Telle est la dure et valeureuse vie de nombre d’administrateurs des réseaux des établissements, ceux qui ont reçu délégation des chefs d’établissement ou les chefs d’établissement eux-mêmes, garants de la morale laïque, gratuite et obligatoire… On n’imagine pas les tourments de ces gens-là, sans cesse confrontés à la croissance exponentielle du web et à la recrudescence des turpitudes sociales dont ces jeunes se repaissent. On n’imagine pas la responsabilité de ces gens et les choix cornéliens qu’ils ont à faire : au-delà du travail d’administration quotidien qui fait d’eux des personnes si respectées, c’est la protection de tous ces jeunes mineurs qui compte, car le terroriste, le pédophile, le harceleur, l’homosexuel, le déviant, le prosélyte, le pirate, le pornographe, le négationniste veillent, là, tapis au coin d’une page web qu’on n’attend pas.
Je souhaite m'adresser à vous tous, heureux gardiens de la morale éducative, et vous engager à cliquer sur l'image ci-dessus pour visionner à nouveau, si vous ne l'aviez déjà fait, cette vidéo disponible sur le site de l'École supérieure de l'éducation nationale ou ESEN qui forme les cadres de cette honorable institution. En réponse à la dernière question posée, « Quel est votre regard sur les limites et interdictions en milieu scolaire ? », à partir de 19′ et 50″, Louise Merzeau, enseignante-chercheuse en sciences de l'information et de la communication évoque une « absurdité culturelle » et un « crime contre l'éducation », ajoutant :
« C'est une absurdité éthique, politique ou culturelle parce qu'elle émane de formateurs, de responsables de l'éducation, de médiateurs... »
Elle se demande comment des enseignants ont pu décider d'interdire les outils qui apportent ou construisent le savoir. Comment, dit-elle, est-il possible, en l'absence de toute réflexion éducative sur le sujet, de livrer les élèves aux seuls acteurs économiques, leur laissant le triste choix d'être consommateurs ou pirates ? C'est d'ailleurs cette triste alternative, promesse d'une vie radieuse et épanouie, à laquelle les censeurs condamnent les jeunes, que j'avais évoquée dans un récent billet « Consommateur ou pirate, choisir tu devras... ».
Revenons à nos censeurs, experts autorisés à s'autoriser des trucs, qui s'ébattent en rond à censurer. La dernière chose rigolote, c'est qu'ils ne mesurent généralement pas les conséquences de leurs coups de ciseau et qu'à force de couper à droite et à gauche de manière immodérée, il y a des dégâts collatéraux :
Ici, le simple affichage d'une page d'un site web qui ne fait que présenter une liste de logiciels de montage vidéo, provoque l'apparition de ce magnifique, élégant, explicite et discret — il cache quasiment toute la page — rectangle jaune et orange dont la présence n'est due, comme c'est le cas sur la très grande majorité des sites web, qu'à la présence incongrue d'un bouton de partage vers Facebook ! J'avais déjà rappelé longuement, à ce sujet, dans un billet récent, qu' " Un dispositif technique ne peut jamais être la seule solution à un problème éducatif".
La stupidité des censeurs n'a pas de limites.
Alors que l'exemple ci-dessus concerne les censeurs nantais, leurs collègues lorrains n'ont rien à leur envier qui censurent même le site académique de Nancy-Metz soi-même qui a l'outrecuidance d'afficher son fil Twitter.
Dans le cas ci-dessus, le grand pavé blanc est censé afficher les annonces du recteur ou des services rectoraux qui concernent la communauté éducative. En l’occurrence, les lycéens sont ici privés des annonces qui concernent l’organisation du baccalauréat. Ce n’est pas lamentable, c’est juste consternant.
