Recommandations :
- Accorder une part importante à la production médiatique par les élèves.
- Considérer le média comme un réel objet d’apprentissage, et non seulement comme un objet de lecture.
- Favoriser les prises d’initiative des élèves dans l’exploration médiatique.
- Favoriser les échanges entre élèves, ainsi qu’entre les élèves et leurs familles.
Le transmédia, littéralement « à travers les médias », désigne les relations et interactions pouvant être faites à partir d’un prétexte narratif commun entre des supports de différentes natures, allant des livres aux films, en incluant tous les contenus trouvés sur internet. La littérature et les pratiques relatives au transmédia se sont largement développées ces dernières années au sein de communautés de fans, d’artistes, mais aussi dans les industries culturelles, à l’université, chez les décideurs et autres acteurs intéressés par l’évolution de la narration et du divertissement. Dans ce contexte, de plus en plus de producteurs de contenus s’intéressent ainsi au transmédia, tout comme certains enseignants qui pensent pouvoir y trouver de nouvelles possibilités d’enseignement. Actuellement, force est de constater cependant que très peu d’expérimentations et d’applications concrètes du transmédia en situation d’apprentissage ont été menées. Un faible nombre d’exemples et de données expérimentales sont donc disponibles sur le sujet (Raybourn, 2014). Le transmédia soulève pour l’heure un ensemble d’hypothèses et de questions, auxquelles les futures recherches devront répondre pour confirmer ou infirmer l’intérêt de son utilisation à des fins d’apprentissage.
Qu’est-ce que le transmédia ?
La notion de transmédia a été conceptualisée dans les années 2000 par Henry Jenkins, actuellement Provost’s Professor of Communication, Journalism, and Cinematic Arts à l'University of Southern California. Henry Jenkins désignait à l’origine le transmédia comme un ensemble d’informations provenant de différentes sources et de différents médias. Selon lui, « Une histoire transmédia se déroule sur plusieurs plateformes [ndr : médias], chaque nouveau texte apportant une contribution particulière et précieuse à l'ensemble »(Raybourn, 2014).
Le transmédia revêt différents aspects et désigne de façon générale un ensemble d’éléments médiatiques narratifs et non-narratifs diffusés sur différentes plateformes. Les éléments narratifs vont inclure notamment une intrigue, un environnement, des personnages, alors que les éléments non-narratifs vont plutôt désigner des modes d’interaction et de participation, comme des moyens de contribution d’une communauté en ligne, le type d’actions possibles dans un jeu vidéo, ou encore des éléments de design.
Selon le contexte, l’audience, et les objectifs recherchés, le transmédia prend différents aspects, désignés sous le concept de « logiques transmédia ». L’une de ces logiques, particulièrement étudiée par Henry Jenkins, est la narration transmédia (transmedia storytelling), qui désigne un mode éditorial innovant basé sur l’utilisation combinée de plusieurs médias (sites internet, réseaux sociaux, livres, films, etc.), chacun développant un contenu différent et complémentaire des autres. Une autre logique, le jeu transmédia (transmedia play), implique une expérimentation et une participation des utilisateurs dans un univers composé de médias divers sans un parcours narratif déterminé (Alper, Herr-Stephenson, 2013).
Le transmédia témoigne des évolutions de l’offre et de la demande numériques, passées schématiquement d’un stade où l’information produite par quelques-uns est reçue et consommée par le plus grand nombre, au stade actuel où toute personne peut potentiellement jouer un rôle actif dans les productions culturelles. Ainsi, afin d’être acteurs du nouveau monde numérique, de jouer pleinement un rôle de citoyen et d’exercer leurs droits civiques, les internautes doivent pouvoir développer une connaissance des médias leur permettant de ne pas être de simples consommateurs mais de devenir producteurs de contenus (Lacasa, 2010 ; Cardon, 2005). Cette position est en effet à nuancer en prenant en compte la fracture d’usage, qui ne désigne plus seulement les inégalités d’accès mais les inégalités d’usages et de compétences entre les personnes. De ce point de vue, le transmédia pose la question de la formation des citoyens aux compétences indispensables à la maîtrise des codes et des contenus.
