Il est normal et légitime que les syndicats et associations professionnelles s’inquiètent lors de modifications envisagées. Mais cette inquiétude risque de se transformer en blocage systématique.
Pour ce premier post de réponse à l’actualité, je vais reprendre simplement ce que j’avais écrit en 2003 lors de la modification de la constitution française. A l’époque il y avait eu une tentative de transférer la profession à la région. Vous trouverez sur mon site (la page La décentralisation de la République) un ensemble de textes publiés par différents auteurs à cette occasion et par moi-même. Je reprends ci-dessous un large extrait d’un de ces textes « La construction d’une profession ».
D’autres posts poursuivront cette discussion. Depuis 2003 d’autres éléments sont apparus.
Un aparté historique
Vous trouverez sur le site de l’ACOP-F à propos des projets de décentralisation un texte intitulé « L’ORIENTATION : POSITIONS ET PROPOSITIONS DE L’ACOP-France ». Il me semble qu’il s’agit là d’une lecture harmonieuse, continue, sans ruptures de notre « profession ».
Le passage de la multitude d’organismes différents à une tentative d’unification sous la bannière de l’INOP et de l’enseignement technique ne s’est pas fait tranquillement au cours du premier quart du Xxe siècle. De même pour le passage de l’Orientation Professionnelle à l’Orientation Scolaire. On peut en discuter encore avec quelques anciens qui participent au GREO (Groupe de recherche sur l’évolution de l’orientation). J’ai déjà un peu écrit sur certains conflits.
Voir le texte sur mon site concernant mon atelier que j’avais fait lors des Journées d’études de l’ACOP-F à Caen. « Histoire française de la conception de l’orientation : les résistances face aux changements »
Il me semble que ce que nous allons vivre est de cet ordre.
Il faut s’interroger sur la soudaineté de cette situation.
Régulièrement il a été question de supprimer les conseillers d’orientation. Déjà en 68 un texte était près et fut balayé par les événements. Les tentatives ou les rumeurs se répétèrent. La progression du recrutement fut arrêtée brutalement au début des années 80 avec l’arrivée de la Gauche. Je considère qu’un choix important fut pris à cette époque : avec la création de l’EPLE, il devenait possible d’attribuer à cette entité la responsabilité de l’organisation de l’aide à l’orientation. Et dans le même moment de la fin de l’expansion de la profession, il y avait une généralisation du public potentiellement affronté à des questions d’orientation tout au long du système scolaire. Un nouveau champ pour l’orientation fut également ouvert : l’insertion des jeunes, mais de multiples hésitations nous ont empêché « d’y aller ». On ne met pas les deux pieds dans un dispositif éphémère ! Il va bientôt fêter ses vingt ans !
Une hypothèse, tout à fait personnelle. Nous avons été intégrés dans le Ministère de l’Education nationale, et autorisé à travailler dans le secondaire en 59 sur la base d’un quiproquo : vous êtes autorisés à rentrer dans nos classes à condition que vous vous occupiez de ceux dont nous ne voulons plus. A l’époque le conseiller détenait une compétence très recherchée : ses connaissances et sa position lui permettait de « placer » l’élève rejeté du système général. Avec la gestion administrative de l’affectation cette compétence disparue. Par ailleurs en informant les familles de leurs droits, nous permettions une mise en œuvre des procédures d’orientation (totalement étrangères à la culture « totalitaire » pédagogique du secondaire de l’époque). Aujourd’hui on peut penser que le système a totalement intégré les procédures, qu’elles soient d’orientation ou d’affectation. Une bonne partie de cette machinerie repose désormais dans des rôles professionnels répartis entre plusieurs acteurs. La remonté des informations sur son fonctionnement sera sans doute informatisée d’ici peu à partir des bases élèves de chaque établissement. Quant à l’affectation, l’informatisation poursuit son contrôle.
Bien sûr, l’orientation est toujours une souffrance pour nombre d’enfants, d’élèves, de familles, et une écoute psychologique est nécessaire pour atténuer, pour reconnaître, pour reconstruire un nouvel horizon. Et bien sûr nous sommes très utiles à ces personnes. Cette « utilité » a même été transformée en droit par le fameux article 8 de la Loi d’orientation de l’éducation nationale de 1989. Sauf que l’Etat en est resté là, puisqu’aucun décret ne fut publié.
Donc la question d’importance qui se pose aujourd’hui pour nous : faut-il lutter pour que cette profession perdure dans le système éducatif ? Mon interprétation brutale est que nous ne servons plus au système, nous n’avons plus grand chose à échanger. A mon sens la dernière chose que nous pouvions encore échanger fut refusée par la majorité de la profession : jouer un rôle d’accompagnateur, de coordonnateur, de conseiller technique pour la mise en œuvre de l’éducation à l’orientation.
