La crise du Covid-19 est l’occasion de rappeler, une fois de plus, que les enseignants sont des professionnels. Que leur métier est hautement complexe et qu’il ne s’improvise pas. Les parents s’en sont rendu compte, et la relation de co-éducation semble avoir déjà changé dans beaucoup de régions du monde. Quelque chose de très positif à garder pour la suite donc !
“Its not easy, teaching. I was unable to correctly explain a complicated maths problem so we emailed his teacher for help and he called soon after, and Kayden completely understood.”
Faith Mkhonto, de Southampton, mère d’un enfant de 7 ans.
Autre aspect hautement réconfortant en des temps où les relations humaines sont distendues : partout dans le monde, les enseignants manquent terriblement aux jeunes. Les jeunes manquent terriblement aux enseignants. Les jeunes se manquent terriblement entre eux. L’humain est un animal social. Et l’école est un lieu incontournable de cette socialisation.
La réouverture prochaine des établissements scolaires fait l’objet d’inquiétudes
Partout dans le monde, le déconfinement des écoles angoisse les enseignants et les parents. La mise en œuvre concrète tarde à arriver, les différents responsables ont du mal à communiquer entre eux. En France, la confiance des enseignants vis-à-vis de leur ministère est particulièrement limitée.
Des experts en santé publique peuvent-ils expliquer pourquoi les autorités ont dit il y a un mois qu’il fallait fermer les écoles et les garderies parce que les enfants pouvaient être un vecteur important du virus – même si on interdisait toute visite chez les aînés – et que ce ne serait plus un enjeu ?
Véronique Hivon, la porte-parole péquiste en matière d’éducation et de famille.
On notera que le Danemark est le premier pays à avoir rouvert ses écoles, dans une ambiance inquiète. Une enquête du New York Times permet de voir ce qu’il en est des premières mesures d’hygiène mises en place pour éviter la contagion.
To stop the spread of infection, parents weren’t allowed inside. Teachers couldn’t gather in the staff room. The children each now had their own desks, marooned two yards away from their nearest neighbor. During recess, they could play only in small groups. And by the time the school shut again at 2 p.m., they had all washed their hands at least once an hour for the past six hours.
Article du New York Times : In Denmark, the Rarest of Sights: Classrooms Full of Students
Nouvelles de l’enseignement supérieur : enseignement à distance, évaluations, coûts universitaires
L’enseignement supérieur à distance se fait plus facilement que l’enseignement scolaire. Les étudiants sont autonomes, ce qui fait toute la différence. Ils sont pour beaucoup équipés de leur propre ordinateur, ce qui simplifie aussi les choses. C’est sans compter bien sûr toutes les inégalités sociales, déjà évoquées dans l’article précédent.
Même si l’enseignement se fait plus facilement, il n’empêche que les interactions ne sont pas les mêmes. Donner cours face à son écran alors que les étudiants désactivent leur caméra pour « préserver le débit », ce n’est pas facile. Générer de l’interaction, faire travailler les étudiants en groupe, ce n’est pas simple non plus. On se retrouve donc souvent sur des expériences « dégradées ».
What millions of students around the world are experiencing right now on Zoom and other conferencing platforms is not online learning, but rather remote learning. Susan Grajek of Educause, the association of education technologists, distinguishes remote learning from “well-considered, durable online learning.” Remote learning, she said, is a “quick, ad hoc, low-fidelity mitigation strategy.”
Ryan Craig, founding Managing Director of University Ventures
Les évaluations et examens d’entrée sont un casse-tête
La situation actuelle pose de très nombreux problèmes sur l’évaluation dans l’enseignement supérieur, ainsi que sur les examens d’entrée qui ont commencé à se dérouler, à distance, pour de nombreux établissements.
Ainsi, de nombreux professeurs d’université estiment qu’il faudrait annuler les examens. En France comme ailleurs, l’organisation des partiels et des examens d’entrée sont un véritable casse-tête. Choix des modalités d’évaluation, des outils numériques, limitation des inégalités (différences d’équipements, prise en compte du handicap, etc.), les problèmes sont légion.