Des hypothèses à confirmer
S’il permet de poser clairement les enjeux actuels de l’éducation aux médias, l’intérêt du transmédia pour l’enseignement commence tout juste à être exploré. Alors que de plus en plus de producteurs s’y intéressent, que certains enseignants en perçoivent les potentialités offertes, les connaissances scientifiques dans ce domaine restent limitées. D’où l’importance de mieux comprendre les intérêts d’une telle approche pour améliorer et enrichir les méthodes d’apprentissage (Alper, Herr-Stephenson, 2013).
La recherche doit ainsi apporter des réponses à différentes questions (Herr-Stephenson, Alper, Reilly, 2013), notamment :
- Quels apprentissages et compétences sont susceptibles d’être renforcés par le transmédia, et avec quels types de contenus ?
- Comment utiliser au mieux les différentes logiques transmédia pour conforter les apprentissages ?
- Comment les enfants utilisent-ils le transmédia, selon leur âge et leurs habiletés ?
Parallèlement aux questions propres au transmédia, la recherche doit également apporter son éclairage sur les inégalités d’accès et de production de l’information [« fracture numérique » (Herr-Stephenson, Alper, Reilly, 2013) ou « participation gap » (Jenkins, Purushotma, Weigel, Clinton, Robison, 2008)]. Les expériences transmédia, en particulier, doivent en effet être accessibles au plus grand nombre. Cette problématique éducative dépasse le simple cadre scolaire pour s’ancrer dans un contexte social d’accès à l’information.
Le transmédia pour l’enseignement ?
Actuellement, seules quelques études restreintes (relativement aux méthodes expérimentales employées, aux tailles des groupes d’enfants considérés, etc.) viennent appuyer l’idée selon laquelle le transmédia pourrait être bénéfique aux apprentissages, notamment pour les élèves de niveau primaire ou secondaire.
Dans un travail de synthèse mené en 2013 et intitulé « T is for transmedia : learning through transmedia play», Becky Herr-Stephenson, chercheuse spécialisée dans les médias, et Meryl Alper, doctorante en communication à l’Annenberg School for Communication and Journalism, évoquent le fait que les productions transmédia poussent les jeunes à se confronter à des contenus médiatiques variés. L’enseignement par le transmédia pourrait en outre offrir un environnement immersif, interactif, et intimement lié aux connaissances et expériences préalables des élèves (Herr-Stephenson, Alper, Reilly, 2013).
À travers une synthèse bibliographique, les auteurs dégagent en effet plusieurs hypothèses sur les avantages que pourrait présenter le transmédia dans un contexte éducatif, pour des enfants âgés de 5 à 11 ans :
Une nouvelle approche pour la lecture
Dans les œuvres transmédia, les jeunes sont amenés à comprendre et assimiler des informations inscrites sur différents supports (textes, éléments visuels, etc.), ce qui mobilise des compétences de lecture exigeantes permettant de suivre le fil des informations et des histoires d’un média à l’autre.
Henry Jenkins avait déjà décrit l’intérêt que pouvaient présenter les œuvres transmédia pour la lecture à travers deux concepts, la « circulation » (spreadability), et le « forage » (drillability) (Jenkins, 2009). La « circulation » décrit la capacité pour le public de diffuser par ses propres moyens et à ses propres fins l’intégralité ou des extraits de contenus d’œuvres. Cette dispersion d’informations sur différents canaux oblige les jeunes à reconstituer la trame narrative à partir d’éléments diffus, les amenant à faire l’expérience d’une nouvelle forme de lecture et de synthèse d’informations. Le « forage » décrit plutôt les initiatives d’approfondissement dont feront preuve certains utilisateurs face aux informations fragmentaires disponibles sur une œuvre. Pour en apprendre plus sur un objet transmédia, et aller au-delà des informations facilement accessibles, il leur faudra développer de nouvelles compétences et techniques de recherche.
Un partage des expériences
Les narrations complexes, les environnements enrichis et les multiples entrées des projets transmédia offrent l’opportunité aux membres d’une même famille (enfants et parents), par exemple, d’expérimenter ensemble le transmédia. Cela est également vrai pour des cercles sociaux élargis (camarades de classe, autres adultes). Le transmédia offre ici une opportunité de créer plus de lien entre le milieu scolaire et la sphère privée. Ces expériences partagées pourraient favoriser chez les participants, dans certaines conditions, une meilleure compréhension, une facilité d’apprentissage, ainsi qu’un bien-être physique, émotionnel et mental (Takeuchi, Stevens, 2011 ; Fleming, 2013).
