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Appréhender les nouveaux aspects de la culture introduite par le numérique
La qualité des interventions et la richesse des thèmes qui ont circulé au cours du deuxième forum d’Educavox « le numérique et les valeurs de la république » soulignent l’importance de la formation du personnel de l’enseignement public à une réflexion constructive et à une approche critique de la place qu’occupe dans l’espace public et privé la transmission des messages par la technologie numérique. 
Elle a permis à plusieurs reprises de souligner l’importance des liens qui existent entre l’épistémologie et les pratiques pédagogiques et didactiques qui se développèrent dans des contextes dont les normes du numérique étaient absentes ; ces liens prennent sens quand les notions de liberté, égalité, fraternité sont les axes des problématiques qui se posent à l’enseignement public.


Quelles actions mener pour continuer l’action entreprise, en prenant en compte les caractéristiques du numérique dans le but que les publics les appréhendent et construisent leur propre parcours ?

 
J’en choisis une qui correspond à ce que Henri Faure, Président de Ligue Française de l’Enseignement, écrivait quand le cinéma et la diffusion des téléviseurs modifièrent profondément les représentations et les pratiques sociales : « Ce numéro d’ « Image et Son » ne cherche qu’à faire réfléchir, à ne pas accepter que l’homme vive en spectateur passif, mais qu’il soit acteur de son propre destin, il est bien dans la tradition de la Ligue de l’Enseignement, qui depuis cent ans, s’efforce d’instruire sans pédanterie, de distraire sans vulgarité, et d’aider l’Homme à vivre dans son temps, tout en travaillant pour l’avenir » (Apprendre le cinéma, « Images et son » n°194 bis, 1966, UFOLEIS).
 
Bien entendu, les aspects structurels qui concernent l’équipement des territoires et l’articulation entre la décision politique et l’intervention entrepreneuriale ne peuvent être négligés pour créer cette égalité de tous devant les mutations et les évolutions technologiques comme plusieurs intervenants l’ont souligné.
 
Cependant, il est nécessaire qu’une pensée formatrice corresponde à la finalité que l’usager fait donne au numérique pour devenir un citoyen actif. En 1980, R. Grosperrin propose dans L’introduction de l’informatique dans les écoles normales : « Intentions générales : Former des maîtres capables de - utiliser des micro-ordinateurs – mesurer la portée du bouleversement technologique - appréhender les nouveaux aspects de la culture introduite par l’informatique et la télématique – intégrer les démarches intellectuelles mises en valeur par l’informatique et les « transférer dans leur pédagogie – conduire les élèves dans une attitude d’éveil ».
Si la pensée complexe définie par Edgar Morin nécessite de ne pas concevoir l’acte comme une somme de propositions, elle n’interdit pas qu’une analyse multidimensionnelle soit faite à condition qu’elle soit réfléchie dans une approche plurielle de l’action envisagée.
 
Ainsi, la proposition d’« intégrer les démarches intellectuelles mises en valeur par l’informatique et de les transférer dans leur pédagogie » ne concerne pas seulement la relation enseignant/enseigné, mais aussi le rapport contenu disciplinaire /méthode de transmission, tout en considérant que dans l’action l’acte pédagogique et le programme didactique sont intimement liés dans l’apprentissage et la construction de nouvelles connaissances.
 
Mais limitant notre propos à la didactique, la question posée par l’égalité de tous dans les apprentissages au sein d’une société dans laquelle la prégnance du numérique existe est : quels sont les composants des didactiques disciplinaires qui facilitent l’appréhension de cette technologie ?
 
Pour guider une réflexion sur les méthodes didactiques qui correspondent à ce fait technologique promu par le politique et l’économie, l’étude du programme de l’Initiation à l’informatique et aux sciences du numérique destiné à la terminale S (J.O. du 20-9-2011) permet de poser des questions relatives aux pratiques intellectuelles fondamentales.
 
 
Il s’agit de mettre en œuvre des programmes pour que, tout au long de leur scolarité, les élèves s’approprient ce domaine quelque soit la discipline académique et deviennent des usagers conscients des logiques inscrites dans l’outil qu’ils utilisent : l’égalité se juge à l’aune où chacun a la capacité de comprendre les normes techniques qu’impose l’outil pour évaluer le rapport existant entre ces normes et les finalités d’une action qui se réfère aux notions de Liberté, Egalité, Fraternité.
 

1 - En constatant que le domaine du numérique est l’information, la prise de conscience des variétés de la présentation d’une information et de sa mise en circulation par les élèves peut-elle être une composante des didactiques disciplinaires ?

 
De nombreuses références existent dans l’histoire de l’enseignement comme Anne Andrist le fit remarquer.
Leur recensement et la mise en évidence de leur efficience dans la discipline concernée ne donnent-ils pas un sens aux analogies et aux écarts constatés dans les différents accès à l’information et à sa production ? Les ressources en formation y retrouvent – elles leur genèse ?
 