“We’ve spent our whole lives preparing for a very different type of exam,” he says. “The university [can’t] pretend this is going to be a real reflection of our abilities.”
Daniel Wittenberg, a languages student at the University of Cambridge
Les étudiants et beaucoup d’enseignants sont également inquiets de l’usage d’outils numériques jugés intrusifs pour assurer le contrôle des examens. Des solutions qui traitent des données hautement personnelles (flux de la webcam, utilisation du clavier et analyse par une IA). En Australie par exemple, les étudiants souhaitent plus de transparence.
“I would be OK with it if I had full transparency,” Personeni said. “With actual information about where the data is being stored, who can access it, and whether it complies with the actual Australian regulations.”
Sasha Personeni, étudiante de l’ANU en Australie (lire l’article )
La période actuelle est également l’occasion pour certains de revenir sur l’un des plus vieux et grands débats de l’éducation : la question de l’évaluation elle-même. Une réflexion à intégrer sans aucun doute pour imaginer « l’école d’après » ?
Il serait sot de ne pas en profiter pour tourner la page de décennies de catastrophes docimologiques – la docimologie est la “science des examens” – qui ont frustré, découragé, puni des générations entières de gamins qui, comme le disait Michel Galabru, “ne comprenaient pas ce qu’on leur voulait” aux temps T des évaluations imposées alors qu’un rythme différent, mieux adapté, mieux outillé de processus d’évaluation concertée, d’auto-évaluation et de partage de conseils permettant aux élèves de maîtriser progressivement ce qu’ils ne maîtrisent pas encore à ce fameux temps T, leur aurait permis d’écrire une tout autre histoire de vie.
Tribune de Jean-François Horemans et Alain Schmidt (lire la tribune )
Dans le monde anglo-saxon, les coûts universitaires posent problème, les universités sont en crise financière
Les étudiants se rebellent. Ils estiment que les cours à distance ne valent pas les cours en présentiel pour lesquels ils ont payé. Dans un monde anglo-saxon où les frais universitaires peuvent représenter facilement des dizaines de milliers de dollars, la situation des étudiants, endettés, est difficile.
Quant aux universités, elles sont elles-mêmes en très grande difficulté financière, et elles anticipent des pertes immenses dues à l’écroulement des inscriptions. En Australie, où la grande majorité d’entre elles sont des structures « not for profit », elles ne sont pas éligibles pour l’instant aux aides du gouvernement. Aux États-Unis, l’ambiance est différente pour les universités les plus riches, puisque pour qu’elles se passent du fond de soutien prévu pour aider les étudiants des universités américaines.
Une situation bien différente de celle que nous connaissons, grâce au financement public de nos universités.
Some institutions are projecting $100 million losses for the spring, and many are now bracing for an even bigger financial hit in the fall, when some are planning for the possibility of having to continue remote classes. […] A higher education trade group has predicted a 15 percent drop in enrollment nationwide, amounting to a $23 billion revenue loss.
Article du New York Time : After Coronavirus, Colleges Worry: Will Students Come Back?
Des plateformes numériques se mettent en place et la Edtech se positionne
Capture d’écran de la plateforme de Solidarité EdTech , de l’association EdTech France
Partout dans le monde, de nombreuses plateformes ont été mises en place pour faciliter le travail d’enseignement à distance des enseignants et mettre à disposition des ressources. Il est à noter que selon les pays, les initiatives étaient d’ordre public, d’ordre privé, ou d’un partenariat public/privé.
Plusieurs de ces plateformes consistent, pour les Edtech, à rendre leur solution gratuites, ou en partie gratuites, le temps du confinement. Quelques exemples :
Capture d’écran de la plateforme L’école Ouverte, initiée par le gouvernement du Québec
Some online teaching companies are offering their services for free during the outbreak. TAL Education announced on its official Weibo account free live-streaming courses for all grades to “minimise the influence on study due to the outbreak” while VIPKID, which specialises in teaching English online, said on Weibo it would offer 1.5 million free online courses to children aged from four to 12.
