenants était plutôt bas en fin d’expérimentation, alors que toutes les autres mesures, y compris les motivations contrôlée et autonome étaient relativement hautes. Le badge était l’élément le plus apprécié parce que directement lié à la note (récompense extrinsèque), suivi par la barre de progression (aide au suivi, le sens de réaliser quelque chose). Les avatars ont eu un impact sur l’implication des élèves dans la tâche.

Conclusion

En conclusion, l’ensemble des études, qu’elles soient conduites en milieu scolaire ou universitaire, tendent à montrer que la ludification n'est pas efficace en soi. Des éléments ludiques spécifiques ont des effets psychologiques spécifiques sur les élèves, selon qu’ils répondent à leurs besoins plus ou moins élevés de sentiment de compétences, d’autonomie et de relations sociales. Chaque élément doit alors être pensé lors de la phase de conception afin de répondre à ces besoins, et en fonction des comportements à inciter chez les élèves (Lavoué & Serna, 2022).

Article publié sur le site : https://www.reseau-canope.fr/agence-des-usages/impact-de-la-ludification-des-sequences-de-cours-sur-la-motivation.html
Auteur : Élise Lavoué, Université de Lyon, Université Jean-Moulin Lyon 3, iaelyon school of Management, CNRS, LIRIS, FRANCE

Recommandations

  • Choisir les éléments de ludification qui font sens avec l’activité pédagogique : par exemple récompenser par des badges les exercices réussis ; mettre en place un tableau de bord (classement) si l’on souhaite inciter la compétition entre élèves ou encore indiquer le nombre total de points à acquérir pour fixer un objectif clair.
  • Adapter les éléments de ludification aux préférences des élèves : par exemple, éviter le chronomètre pour les moins bons pour ne pas inciter à répondre trop vite ou les mettre en situation de stress ; éviter les tableaux de bord pour les moins compétitifs ; offrir des badges qui plaisent généralement à tous les élèves ; éventuellement, ne pas proposer d’éléments de ludification aux élèves initialement motivés.
  • Être attentif aux baisses de motivation au cours du temps pour éventuellement proposer un autre élément de ludification qui remotivera l’élève par de nouvelles mécaniques de jeu.

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Bibliographie

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Deci E. L. & Ryan R. M. (1985), Intrinsic motivation and self-determination in human behavior, New York: Plenum Press.

Deci E. L. & Ryan R. M. (2000), “The ‘what’ and ‘why’ of goal pursuits: Human needs and the self-determination of behavior”, Psychological Inquiry, 11, p. 227-268.

Deterding S., Dixon D., Khaled R. & Nacke L. (2011), “From game design elements to gamefulness. Defining gamification”, in Proceedings of the 15th International Academic MindTrek Conference. Envisioning Future Media Environments, ACM, p. 9-15.

Ding L., Kim C. & Orey M. (2017), “Studies of student engagement in gamified online discussions”, Computers & Education, 115, p. 126‑142. doi.org/10.1016/j.compedu.2017.06.016

Hamari J., Koivisto J. & Sarsa H. (2014), “Does Gamification Work? – A Literature Review of Empirical Studies on Gamification”, 47th Hawaii International Conference on System Sciences, p. 3025-3034.

Hanus M. D. & Fox J. (2015), “Assessing the effects of gamification in the classroom: A longitudinal study on intrinsic motivation, social comparison, satisfaction, effort, and academic performance”, Computers & Education, 80, p. 152-161. https://doi.org/10.1016/j.compedu.2014.08.019

Kyewski E. & Krämer N. C. (2018), “To gamify or not to gamify? An experimental field study of the influence of badges on motivation, activity, and performance in an online learning course”, Computers & Education, 118, p. 25-37. https://doi.org/10.1016/j.compedu.2017.11.006

Landers R. N., Bauer K. N. & Callan R. C. (2017), “Gamification of task performance with leaderboards. A goal setting experiment”, Computers in Human Behavior, 71, p. 508-515. https://doi.org/10.1016/j.chb.2015.08.008

Lavoué É., Monterrat B., Desmarais M. & George S. (2019), “Adaptive gamification for learning environments”, IEEE Transactions on Learning Technologies, 12(1), p. 16-28.

Lavoué É. & Serna A. (2022, à paraître), « Vers une ludification adaptative expressive des environnements numériques d’apprentissage », STICEF, 29,1.

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Reyssier S., Hallifax S., Serna A., Marty J.-C., Simonian S. & Lavoué E. (2022, to be published), “Factors to consider when gamifying a learning environment. A study on the impact of game elements on learners’ motivation, according to their initial motivation and player type”, IEEE Transactions on Learning Technologies, 15 p.

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Sailer M., Hense J. U., Mayr S. K. & Mandl H. (2017), “How gamification motivates: an experimental study of the effects of specific game design elements on psychological need satisfaction“, Computers in Human Behavior, 69, p. 371-380.

van Roy R. & Zaman B. (2018), “Need-supporting gamification in education. An assessment of motivational effects over time”, Computers & Education, 127, p. 283-297. https://doi.org/10.1016/j.compedu.2018.08.018

Zainuddin Z. (2018), “Students’ learning performance and perceived motivation in gamified flipped-class instruction”, Computers & Education, 126, p. 75‑88. doi.org/10.1016/j.compedu.2018.07.003

Dernière modification le mercredi, 21 septembre 2022
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