Si la question de la délimitation du passage du scalpel pour distinguer ceux qui resteront au sein de la structure éducation nationale et ceux qui seront mis à disposition se pose, il en est une autre qui se posera sans doute très vite : la formation initiale détenue jusqu’à présent (avec l’appui financier des régions) par l’Etat le restera-t-elle ? Dans la logique qui s’engage il semble probable que cet enseignement professionnel rejoindra les autres dispositifs déjà sous la responsabilité de la Région. Là aussi, sans doute se posera la question de la limite : le professionnel uniquement, ou le technique également, tout le technique ou seulement certaines parties ? Le lycée des métiers recomposant l’alliance entre le professionnel et le technique, et l’enseignement professionnel supérieur pose cette question.
Si cet enseignement professionnel (et technique), post-troisième, passe totalement sous la responsabilité de la région, il n’est pas certain que l’orientation scolaire à la française puisse se maintenir : c’est l’établissement d’origine qui détermine l’avenir de l’élève. Dans la plupart des pays européens, l’entrée de la formation professionnelle se trouve sous le contrôle de l’accueillant. Si cette hypothèse est juste, la nécessité d’un personnel à la fonction d’atténuateur du conflit n’est plus vraiment nécessaire du point de vue du système.
La reconfiguration de la formation professionnelle
Il s’agirait d’une mission de service publique attribuée aux régions et non au seul champ du privé comme certains le disent.
Où se trouve l’avenir de l’orientation en tant que question sociale ?
Au début du XXème siècle il s’agissait de l’entrée en formation professionnelle de la jeunesse. Puis ce fut la généralisation de la scolarisation avec le développement de l’Orientation scolaire. Aujourd’hui je pense qu’il s’agit de l’accompagnement des personnes dans la Formation professionnelle tout au long de la vie.
Il y a des modifications structurelles de la FP en Europe mais également à l’université et dans le supérieur, très profondes. L’organisation par crédits est fondamentale. Elle touche toutes les formations professionnelles en Europe, ainsi que l’organisation de l’enseignement supérieur. On sort de la formation “paquet cadeaux”, du menu obligatoire, qui simplifiait beaucoup la tâche d’orientation. Il s’agissait de choisir la bonne porte d’entrée dans le chemin nécessaire. il pouvait y avoir quelques chemins possibles avec choix entre eux. Mais la question de l’orientation était essentiellement le choix de l’entrée.
Une nouvelle conception de l’orientation
La question de l’orientation dans un cadre de crédits, de modules, de compétences, dont les combinaisons sont plus ou moins porteuses de potentialité d’employabilité de la personne, sont je pense beaucoup plus complexes aussi bien pour la personne, que pour le « conseiller », que pour les organismes de formation eux-mêmes.
Il s’agit alors de s’interroger sur les compétences professionnelles des services d’orientation alors nécessaires dans ce cadre. J’en distingue quatre :
- Etre capable d’aider la personne à identifier ce qu’elle veut faire.
- Quelles compétences nécessaires ou probables seront alors nécessaires pour exercer cette activité.
- Où les obtenir (et sûrement pas en un seul « lieu » ni d’une seule forme d’acquisition).
- Maintenir l’information du sujet au cours de ce processus.
La responsabilité personnelle, l’énergie psychologique, les risques personnels seront alors très forts pour le sujet.
Nous savons tous que la conception adéquationniste de la relation formation-emploi est totalement illusoire. Mais elle sera sans doute encore très présente, car elle est simple pour soutenir un discours politique.
Donc, à la condition de prendre cette distance et de se positionner par rapport à la Formation Professionnelle tout au long de la vie, nous pouvons alors défendre notre compétence de psychologue. L’accompagnement, au sens fort, des personnes sera essentiel. Ceux qui travaillent notamment dans le cadre de la VAE sentent bien cette nécessité. Il ne s’agit pas seulement d’un traitement administratif d’une demande de « certification ». Et en passant, c’est également au nom de cette conception complexe de l’orientation, que la nécessité de l’éducation à l’orientation se posera dans l’initial (en faisant la distinction entre la gestion des parcours, le conseil aux personnes, et l’éducation à l’orientation).
Sur ce terrain de l’orientation, de la formation et de l’insertion tout au long de la vie, existent déjà quelques dispositifs et des personnels. Beaucoup sont dans des statuts précaires, et seront sans doute très intéressés par la création de ce nouveau corps de fonctionnaires territoriaux. On peut donc penser que la construction de ce nouveau champ professionnel se fera entre autre par l’agglomération de personnels issus d’horizons différents. Il faut rappeler que ce fut déjà le cas lors de la création des COSP avec le rassemblement pas toujours facile entre les anciens de l’OP et ceux du BUS.
Pour négocier cette création il nous faudra des structures ouvertes, que ce soient nos syndicats ou des associations, ouvertes à l’étranger. Oui les COP actuels ne représentent qu’une petite part de ce champ professionnel.
extraits du texte de 2003
Bernard Desclaux