Elle se demande comment des enseignants ont pu décider d'interdire les outils qui apportent ou construisent le savoir. Comment, dit-elle, est-il possible, en l'absence de toute réflexion éducative sur le sujet, de livrer les élèves aux seuls acteurs économiques, leur laissant le triste choix d'être consommateurs ou pirates ? C'est d'ailleurs cette triste alternative, promesse d'une vie radieuse et épanouie, à laquelle les censeurs condamnent les jeunes, que j'avais évoquée dans un récent billet « Consommateur ou pirate, choisir tu devras... ».
Revenons à nos censeurs, experts autorisés à s'autoriser des trucs, qui s'ébattent en rond à censurer. La dernière chose rigolote, c'est qu'ils ne mesurent généralement pas les conséquences de leurs coups de ciseau et qu'à force de couper à droite et à gauche de manière immodérée, il y a des dégâts collatéraux :
Ici, le simple affichage d'une page d'un site web qui ne fait que présenter une liste de logiciels de montage vidéo, provoque l'apparition de ce magnifique, élégant, explicite et discret — il cache quasiment toute la page — rectangle jaune et orange dont la présence n'est due, comme c'est le cas sur la très grande majorité des sites web, qu'à la présence incongrue d'un bouton de partage vers Facebook ! J'avais déjà rappelé longuement, à ce sujet, dans un billet récent, qu' " Un dispositif technique ne peut jamais être la seule solution à un problème éducatif".
La stupidité des censeurs n'a pas de limites.
Alors que l'exemple ci-dessus concerne les censeurs nantais, leurs collègues lorrains n'ont rien à leur envier qui censurent même le site académique de Nancy-Metz soi-même qui a l'outrecuidance d'afficher son fil Twitter.
Dans le cas ci-dessus, le grand pavé blanc est censé afficher les annonces du recteur ou des services rectoraux qui concernent la communauté éducative. En l’occurrence, les lycéens sont ici privés des annonces qui concernent l’organisation du baccalauréat. Ce n’est pas lamentable, c’est juste consternant.
C’est consternant et ça se passe dans nombre de collèges et de lycées en France — je ne veux même pas parler des écoles, dont d’ailleurs peu sont encore connectées correctement, et qui sont sous la coupe, au choix, des logiciels de contrôle parental ou des services informatiques des communes, la plupart du temps totalement ignorants des préoccupations éducatives.
Pour finir ce triste épisode de cette chronique, je souhaite vous raconter l’histoire d’un professeur de mathématiques qu’on va appeler A. K. bien qu’il m’ait autorisé à donner son nom, car l’histoire est publique, dit-il. A. K. avait, dans son précédent lycée, pris l’habitude de travailler avec ses collègues et ses élèves sur les réseaux sociaux. Il s’agissait d’un projet complet qui concernait l’utilisation d’une page Facebook, d’un article Wikipedia et d’un compte Twitter. Ce dernier, dit-il dans son projet, était utilisé à :
« Faire passer des messages d’ordre pratique, dates des réunions ou conseils, agenda (sous forme de lien hypertexte), événements culturels organisés dans l’établissement, prix et récompenses remportés par les élèves, infos concernant les élèves en voyage scolaire, dates des différentes portes ouvertes, infos sur l’orientation, alertes neige, organisation des examens, veille technologique… ».
Il n’y a bien sûr rien là de très original, car nombreuses, fort heureusement, sont les initiatives de ce genre qui fonctionnent, sous l’impulsion et avec l’accord de chefs d’établissement engagés. A. K. a été nommé depuis la rentrée dans un autre lycée et s’est vite aperçu que ce serait plus compliqué car les réseaux sociaux y étaient radicalement et méthodiquement censurés.
Cela n'a nullement découragé A. K.. Soucieux de ne pas bouleverser la vie de l'établissement, il s'est adressé fort respectueusement par écrit au proviseur, à son adjoint et au chef de travaux, administrateur du réseau :
« Je m'étonne que le site Twitter soit bloqué sur le réseau établissement. Ce réseau social est devenu un canal de communication à part entière d'acteurs institutionnels. L'académie de Nancy-Metz a d' ores et déjà son propre comptehttps://twitter.com/acnancymetz sur lequel elle communique en destination des élèves, des parents d'élèves et des professeurs, tout comme l'éducation nationale @EducationFrance, ou la préfecture de Meurthe-Moselle (très pratique pour les alertes neige).
