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Par Alessandro Soriani, Doctorant Arts et Médias, Université de Bologne, Université Sorbonne-Nouvelle Paris 3. La contribution a comme focus principal une analyse de la littérature scientifique qui, pendant les dernières décennies, a tenté d’explorer le sujet complexe du climat de classe qu’Ambrose et al. définissent comme « l’ensemble des milieux intellectuels, sociaux, émotionnels et physiques dans lequel les étudiants apprennent » (Ambrose, Bridges, DiPietro, Lovett & Norman, 2010).

Plus précisément, nous tenterons de montrer que, quoique la composante relationnelle soit un des éléments pris en considération par la majorité des auteurs, un élément important demeure peu exploré : l’influence sur le climat de classe des environnements virtuels de socialisation.

Un contexte complexe

Le passage de l’école primaire au secondaire représente pour les adolescents toute une série de changements qui intéressent soit des aspects liés à la sphère cognitive (changement d’école, de classe, de matières et de professeurs), soit des aspects liés à la sphère relationnelle (nouveaux camarades, autonomie vis-à-vis de la famille, etc).

Ce passage est aujourd’hui à envisager au regard des environnements virtuels que fréquente la plus grande partie des jeunes : tous ces facteurs contribuent à développer de nouvelles formes d’interactions et de relations (Boyd, 2014).

Dans ce contexte, se vivent les premières expériences technologiques qui s’affranchissent du contrôle parental, favorisées non seulement par les conditions sociales mais aussi, en quelques cas, directement par les établissements scolaires. L’école joue en effet un rôle clé dans cette problématique. Elle est, d’abord, un lieu important de socialisation des adolescents (avec leurs pairs ou avec des adultes autres que leurs parents). Elle est aussi le contexte dans lequel les jeunes peuvent expérimenter les technologies en dehors du loisir ou du jeu.

Des réformes nationales, en France ou en Italie par exemple, visent à introduire de manière systématique les technologies dans la didactique quotidienne de classe. Cela s’ajoute au constat suivant lequel les élèves possèdent très largement les dispositifs technologiques qui leur permettent de communiquer et de se maintenir en relation (Caron & Caronia, 2007), y compris pendant les heures de classe. Cette double présence des technologies à l’école est en train créer des situations quotidiennes de plus en plus délicates à gérer pour les enseignants.

Environnements virtuels et socialisation

D’un côté nous trouvons donc des espaces virtuels mis à disposition par les établissements scolaires, et plus ou moins utilisés par les professeurs et les élèves, tels que : classes virtuelles, espaces numériques de travail (ENT), etc.

Ces espaces, que nous appellerons Espaces Virtuels Officiels (EVO), cohabitent avec ceux que nous appelons Espace Virtuels Non officiels (EVN).

Par EVN nous désignons les moyens de communication virtuels utilisés spontanément par les élèves, les enseignants ou les parents. Ces derniers ne sont pas officiellement reconnus, ni mis à disposition par les institutions scolaires (par exemple, les réseaux sociaux ou les systèmes de messagerie à destination du grand public).

A ce stade, il est intéressant de remarquer que dans les environnements virtuels, officiels comme non officiels, ont lieu une grande quantité d’échanges relationnels de double nature : formels, quand ils concernent des échanges effectués dans le cadre académique (les communications officielles, le travail coopératif) et non formels, lorsqu’ils concernent des échanges qui apparemment n’ont rien à voir avec le scolaire. Nous considérons que ces deux types d’échanges peuvent tout à fait avoir lieu en même temps et au sein des deux types d’espaces virtuels décrits précédemment.

Qu’est-ce que le climat de classe ?

Le climat de classe est un concept complexe. Dans la littérature, on le trouve souvent associé à d’autres éléments de nature « écologique » comme l’atmosphère, l’environnement ou le milieu. Selon Parker et Kaltsounis (Parker & Kaltsounis, 1986), le terme « climat de classe » fait référence à une atmosphère relationnelle spécifique constituée par l’ensemble des modes d’interaction dans la classe (procédures de prise de décision, modes de participation des élèves, traitement des problèmes ou controverses, réponses apportées aux opinions des élèves, par exemple). Cette définition est intéressante parce qu’elle donne une certaine visibilité à la participation des élèves et à la dimension relationnelle. Plus récemment, Ambrose et ses collègues ont considéré le climat de classe comme « l’ensemble des milieux intellectuels, sociaux, émotionnels et physiques dans lequel les étudiants apprennent » (Ambrose et al., 2010). Certains auteurs, tels que Chiari et Fraser (Chiari, 1994 ; Fraser, 1998) ont déjà décrit les nombreux éléments qui peuvent influencer ce climat de classe, comme l’implication des élèves, l’acceptation de règles communes ou la dimension de travail collectif. Les études quant aux facteurs déterminant le climat d’une classe tendent ainsi à mettre en lumière deux types d’éléments :

  • les facteurs environnementaux propres au contexte physique de la classe ;
  • les facteurs cognitifs, affectifs et comportementaux des interactions.