South China Media Post : China’s traditional schools embrace online learning as coronavirus forces students to stay at home
Ces plateformes doivent maintenant prouver leur utilité. Au Canada, les retours concernant l’École ouverte ont été mitigés. Ainsi on peut lire par la plume de Ninon Louise LePage le retour d’une enseignante qui se demande s’il est « possible de croire que les élèves non motivés avant la crise s’autorégulent pendant celle-ci en butinant d’un site web à l’autre, à la recherche d’exercices d’apprentissage pour se maintenir à flot ? ».
L’UNESCO a également initié une « coalition mondiale pour l’éducation » (en savoir plus ), et liste entre autres sur son site des solutions d’apprentissage à distance. Pour certains, cette coalition pose question : la présence parmi ses membres de grosses entreprises privées (Google, Facebook, Microsoft, Coursera, Zoom, KPMG, etc.) fait débat, et les objectifs opérationnels concrets ne sont pas très clairs.
La Edtech se positionne…
Partout dans le monde, la Edtech se positionne « au mieux » dans la crise, suscitant de très nombreuses réactions de satisfaction, de remerciement, mais aussi d’inquiétude et de défiance.
À une échelle macro, des organisations comme l’OCDE ou l’UNESCO prennent position sur le futur de l’éducation et sur le rôle des Edtech doivent y jouer :
Education could have benefited from better and more digital education solutions during the coronavirus crisis – it’s time to reflect on the role digital technology should have in the future of education.
Stéphan Vincent-Lancrin, Senior Analyst and Deputy Head of Division, OECD
Le confinement n’empêche pas non plus les sommets virtuels, comme le bien nommé GSV Virtual Summit, sous-titré « The Dawn of the Age of Digital » : l’aube de l’ère du numérique. De nombreux acteurs de la Edtech ont eu l’occasion de s’y exprimer sur la crise actuelle.
[…] As Rachel Carlson, CEO and co-founder of Guild Education explained, moving forward, a “crisis is an awful thing to waste” and this crisis provides a huge opportunity for digital learning that can be “as personal”, if not more, “as engaging”, if not more as physical classes.Article de Éducapital : GSV Virtual Summit Learning (1/2): The Dawn of the Age of Digital
Un autre exemple venu du WISE (World Innovation Summit for Education ) qui cite cette fois Andreas Schleicher, Directeur de la Direction de l’éducation et des compétences de l’OCDE. Son affirmation, très commentée sur les réseaux, a laissé de nombreux enseignants dubitatifs sur Twitter.
…et rencontre des résistances
À l’opposé de la vision optimiste de Monsieur Schleicher, on peut citer un tweet de Tom Bennett (le fondateur de researchED , UK) qui a lui aussi fait énormément réagir.
Beaucoup d’enseignants s’inquiètent que la situation actuelle puisse être considérée comme un « laboratoire pour le futur de l’éducation. Il faut garder les deux pieds sur terre, et prendre la mesure de ce qui se perd dans l’enseignement à distance », rappelle Caroline Quesnel, présidente de la Fédération nationale des enseignantes et enseignants du Québec (FNEEQ-CSN).
Ben Williamson, Chancellor’s Fellow à l’université de Edimburg, et auteur de Big Data in Education: The digital future of learning, policy and practice , réagit lui aussi vigoureusement à la générosité dont font preuve les Edtech de par le monde :
Emergency edtech eventually won’t be needed to help educators and students through the pandemic. But for the edtech industry, education has always been fabricated as a site of crisis and emergency anyway. An ‘education is broken, tech can fix it’ narrative can be traced back decades. The current pandemic is being used as an experimental opportunity for edtech to demonstrate its benefits not just in an emergency, but as a normal mode of education into the future.
Ben Williamson, Chancellor’s Fellow à l’université de Edimburg
Dans la prochaine revue de presse internationale, j’aborderai de nouveaux sujets : réouverture des établissements, situation en Afrique et en Amérique latine, etc. Si vous avez des informations, n’hésitez pas à me contacter !
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Pour aller plus loin