Il a aussi de nombreuses applications pédagogiques et pratiques :
- lors d'un voyage scolaire donner des nouvelles régulières aux parents, ou encore pour échanger avec des partenaires étrangers e-twinning ;
- [...] suivi et l'encadrement de projets des élèves ;
- [...] orientation en direct avec les universités (@Univ_Lorraine par exemple) , IUT et écoles (@esstin_nancy par exemple), possibilité de relayer aux élèves différentes informations et de s'incsrire dans le grand projet Bac-3/Bac+3.
[...] J'aimerais présenter ce point de vue en faveur d'une éducation au numérique et d'un usage raisonné et intelligent des réseaux sociaux. »
Ce questionnement a reçu une réponse officielle par l'intermédiaire du compte rendu du Conseil pédagogique :
Cette aimable fin de non-recevoir montre à l'évidence la distance considérable qui sépare les mutations numériques de la société, des entreprises, des services de l'État, les pratiques personnelles des élèves mais aussi l'engagement de l'école soi-même derrière la stratégie mise en œuvre au ministère pour l'école numérique de la réalité quasi obscurantiste de certains établissements scolaires. Par ailleurs, en renvoyant l'éducation aux médias et au numérique à un supposé et improbable Comité d'éducation à la santé et à la citoyenneté (CESC), ce « Conseil pédagogique » se décharge à bon compte de la responsabilité d'éducation au numérique et aux médias qui lui revient en propre.
Sabine Blanc disait déjà, en 2010, à ce sujet, que l'école avait pris l'option autruche. L'institution dresse ainsi des barrières supposément infranchissables autour d'elle — tout le monde sait mais ne veut surtout pas savoir que les élèves, en utilisant leurs appareils personnels ou en outrepassant ces barrières dérisoires accèdent à tout ce qu'ils veulent. Comme si la société n'avait pas changé, comme si les élèves étaient restés les mêmes qu'il y a vingt ans, comme si l'école elle-même n'avait pas montré sa volonté de changer, certains chefs d'établissement, certains professeurs, certains administrateurs de réseau sourcilleux et soucieux de conserver leur micro-pouvoir continuent ainsi inlassablement leur mission de censeurs institutionnels.
J'aimerais terminer ce billet en citant à nouveau Mario Asselin, blogueur et grand éducateur québécois, maintenant homme politique, qui disait, en 2010 :
« Je demeure fasciné par celui qui laisse entendre que les sites du Web participatif représentent de belles pertes de temps, autant pour les élèves que pour les membres du personnel. C'est parce que l'école est encore dans un mode où toute la connaissance doit passer par la tête d'un enseignant avant de transiter vers celle des élèves que ce mythe tient solidement dans les réunions administratives des décideurs scolaires. Pendant combien de temps encore considérera-t-on qu'il est impossible d'utiliser les dispositifs comme les blogues ou les réseaux sociaux pour apprendre ou construire ses cours ? Ils peuvent devenir des leviers très puissants au service des apprentissages. »
Il terminait son propos par cette phrase qui devrait figurer dans tous les règlements intérieurs des établissements scolaires :
« [Il] est plus dangereux de ne pas éduquer devant la présence de dangers potentiels que de mettre à l'Index et de risquer que les jeunes soient confrontés aux mêmes dangers (hors de l'école) sans les moyens d'y faire face. »
Pour paraphraser Jean-Marc Manach qui demandait, à propos d'une société de surveillance qu'il ne cesse de dénoncer, qui surveillera les surveillants, il serait temps que l'école s'interroge sur elle-même : qui censurera les censeurs ?
Michel Guillou@michelguillouhttp://www.culture-numerique.fr/
Dernière modification le vendredi, 03 octobre 2014