L’influence possible des environnements virtuels de socialisation sur le climat de classe

Mais qu’en est-il de l’influence possible des environnements virtuels de socialisation sur le climat de classe, compte tenu de l’imbrication de pratiques formelles et informelles au sein des différentes plateformes ?

En effet, malgré une littérature florissante sur le sujet des technologies numériques et de leur possible implication dans les processus d’apprentissage, il demeure difficile d’identifier des contributions traitant de l’éventuelle influence des technologies de l’information et de la communication en général, et des espaces virtuels de socialisation en particulier, sur le climat de classe.

Le champ de recherche sur les apprentissages en mobilité (Mobile Learning Studies) s’avère utile ici en ce sens qu’il permet d’investiguer les usages des supports mobiles dans la construction des apprentissages formels et informels en contexte éducatif. Maria Ranieri et Michelle Pieri, de l’Université de Florence, proposent ainsi une vision panoramique des dimensions théoriques, des modèles pédagogiques et une éventuelle application des technologies mobiles dans les situations d’apprentissage: outre le fait de remarquer le potentiel pédagogique de ces dispositifs mobiles pour favoriser des approches socioconstructivistes, ces auteurs soulignent que l’apprentissage mobile ne concerne pas seulement la diffusion de contenus pédagogiques, mais plutôt la capacité à envisager ces environnements quotidiens comme des lieux où s’entremêlent diverses dimensions de l’apprentissage (pédagogique mais aussi culturelle, relationnelle, etc.) (Ranieri & Pieri, 2014). Cette vision est partagée par les auteurs du London Mobile Learning Group (Pachler, Bachmair & Cook, 2010).

Bouhnik et Deshen, chercheurs israéliens, ont cherché à comprendre les possibles usages éducatifs des groupes WhatsApp et les implications pédagogiques de ce type d’usages.

Ils ont ainsi mené une étude exploratoire sur la base d’entretiens semi structurés avec 12 enseignants de lycée recourant à cette application afin de communiquer avec leurs élèves.

Les résultats mettent en lumière le fait que l’application est utilisée à plusieurs fins : communiquer avec les élèves, entretenir l’atmosphère sociale de la classe, inciter au dialogue et au partage entre élèves, faire office de plateforme d’apprentissage.

Les participants soulignent les avantages techniques de l’application : simplicité, moindre coût, disponibilité et immédiateté.

Des avantages d’ordre éducatif sont également mentionnés : environnement plaisant et en accord avec les habitudes des élèves, ce qui a, d’après eux, une influence positive sur le déroulement des conversations.

Mais ce sont des arguments académiques qui sont aussi avancés : accessibilité des documents pédagogiques et de l’enseignant, y compris en dehors des heures de classe. Néanmoins, cela représente des défis car il faut que chaque élève dispose effectivement d’un téléphone portable, que les enseignants gèrent l’irruption de messages non pertinents, voire perturbateurs. Ces derniers voient aussi leur temps de travail hors classe augmenter (Bouhnik & Deshen, 2014).

Ces travaux sont à mettre en perspective avec ceux de Sheelah M. Sweeny (Université de Boston) qui s’intéressent à la dimension relationnelle des usages numériques en classe.

La chercheuse montre comment, dans les processus d’apprentissage, la communication et les relations qui passent par les espaces virtuels formels augmentent le sens de l’appartenance à une communauté : la communauté composée par la classe (Sweeny, 2010).

Des précautions sont toutefois à prendre en compte, signalées par Howard Gardner.

Le facteur relationnel entre élèves peut jouer un rôle clé dans l’écologie du climat de classe : les outils numériques, qui donnent accès à plusieurs espaces virtuels en même temps, peuvent influer sur l’identité, l’imagination et, finalement, sur l’intimité des jeunes. Mais les applications commerciales de communication, basées sur l’immédiateté et la fluidité, peuvent aussi déboucher sur des relations superficielles et éphémères (Gardner & Davis, 2014).

