Relectures pleines d’humour de femmes artistes
Deux photographies de la période d’après-guerre ayant appartenu à la veuve d’André Castel – un ami nîmois de l’artiste - introduisent Eros dans l’arène de Picasso. Le parcours s’organise en plusieurs sections. Picasso enfant avait pour modèle le picador, héros à cheval. Il a à peine huit ans pour sa toile de 1889. D’autres tableaux et cartes postales brodées ont pour sujet des scènes galantes : des femmes dans les gradins admirant le matador. Ce motif est repris par Picasso qui s’inspire de l’iconographie populaire hispanisante, et de moments vécus comme en témoignent en fin de parcours les photographies du Cabinet Taurin.
Un habit de lumières, costume du matador (2025), et une Cape de paseo (2012) de Saúl Jiménez Fortes illustrent l’attachement du monde de la corrida pour l’artiste aficionado.
La dimension érotique est accentuée dans le second espace avec les eaux-fortes de la Suite Vollard (1930-1937). Marie-Thérèse Walter (1909-1977) apparaît sûre d’elle et même dominatrice. Annie Maïllis réfute les interprétations basées sur la légende du Minotaure : « L’homme-taureau est puissant, protecteur, parfois tendre. Il n’est pas un être d’obscurité qui dévore ses proies. »
La commissaire a mis en évidence ce thème du taureau, pourtant incontournable dans l’œuvre du maître espagnol, de ses premiers dessins, tableaux, sculptures jusqu’à sa dernière toile inachevée.
La partie contemporaine offre un dialogue avec des artistes comme Claude Viallat (Né en 1936) qui se reconnaît dans l’héritage picassien pour une partie de son œuvre figurative, et des relectures pleines d’humour de femmes artistes.
La Revolera (2012), photo en grand format de Pilar Albarracín (Née en 1968), montre l’artiste habillée d’une robe flamenca fumant avec assurance dans un lit au côté d’une immense tête de toro. La photographe andalouse joue des codes de la tauromachie. Pilar Albarracín s’est aussi photographiée en habit de lumières et talons aiguilles, tenant un autocuiseur. Sophie Calle (Née en 1953) est dans une approche décalée avec Moïse (2020). Par un stratagème - un quignon sous l’aisselle -, elle attire un taureau apprivoisé qui lèche sa nudité offerte dans l’embrasure d’une fenêtre.
Parmi ses amis du « Midi des taureaux »
A l’étage, Annie Maïllis a choisi de traiter le mythe de L’Enlèvement d’Europe. Les artistes du Sud sont également au rendez-vous tels l’ami Jean Hugo (1894-1984) et Vincent Bioulès (Né en 1938). Clara Castagné (Née en 1968) calligraphie sur des cartes anciennes et s’appuie sur leurs formes pour dessiner de façon dynamique une série de L’Enlèvement d’Europe.
Ce thème a été décliné sous plusieurs variantes par Picasso qui a campé Marie-Thérèse dans le personnage de l’Europe, le taureau dans le rôle de Zeus. L’amante se révèle cette fois amoureusement alanguie auprès de son partenaire.
Au Cabinet Taurin, plus de soixante-dix images, des documents d’archives et un montage vidéo rappellent que la corrida a inspiré différents domaines artistiques et même la publicité à une période très récente mais désormais révolue. De façon inattendue, on découvre Marylin Monroe en torera, Elisabeth Taylor… Une section est consacrée aux adieux publics en cavalière de la Muse Françoise Gilot (1921-2023) dans l’arène de Vallauris - le couple a vécu à Vallauris. Annie Maïllis a organisé les premières expositions en France de cette femme peintre dont une au Musée Estrine.
De nombreuses photos ne sont pas signées et proviennent d’anonymes, d’autres sont de Brassaï (1899-1984), de Jacques-Henri Lartigue (1894-1986), d’Edward Quinn (1920-1997). Ces images montrent un Picasso détendu et heureux dans les arènes parmi ses amis du « Midi des taureaux » - expression de Michel Leiris. Annie Maïllis partage des trouvailles : les frères Munoz, la torera oubliée Pierrette Le Bourdiec… Par une photo, on voit le peintre andalou chez André Castel, il tient une cape s’amusant. Quand il venait à Nîmes, il souhaitait voir sa bibliothèque, ses affaires taurines, partager sa passion.
Fatma Alilate
Exposition Eros dans l’arène de Picasso, Entre art populaire et art contemporain
Commissaire : Annie Maïllis
Musée Estrine, Saint-Rémy-de-Provence
Jusqu’au 21 septembre 2025
Dernière modification le jeudi, 24 juillet 2025