Une approche constructiviste de l’apprentissage
Le jeu transmédia suppose chez le récepteur une activité d’exploration, d’expérimentation, de synthèse d’informations. Il rejoint ainsi une approche constructiviste des apprentissages telle que définie par les psychologues du développement et de l’éducation (Piaget, 1985, Bruner, 1990). Les concepts du constructivisme ont largement influencé les recherches sur les nouveaux médias et l’éducation, puisqu’ils ont mis en évidence l’importance de l’expérimentation et du rôle actif des élèves dans les processus d’apprentissage (Herr-Stephenson, Alper, Reilly, 2013).
Jeu transmédia : les conditions favorables
Dans le cas précis du jeu transmédia, les auteurs prédemment cités (Herr-Stephenson, Alper et Reilly, 2013) proposent cinq conditions qui pourraient permettre de créer un cadre favorable aux apprentissages et qui devraient être considérées, cette fois, par les concepteurs de tels jeux :
- l’inventivité : les participants doivent être confrontés à des problèmes, et doivent être en mesure d’agir sur ceux-ci en sollicitant les solutions et outils à disposition ;
- les interactions sociales : les participants doivent pouvoir interagir entre eux, grâce aux médias utilisés, comme les réseaux sociaux ou d’autres univers virtuels ;
- la mobilité : une création transmédia doit impliquer des explorations de différentes plateformes, des accès mobiles et des navigations diversifiées au sein même des médias utilisés ;
- l’accessibilité : une création transmédia doit être accessible depuis une variété de points d’entrée et proposer des cheminements qui tiennent compte des particularités de contexte et de type d'accès des utilisateurs ;
- les explorations multiples : l’environnement proposé doit être suffisamment riche pour encourager l’utilisateur à réaliser plusieurs visites, à explorer à plusieurs reprises, et à enquêter sur de nouvelles dimensions.
Pour conclure
Les créations transmédia offrent potentiellement de nouvelles opportunités d’apprentissage sur au moins trois aspects. Premièrement, le transmédia permet de solliciter des compétences pertinentes quant à l’éducation aux nouveaux médias. Il peut offrir l’opportunité de développer également des compétences de lecture dans un environnement largement saturé d’informations. Ensuite, il peut permettre de favoriser l’engagement des membres d’une même famille dans l’apprentissage, enfants, parent, et autres adultes. Enfin, le transmédia peut permettre de renforcer les connexions mentales entre les informations, favorisant un approfondissement des apprentissages (Herr-Stephenson, Alper, Reilly, 2013 ; Fleming, 2013). L’intégration de productions transmédia dans les dispositifs et scénarios d’apprentissage pourrait ainsi constituer une piste pour réduire les inégalités d’usages et de participation numériques.
* Antoine Bonvoisin - Journaliste scientifique
Références bibliographiques :
Cardon D. (2005), « Innovation par l’usage », in Ambrosi A., Peugeot V. et Pimienta D., Enjeux de mots : regards multiculturels sur les sociétés de l’information, Caen : C & F Éditions.
Fleming L. (2013), “Expanding Learning Opportunities with Transmedia Practices : Inanimate Alice as an Exemplar”, Journal of Media Literacy Education.
Herr-Stephenson B., Alper M., Reilly E. (2013), T is for transmedia : learning through transmedia play, USC Annenberg Innovation Lab.
Jenkins H. (2006), Convergence culture: Where old and new media collide, New York University Press.
Jenkins H., Purushotma R., Weigel M., Clinton K., and Robison A. J. (2008), Confronting the Challenges of Participatory Culture: Media Education for the 21st Century, The John D. and Catherine T. MacArthur Foundation Reports on Digital Media and Learning.
Jenkins H. (2009), “The Revenge of the Origami Unicorn: Seven Principles of Transmedia Storytelling (Well, Two Actually. Five More on Friday)”, Confessions of an Aca-Fan: The Official Weblog of Henry Jenkins.
Lacasa P. (2010), Children Transmedia and Virtual Experiences Inside and Outside the Classrooms, Proceedings of the 18th International Conference on Computers in Education.
Raybourn E. M. (2014), “A new paradigm for serious games: Transmedia learning for more effective training and education”,Journal of Computational Science.
Takeuchi L., Stevens R. (2011), The new coviewing: Designing for learning through joint media engagement, New York: The Joan Ganz Cooney Center at Sesame Workshop.
Auteur : Antoine Bonvoisin
Dernière modification le samedi, 21 novembre 2015