Créativité des scientifiques
Dès l’introduction, la scénographie et le sens de la composition sont une réussite. Le tableau Marine bleue, effets de vagues (vers 1894) de Georges Lacombe (1868-1916) semble suspendu au décor de La Mer (1991 et 2016) - installation vidéo d’Ange Leccia (Né en 1952).
Nous quittons la plage, le niveau de la mer descend. Les yeux grands ouverts de The Floating Sowers (2021-2024) invitent à la découverte de plus de deux siècles d’explorations des fonds marins. Cette sculpture monumentale de Jean-Marie Appriou (Né en 1986) est façonnée en aluminium, de feuilles d’or, de cuivre, et par le verre.
La première salle est placée sous la protection des Dieux avec l’impressionnante figure de proue du navire Neptune (1818). Ce buste conservé au moment du démantèlement du vaisseau est une œuvre majeure qui attire l’attention des visiteurs. Il est entouré d’hameçons de Polynésie pour un ancrage dans l’universalité des Divinités marines. La Main aux algues et aux coquillages (1904) d’Emile Gallé (1846-1904) se contemple en regard de la création d’Hicham Berrada (Né en 1986). Cet « océan en coupe » - vidéo en couleur issue d’une performance -, rappelle l’engouement du public pour les aquariums. Au XIXe siècle, pour la première fois, le monde du silence s’anime avec des formes imprévisibles. Le Symbolisme et l’Art nouveau sont nés de cette période nourrie de fantasmagories - titre d’un tableau d’Odilon Redon (1840-1916). Le peintre aux étranges créatures, passionné par les sciences, aurait souhaité « naître au milieu des flots ». La tapisserie La Sirène et le Poète (1895-1899) de Gustave Moreau (1826-1898) introduit des études préparatoires de plantes marines.
Exposition "Bleu profond, l'océan révélé" Les Franciscaines Deauville © Fatma Alilate
Bleu profond rend hommage à la créativité des scientifiques. Les aquarelles sur papier du naturaliste autodidacte Charles-Alexandre Lesueur (1778-1846) révèlent une nouvelle iconographie d’une grande beauté et précision. Participant à une expédition en 1800 en tant que canonnier, ses illustrations contribuent à initier l’inventaire du vivant.
Les macro-photographies du biologiste et réalisateur Jean Painlevé (1902-1989) recomposent de nouveaux sujets par d’infimes détails. La Pince de Homard (Vers 1931) devenue une sorte de visage a une drôle d’expression, et rejoint les œuvres du Surréalisme. Etienne-Jules Marey (1830-1904) documente par la chronophotographie les nages de poissons. Tout autant talentueux, le savant Paul Fabre-Domergue (1861-1940) réalise des prises de vue dans les aquariums d’eau de mer - il est le premier à pratiquer la photographie en couleur et publie des ouvrages.
Fragilité des écosystèmes
Dans la continuité du parcours, Guido Mocafico (Né en 1962) propose d’élégantes reproductions sous verre des modèles d’invertébrés marins de l’artisan verrier Léopold Blaschka (1822-1895) et de son fils Rudolph Blaschka (1857-1939).
Tout aussi intéressant, la rencontre des œuvres de Jean Francis Auburtin (1866-1930) et de Wenzel Hablik (1881-1934), proches du Symbolisme mais avec des approches esthétiques différentes. Hablik a fasciné l’avant-garde allemande, son encre sur carton de 1911-1912 est une peinture abstraite.
Dans une section, Jean de Loisy a souhaité réunir les prouesses techniques et les artistes qui ont peint et photographié sous l’eau. Le Plongeur (1863), maquette du premier sous-marin de la Marine française, a inspiré Jules Verne (1828-1905) pour le Nautilus de Vingt mille lieues sous les mers (1871). On découvre la Cloche de plongée, dispositif du peintre Eugen von Ransonnet-Villez (1838-1926). Zahr Pritchard (1866-1956) recouvert d’un casque de plongée a peint des scènes avec des jeux de transparence.
Sous une lumière bleutée et zénithale, le scaphandre (vers1866-1870) est une armure des mers, partie à la conquête des profondeurs. Sur un pan de mur, les paysages en noir et blanc de Nicolas Floc’h (Né en 1970) sont sobres et poétiques. Le photographe marin veut alerter de la fragilité des écosystèmes.
NICEAUNTIES, Auntlantis série - Sweeping the Floor, Trashy Friends, Day in the Life Of 2024 © Niceaunties
Les séquences générées par l’Intelligence artificielle de la plasticienne singapourienne Niceaunties (Née en 1981) montrent des femmes âgées submergées par des déchets plastiques. Les drames humains cernent aussi mers et océans, la toile de Miriam Cahn (Née en 1949) est jonchée de migrants noyés.
Fatma Alilate
Exposition Bleu profond, l’océan révélé
Jusqu’au 21 septembre 2025
Commissaire d’exposition : Jean de Loisy
Scénographie et graphisme : Constance Guisset
Catalogue In Fine Editions, 29 € / 152 pages
Exposition labellisée Année de la Mer 2025
Dernière modification le mercredi, 13 août 2025