Les méthodes de raisonnement propres à chaque discipline, qui correspondent à ce développement cognitif, en mesurant les écarts entre l’existant et l’attente, seraient-elles créatrices de processus évolutifs ?
De nouvelles approches des contenus de la discipline émergeraient-elles et ne donneraient-elles pas un sens rénové à celles qui ont fait leur preuve ?
 
Cet entrainement aux procédures propres à l’information prend du sens par rapport à la finalité de l’égalité de tous quand, comme le démontre l’étude des pratiques Freinet, l’Ecole représentée par ses élèves, ses enseignants et les parents devient acteur de l’espace public :
 
 « Ainsi, les enquêtes des élèves mettent bien en évidence la communauté culturelle du village, les envois de Bretagne montrent la diversités des communautés ; les effets de la diffusion de ces textes écrits mettent en évidence la diversité sociale…Enfin ce sont les outils techniques, imprimerie, progrès scientifique pour l’agriculture, l’électricité, le téléphone (… ) qui permettent aux acteurs de montrer leur détermination » (A. Jeannel, « Voir et revoir l’Ecole buissonnière », La pédagogie Freinet, mises à jour et perspectives, PUB, 1994, pp.197-198).
 

2 - La variété des représentations de l’information qui circulent est un second élément : prépare-t-elle à une pratique réflexive du numérique ?

 
Les sens sont en permanence sollicités par un support et un codage qui présentent l’information. Partant de ce constat, en 1977, un groupe d’enseignants portugais propose pour créer, une égalité entre les enfants confrontés au monde des représentations iconiques, une didactique de l’image basée sur les récits des enfants : ils firent raconter aux enfants les différents signes visuels qu’ils repéraient sur le trajet qui les conduisait à l’école. Leur finalité était double : faire prendre conscience que le regard qu’ils portaient sur la ville avait un sens, celui de les guider et découvrir que l’interprétation qu’ils donnaient à ces signes était une parmi d’autres, en la comparant à celles de pairs, d’artistes, de scientifiques....
Ces informations traduites dans une grande diversité de supports et de codes composent-elles un jeu éducatif présent dans toutes les disciplines, dont l’enjeu didactique est la prise en compte des constructions cognitives associant support et code pour transmettre un contenu ?
 

3 - Cette phase réflexive correspond à l’identification du processus qui permet à l’information d’avoir du sens pour résoudre un problème.

 
Dans l’exemple de nos collègues portugais, l’enfant en allant en classe résout le problème ne pas se tromper de chemin, pour cela intuitivement il a mémorisé un certains nombres d’éléments qui présentent une information sur des supports différents et avec des codes différents. L’ensemble de ces motifs sensoriels ne correspondent pas tous au problème à résoudre, il y a donc traitement des informations. Cette phase réflexive demande la description pas à pas du processus qui a permis de résoudre le problème. La confrontation des processus utilisés par chacun montre la variété des chemins qui sont utilisés : la représentation des données adoptées, support et codes, leur organisation sont autant d’algorithmes pour arriver à une solution. L’égalité passe par la reconnaissance de chaque proposition et par leur comparaison en fonction de critères débattus.
 
Cette appréhension compréhensive de ces pratiques disciplinaires prépare la réalisation de didactiques qui incluent les modes de traitement de l’information mis en œuvre dans le numérique.
A titre d’exemples, nous proposons :
  • Dans quel processus s’inscrit la connaissance instituée, quel problème a-t-elle résolu, comment a-t-il été résolu ?
  • Comment concevoir une logique propre à une discipline en incluant, ce qui est de la pratique courante, le choix entre une réponse positive et une réponse négative et en envisageant la solution quand ni l’une, ni l’autre ne conviennent ? Ce processus fut introduit lors de l’inscription de la pratique des différentes bases de numération et en particulier de la base 2.
  • Quel traitement d’un contenu disciplinaire peut-il se présenter sous forme de vecteur et de matrice ?
 
De nombreuses pratiques répondent à ces interrogations, leur diffusion crée de nouvelles ressources et incite à faire de nouvelles propositions : l’An@é avec Educavox permettent ces échanges constructifs et réflexifs.
 
Nous avons conscience d’avoir dans ce texte traité qu’une infime partie de ce deuxième forum. Nous retiendrons aussi que le numérique permet de développer de nouvelles approches des thèmes tels que la recherche documentaire, la lecture rapide, l’écriture collaborative et la structuration de l’animation.
A suivre….
 
Alain Jeannel
Dernière modification le vendredi, 08 mars 2019
Jeannel Alain

Professeur honoraire de l'Université de Bordeaux. Producteur-réalisateur. Chercheur associé au Centre Régional Associé au Céreq intégré au Centre Emile Durkheim. Membre du Conseil d’Administration de l’An@é.