Conclusion

En quoi les environnements virtuels peuvent-ils influencer le climat de classe ?

La question reste ouverte et des travaux de recherche viendront encore apporter des éléments de réponse. Il faut retenir cependant qu’ils peuvent affecter à la fois l’apprentissage et les sphères relationnelles des acteurs concernés. Ces deux sphères, l’apprentissage et les relations, sont également importants dans le développement d’un climat de classe positif.

Par conséquent, il est important de considérer que les échanges relationnels qui sont médiatisés par ces environnements virtuels constituent une composante active parmi les facteurs qui influent sur le climat de la classe.

L’école, et en particulier les collèges, sont donc confrontés à la gestion de pratiques de communication entremêlées entre pratiques et dispositifs scolaires, et pratiques informelles et outils grand public.

La gestion de cet environnement relationnel dense et complexe constitue une véritable défi, obligeant les communautés éducatives à imaginer de nouveaux « rituels » (Merieu, 2015), à déterminer des stratégies partagées qui pourraient aider à codifier les comportements et la reconnaissance des membres impliqués pour agir d’une façon plus pertinente et efficace.

Recommandations

  • Considérer la double présence des espaces virtuels formels (ceux qui sont mis à disposition par les écoles) et informels (ceux qui sont utilisés tous les jours par les élèves) dans l’établissement scolaire.
  • Prendre en compte le fait qu’il y a un dense réseau de relations qui passent par des espaces virtuels et que ces échanges ont un effet sur le climat de classe.
  • Savoir reconnaître les problématiques qui viennent par ces espaces virtuels (officiels et non officiels).
  • Ne pas ignorer les conflits mais aussi les possibles éléments positifs de l’usage des espaces virtuels non officiels pour la classe.

Voir aussi

BIBLIOGRAPHIE

  • Ambrose S. A., Bridges M. W., DiPietro M., Lovett M. C. et Norman M. K. (2010), How learning works: Seven research-based principles for smart teaching, John Wiley & Sons.
  • Bouhnik D. et Deshen M. (2014), “WhatsApp goes to school: Mobile instant messaging between teachers and students”, Journal of Information Technology Education: Research13, p. 217-231.
  • Boyd D. (2014), “It’s Complicated: The Social Lives of Networked Teens”, It’s Complicated: The Social Lives of Networked Teens, 296. https://doi.org/10.1007/s10615-014-0512-3 
  • Caron A. H. et Caronia L. (2007), Moving cultures: Mobile communication in everyday lifeSocial Science Computer Review (Vol. 0). https://doi.org/10.1177/0894439310396186 
  • Chiari G. (1994), “Climi di classe e apprendimento”, Un Progetto Di Sperimentazione per Il Miglioramento Del Clima Di Classe in Quattro Citt{à} Italiane.
  • Fraser B. J. (1998), “Classroom environment instruments: Development, validity and applications”, Learning Environments Research, 1(1), p. 7-34.
  • Gardner H. et Davis K. (2014), “The App Generation: How Technology Is Changing Us | Cognoscenti”, Retrieved from http://cognoscenti.wbur.org/2014/02/12/apps-howard-gardner-katie-davis
  • Merieu P. (2015), Faire l’école, faire la classe, Paris: ESF.
  • Pachler N., Bachmair B. et Cook J. (2010), Mobile learning: structures, agency, practices, New York: Springer.
  • Parker W. C. et Kaltsounis T. (1986), “Citizenship and law-related education”, Elementary School Social Studies: Research as a Guide to Practice, p. 14-33.
  • Ranieri M. et Pieri M. (2014), Mobile learning: dimensioni teoriche, modelli didattici, scenari applicativi, Unicopli.
  • Scornavacca E., Huff S. et Marshall S. (2009), “Mobile phones in the classroom”, Communications of the ACM52(4), p. 142. https://doi.org/10.1145/1498765.1498803
  • Sweeny S. M. (2010), “Writing for the instant messaging and text messaging generation: Using new literacies to support writing instruction”, Journal of Adolescent & Adult Literacy54 (2), p. 121-130.

Article publié sur le site : https://www.reseau-canope.fr/agence-des-usages/le-climat-de-classe-et-les-environnements-virtuels-de-socialisation.html
Auteur : Alessandro Soriani, Doctorant Arts et Médias, Université de Bologne, Université Sorbonne-Nouvelle Paris 3- Date de publication : 2017

Dernière modification le mercredi, 20 septembre 2017
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