Dans la masse des témoignages, comptes-rendus, rapports, interventions, catalogue de revendications, commentaires, on a du mal à percevoir les leviers les plus déterminants pour proposer le changement, le faire comprendre et accepter, obtenir la mobilisation des acteurs dans les établissements.
Attendons la remise du rapport de la concertation au ministre, le mardi 9 octobre, à la Sorbonne, assemblée à laquelle je suis invité et que je commenterai dans les meilleurs délais sur le site éducavox. Dans l’attente et l’espoir, voici quelques réflexions pour insister sur quelques points forts pour une réelle refondation.
J’ai évoqué cette question dans une chronique précédente. Je proposais le numérique et le territoire comme étant deux thèmes neufs par rapport à l’histoire de l’école. Il s’agit de questions qui remettent en cause fondamentalement le fonctionnement et les pratiques de l’école actuelle. Aucune autre question n’a d’équivalent, en termes de bouleversements induits, depuis la crise de 1968 qui a imposé un nouveau regard sur la place de l’école dans la société et sur la place de l’élève dans l’école, mais dont les effets ont été absorbés par la ouate institutionnelle.
Nous vivons aujourd’hui un changement d’ère comme l’explique si bien Michel Serres.
Les collectivités territoriales prennent une place essentielle dans la vie du système, élargissant le champ de l’éducation pour tendre vers une conception moins scolaro centrée, plus globale et vers une réelle prise en compte du territoire.
Elles pousseront l’école à s’ouvrir et s’inscrire dans des projets territoriaux sans pour autant remettre en cause l’unité nationale et les fonctions régaliennes de l’Etat. Nous avons atteint le stade délicat où les élus, compte tenu de l’importance croissante de leur investissement demanderont des comptes, discuteront des projets éducatifs et voudront assumer leur responsabilité. L’école sera contrainte de changer. Mieux vaut qu’elle anticipe, même s’il est déjà un peu tard
Le numérique, je le redis inlassablement, s’il n’est pas détourné pour conforter, enjoliver les pratiques traditionnelles persistantes (une heure/un cours/une classe/une discipline…), est un puissant moteur possible dans la mesure où il impose à la fois :
- Un nouveau regard sur l’évolution exponentielle des savoirs de l’humanité et la remise en cause des disciplines scolaires cloisonnées. Une révision fondamentale et une recherche de cohérence entre finalités (que tout le monde oublie), programmes, un socle (et pas LE socle !), l’obligation de donner du sens aux savoirs scolaires et le goût d’apprendre
- La nécessaire prise en compte des savoirs et des compétences acquises hors de l’école
- L’indispensable retour de la pédagogie sans laquelle les outils sont sans grand intérêt. Etudier les potentialités des outils numériques pour étudier les procédures, les méthodes, les outils mentaux utilisés par les élèves
- Un nouveau type de rapports avec les collectivités qui ne pourront plus investir si elles ne connaissent pas l’intérêt réel du projet
- De nouvelles relations entre les acteurs de l’éducation. De la juxtaposition des actions à la mobilisation collective
- L’ouverture des établissements en dehors des heures scolaires pour développer l’éducation populaire et les échanges de savoirs, compte tenu du coût des investissements mais aussi du besoin de développer les échanges de savoirs, les rencontres intergénérationnelles.
- Un changement de l’architecture scolaire
Il est évident que cette fois, après l’échec des réformes successives depuis 1945, si l’école n’est pas refondée et réorientée, elle risque de disparaître, d’autant plus vite que sa destruction a bien avancé au cours des 5 dernières années.
Pourtant, je suis frappé de constater que ce changement d’ère n’est pas perçu, pas traité, pas vraiment conscientisé par les acteurs et les responsables massivement attachés à l’amélioration de l’existant plutôt qu’à la refondation, pas problématisé avec une vision à long terme.
Dans un groupe de concertation, un intervenant déclarait : « On ne connaît pas quelles sont les ressources utilisées par les enseignants ». J’ai eu envie d’ajouter : « et on connaît encore moins comment ils utilisent ces ressources ». Je repensais à cette phrase terrible de Claude Thélot : « On ne sait pas ce qui se passe dans les classes » et à l’analyse très ancienne d’Ada Abraham détaillant la distinction entre le réel, l’idéalisé et l’idéal quand il s’agit de décrire ses propres pratiques.
Or, pour changer les pratiques, pour aller au-delà de la description des outils utilisés, pour entrer pleinement dans la qualitatif, dans les choix pédagogiques réels, dans les représentations des acteurs, dans les motivations explicites et implicites, dans les convictions qui conduisent à des choix conscients ou non, il faut une connaissance fine des réalités.
Il faut une observation méthodique, sans jugement de valeur, sans notation, de l’acte pédagogique : choix de la situation, activité réelle des élèves, analyse des procédures et méthodes, expression/communication maître/élèves, élève/élèves. Cette activité d’observation/problématisation partagée/recherche-action n’a rien à voir avec le constat des résultats partiels apparents, d’un tableau de bord et l’élaboration d’une feuille de route par des personnels d’encadrement qui seraient bien incapables de la mettre en œuvre.
Il est évident que les corps d’inspection auraient pu s’atteler à cette tâche essentielle s’ils n’avaient pas été transformés autoritairement en pilotes technocrates par un pouvoir ultra libéral dont le but inavoué était la destruction de l’école publique.
Pour refonder, il faudra donc une analyse partagée (acteurs et observateurs non hiérarques) des réalités, la problématisation non stigmatisante, et l’élaboration d’hypothèses pour la résolution des problèmes, un accompagnement de pair ou d’ex-pair/expert pour l’action. Faute de quoi la refondation passera à côté des vrais problèmes.
Dans le domaine du numérique par exemple, il s’agira certes de savoir quels ressources sont utilisées, mais surtout comment : pour conforter et enjoliver, moderniser en apparence les pratiques anciennes ou pour changer de modèle pédagogique, changer fondamentalement ?
Refonder les pratiques pour refonder l’école. Redonner toute sa place à la pédagogie, complètement déniée depuis 2007.
Le temps est venu de voir si l’espoir de la refondation sera respecté et si une pédagogie de la réforme permettra de remobiliser les acteurs et de leur redonner des raisons de s’enthousiasmer.
A suivre.